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La route de Marrakech

La route de Marrakech

 

Par: Jilali Derif

 

« L’urbanisme est né de l’étude de la rue »

« Une ville n’est grande que par la grandeur des conceptions qui ont conduit à son élaboration »

Riche d’histoire et de patrimoine, la route de Marrakech est l’artère principale d’El Jadida. Depuis le début du 20ème siècle elle était le lieu de différents pôles d’attraction. Les places et les avenues de cette route ne cessent de jour en jour de subir des transformations et une extension. Seule elle peut nous révéler l’histoire du développement et l’extension de la ville d’El Jadida.

A la deuxième moitié du 19ème siècle, une citadelle de 250 mètres sur 300 construite par les portugais en 1541 ne peut suffire pour héberger une population en croissance continue. Le port d’El Jadida qui avait comme hinterland (arrière pays) la riche plaine de Doukkala et Marrakech, attira des négociants et des commerçants aussi bien des pays européens que de l’intérieur du pays, en plus d’une main d’œuvre des régions voisines surtout d’Ouled Bouaziz et Ouled frej. El Jadida des années 1950- La route de Marrakech : Places : P1- Place Sidi Mohamed Ben Abdellah. (Ex. pl. de la Douane puis Mortéo) ; P2 – Place ElHansali. (Ex place Brudo) ; P3 -Place Mohamed V (Ex. place Lyautey). Avenues : A1 – Av. El Hansali (Ex. Av Brudo puis Charles Foucault) ; A2 – Av. Mohamed V (ex. av. Albert I) Carte postale portant le sigle CIM (Combier Imprimeur à Macon) « Avec cet afflux des gens de l’intérieur et de l’extérieur, dit J. Goulven, la ville de Mazagan (El Jadida) renaissait donc. Mais personne ne dirigeant ses destinées, elle poussait au Hasard, sans grand souci de l’esthétique ni de l’hygiène ».

En 1860, nous apporte J. Goulven, d’après un manuscrit de Séverac, les négociants européens avaient construit les premiers Foudouks (Magasins et dépôts) devant la place de la douane (actuelle Place Sidi Mohamed ben Abdallah) et sur la route de Marrakech (Av. Hansali). Et c’est à partir de cette période que va se créer le premier quartier européen extra muros à l’ouest du bastion saint Antoine, dans la place actuelle du Jardin Abdelkrim Khattabi.

Au début du 20ème siècle, plusieurs maisons, des consulats, des entreprises, des hôtels et d’autres foundouk vont apparaitre extra-muros.

L’explorateur-géologue Brives Abel (1868-1928) écrit sur sa visite à El Jadida au mois de septembre 1903 « De Mazagan je n’ai rien vu, et pour cause, sinon qu’on construit beaucoup en dehors des murailles (de la cité portugaise) ; c’est une sorte de fièvre qui sévit maintenant, nous dit M. Brudo ; pas un Européen qui ne bâtisse ou n’ait l’intention de le faire ». Dans le rapport d’une mission au Maroc (du 30 mars au 30 Mai 1904) dressé par au Gouverneur général de l’Algérie, AUGUSTIN BERNARD écrit qu’à Mazagan (El Jadida) «Cette fureur des constructions a été marquée par une spéculation sur les terrains à bâtir et une main d’œuvre chère,…c’est seulement Tanger et à Mazagan que les européens se sont décidés à bâtir hors ville : à Mazagan, on a construit plus de 500 maisons depuis deux ou trois ans : le pacha avait d’abord essayé de s’y opposer et d’emprisonner les maçons ; mais, comme il n’a aucun droit sur les Européens, il a du se résigner». Bulletin du comité de l’Afrique française 1904 p.232

Mais ce « laisser-aller» qui aboutir à l’apparition de rues tortueuses, et à des constructions sans esthétiques et insalubres devrait prendre fin.

A partir de 1909 une première politique urbanistique s’impose

Dans sa séance tenue le 5 juin 1909, le Comité spécial des travaux publics siégeant à Tanger, sous la proposition de M. Porché, ingénieur en chef du service des travaux publics, et conseiller technique du Sultan Moulay Abdelhafid inséra dans son programme de projets à exécuter au Maroc, les travaux d’aménagement et réfection des rues conduisant au port, la construction d’une route de Mazagan à Azemmour et l’Amélioration de la route de Mazagan à Marrakech.

Trois ans étaient nécessaires pour étudier le terrain, effectuer des ’’expropriations ‘’ ou récupérer les terrains loués par le Makhzen aux étrangers, réaliser les plans et les cahiers de charge. Et ce n’est que le 04 Juillet 1912 qu’a lieu à Dar Enniaba à Tanger l’adjudication des travaux de construction et d’amélioration de la route de Marrakech, de la place de la Douane (actuellement place Sidi Mohamed Ben Abdallah devant la cité portugaise) jusqu’à la sortie de la ville, sur une distance de 811 mètres (jusqu’au niveau du croisement avec l’avenue des FAR) pour un montant de 50251fr 40. Le 24 octobre de la même année a eu lieu à Tanger l’adjudication des travaux d’aménagement de voies d’accès au port (au niveau de la place de Sidi Mohamed Ben Abdallah) pour un montant de 36000 francs.

La réalisation de ces travaux était parmi les premières opérations en matière de politique d’urbanisme que le royaume chérifien voulait imposer au Maroc en coordination avec le corps diplomatique selon l’accord de l’Algesiras (1906).

 On pourrait apprécier la puissance économique de la ville à travers les Agences de Banques qui y existe.

  • La Banque d’Etat du Maroc – Suite à une décision du Conseil d’Administration de la Banque d’Etat du Maroc, une sous-agence dépendant de l’agence de Casablanca fut ouverte le 12 février 1912 à El Jadida. En 1917 elle devient une agence.

1916- (Sauf la construction en forme de tour au 2ème étage, ce bâtiment existe toujours et porte sur sa façade principale les initiale J.A (peut être John B. Ansado commerçant de Gibraltar, Vice consul d’Allemagne de 1875 à 1906)- Ed. Mme Boujon ?

Place Brudo en 1914- L’mmeuble Cohen Meir construit en l’an 5674 Hébraïque (2 Octobre 1913/23 Août 1914) – au rez-de-chaussée se trouvait le bureau chérifien des postes et des télégraphes avant son transfert en 1924 au bureau de la place Mohamed V. L’immeuble Butler où se trouvait la Compagnie Algérienne. L’immeuble dit Espéranza (Mortéo) dans la rue Lescoul) -Carte postale éditée vers la fin 1914 par Veuve Petit.

 1914-1916 : Etablissement du 1 er plan d’aménagement et d’extension de la ville.

Entre 1860 et 1914 El Jadida avait connu une grande croissance démographique ; en 1860 la population qui n’était que de 1614 âmes dont 114 européens, atteint en 1914 environ 14000 (dont 697 européens). El Jadida était parmi les villes du Maroc où le développement était prodigieux: une législation immobilière devrait être imposée. Le dahir du 16 avril 1914 (Bull, off., n° 78 du 24 avril 1914, p. 276,et suiv).relatif aux alignements, plans d’aménagement et d’extension des villes, servitudes et taxes de voierie apparait pour combler cette lacune.

De jeunes techniciens étaient affectés à El Jadida.

– M. Bonnet : Ingénieur Chef des travaux publics – Marcel Chèvre : Ingénieur des travaux publics.

-Jean Georges Grel : Architecte du Protectorat. (Désigné par « Les services d’Architecture » au mois d’avril 1914 comme Architecte en chef à El Jadida et Safi.)

Le plan d’aménagement et d’extension de la ville dressé par Mr Bonnet, ingénieur en Chef des travaux public à El Jadida, a été approuvé et déclaré d’utilité publique pour une durée de 20 ans par Dahir le 24 novembre 1916. Il comprend un réseau principal de rues de 10 à 12m et d’avenues de 15 à 20m (qui étaient considérés assez vastes à l’époque). Ces rues et avenues ceinturent l’ancienne ville et sont reliés par des voies transversales descendantes du plateau vers la mer.

La route de Marrakech, qui parcourt la ville du Nord-Ouest vers le Sud-Est sur une longueur de 3000 mètres environ, constitue l’axe central qui traverse l’ancienne ville (quartier indigène) le quartier administratif et commerçant, le quartier de plaisance et le quartier industriel.

La conception de ce plan d’aménagement de 1916 correspondait aux vues que les auteurs de ce projet avaient sur les possibilités d’avenir d’El Jadida.

Les travaux de construction du Bureau des PTT, de la Banque du Maroc (appelée Banque d’Etat du Maroc avant 1957), de la salle des fêtes et de la perception des impôts ne vont débuter qu’au début de la deuxième décennie du 19ème siècle. Un certain nombre de procédures étaient nécessaires pour assurer la réalisation rapide des plans d’aménagement des villes : L’Arrêté du grand vizir du, 22 décembre 1919, portant organisation des services chargés des plans de villes. (B.O.M., 5 janvier 1920). Précise dans l’article 1 Le service des plans de villes comprend un organe directeur, chargé de l’élaboration des plans de villes, et un service d’exécution chargé de leur application.

A El Jadida le bureau local du plan dirigé par J. Georges Grel était placé sous l’autorité directe de du chef des services municipaux Louis Ribes, relevant lui-même du Dr. Frédéric Weisgerber : Contrôleur Civil (Chef de Circonscription de Doukkala), du 19 Septembre 1917 jusqu’à sa retraite au 31 Mars 1926).

-Date de construction : 1922-1924

-Date d’inauguration : 1924

-Architectes : MM. Auguste Cadet et Edmond Brion -Architecte de sculptures et décorations: M. Fulcrand

 

Hôtel des postes (PTT)

– Date de l’appel d’offre : Sep. 1922 -Date de construction : 1922-1924

-Date d’inauguration : 1924

-Architecte : Jean Georges Grel

-Architecte de sculptures et décorations : M. Fulcrand

THEATRE AFIFI (Ex Salle Municipale des fêtes)

– Date de l’appel d’offre : Avril 1923

– Date de construction : Juin 1923 à Déc. 1923

– Architecte : M. A. Delaporte

– Entreprise : SCWARTZ HAUTMONT Date d’inauguration : 30 Déc. 1923

LA PERCEPTION : Service des finances

– Date de construction : 1925-1926 – Architecte : J.G. Grel

– Architecte de Sculptures et décorations M. Fulcrand.

- L’avenue Mohamed V (ex. Av Albert 1er) :

 

Avenue Mohamed V en 1924 (Ph. Madelaine)

 Connue des années 1920 jusqu’aux années 1970 par ses grands Magasins, c’est pour cette raison les anciens Jdidi donnent à ce boulevard le nom de L’Haria (pluriel de L’Hri ou grand Magasin de dépôt) que les européens nomment Foundouk. Grand nombre de ces Hri sont transformés actuellement en immeubles à quatre étages.

 Foundouks de l’av. Mohamed VCliché J.Goulven 1919

– au premier plan un Foundouk spécialisé dans l’exportation des œufs.

Une des caractéristiques principales du port d’El Jadida depuis la fin du 18ème siècle jusqu’aux années 1950 résidait dans l’exportation des œufs.

Imaginez qu’en 1919 (avant l’ouverture du nouveau port) plus de 108 millions d’unités étaient exportées par les négociants mazaganais qui se sont spécialisés dans le commerce des œufs.

Liste des exportateurs d’œufs à El Jadida d’après l’Annuaire des exportations du Maroc 30 Sep 1938. Abergel Abner M. rue Carreira – Abergel Meir S. Abergel Pinhas- Adjiman Joseph 121, Av. Albert 1er Amiel yahia – Balestrino – Bencherqui Moulay Saïd et Moulay M’Hamed- Bensimon et Sons Nessim 6. Av. Albert 1er – Brudo Jean – Donikian Sebouh, 248, Av Albert 1er – Larédo Brothers, 55, Av Albert 1er – Maïmaran Yamin 89, rue Colbert – Maïmran David M. 227, av. Albert 1er – Moyal Elichat, 267, Av. Albert 1er – Sonsino Raphaël, 250, av. Albert 1er – Znaty Simon, 277, Av. Albert 1er. (Revue Code marocain du commerce extérieur O.C.E Edition 1939).

 Dans chaque caisse à claire-voie, divisée en deux casiers et garnies de fibre de bois, sont disposés, par lots, 1440 œufs frais d’un poids variant entre 45 et 50 grammes.

 

 1920- Stockage de Sacs de céréales et caisses d’œufs destinés à l’exportation. (Ed. Felix)

 – Boulevard Bir Anzarane.

Il Se trouvait dans la banlieue de la ville, et ne contenait pendant les années 1920 que quelques Foundouks , le lazaret de Sidi Yahia, construit pour défendre la ville en cas d’épidémie, et quelques groupements de huttes en branchages appelées nouails (pluriel de nouala), puis dans les années 1940 la coopérative indigène des Blés de Doukkala dont les grands magasins sont fonctionnels jusqu’à ce jour.

- … et pour Conclure :

J’aime terminer cet article par ce témoignage :

André Maurois nous rapporte dans la revue hebdomadaire du 23/05/1931 ce que Guillaume de Tarde écrivait sur les acteurs des aménagements des routes neuves dès 1915.

« Je ne connais rien de plus pittoresque que ceux de Mazagan. Là, tous les éléments se sont mis en œuvre : hommes, femmes, enfants, mulets, chameaux, chevaux, et chevaux-vapeur. Les hommes piochent, déblayent et remblayent. Les enfants cassent les cailloux. Les femmes déposent soigneusement les pierres sur la route, comme les morceaux d’un jeu de patience. Des cylindres passent, traînés par les chameaux dédaigneux. Et de tout ce travail de termites sort une longue bande de route qui chevauche au loin les collines… ».

 

Par: Jilali Derif « L’urbanisme est né de l’étude de la rue » « Une ville n’est grande que par la grandeur des conceptions qui ont conduit à son élaboration » Riche d’histoire et de patrimoine, la route de Marrakech est l’artère principale d’El Jadida. Depuis le début du 20ème siècle elle...

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