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LA SECONDE VIE DES SITES JUIFS DU MAROC

LA SECONDE VIE DES SITES JUIFS DU MAROC

 

Le Maroc est le seul pays arabe à restaurer ses synagogues, sanctuaires et cimetières juifs. Casablanca abrite le Musée du judaïsme marocain qui est l’unique musée juif dont la conservatrice est musulmane.

Alors que la présence juive au Maroc s’est considérablement réduite ces dernières années (moins de 3000 selon plusieurs sources), l’héritage judéo-marocain prend de plus en plus d’ampleur. «Nous assistons à un intérêt grandissant pour l’histoire juive du Maroc, notamment chez les étudiants qui consacrent de plus en plus de thèses de fin d’études à ce sujet-là», nous explique Zhor Rehihil, conservatrice du Musée marocain du judaïsme. Un musée unique dans le monde arabo-musulman créé en 1997 et qui fête donc ses 20 ans d’existence. «La création du musée a été l’aboutissement d’un long processus qui a été mené par feu Simon Levy afin de perpétuer l’histoire juive de ce pays», ajoute Mme Rehihil, seule femme conservatrice musulmane dans un musée juif à l’échelle mondiale.

Place Verdun, Verlet Hanus…

Depuis quelques années, le patrimoine matériel juif a été pris en charge dans des programmes de restauration qui a bénéficié principalement aux édifices religieux, sanctuaires et autres cimetières. Les synagogues de plusieurs villes, mais aussi de villages du pays, ont été restaurées. Des initiatives privées et publiques. «A partir de 1995, la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain a commencé un travail important de restauration des lieux de culte juifs. Ces réalisations lancées par la fondation ont inspiré d’autres communautés et associations de juifs et de non-juifs à prendre des initiatives visant à restaurer des synagogues comme la grande synagogue d’Oujda ouverte le mois de mai dernier ainsi que la synagogue
Ettedgui à l’ancienne médina de Casablanca, inaugurée en novembre 2016», explique Mme Rehihil. Du fait du petit nombre de fidèles juifs, plusieurs synagogues ont cessé d’être des lieux de culte actifs.

Le centre-ville de Casablanca, du côté de la Place de Verdun, des rues historiques de Verlet Hanus, Lusitania (Ibn Rochd) et Lacepède (Al Khawarizmy), du côté du boulevard d’Anfa, bd. Ziraoui mais aussi la rue des Anglais dans l’Ancienne médina, abrite un nombre important de synagogues. Dans ces quartiers vivait dans les années 60, 70 et 80 du siècle dernier, une importante communauté judéo-casablancaise. Il y avait même une concentration beaucoup plus importante de synagogues que de mosquées. «Mon quartier qui abrite le Cercle de l’alliance qui fut une des cibles de l’attaque terroriste du 16 mai 2003 comptait, juste entre deux rues, plus de dix synagogues actives. Entre le vendredi soir et le samedi pendant la journée, nos concitoyens juifs y entraient pour la prière. Cela continue à ce jour même si le nombre de fidèles a diminué», se rappelle Madih, la cinquantaine, résident du quartier depuis sa naissance. Ce quartier du centre-ville de Casablanca est un des rares du pays à toujours abriter des synagogues encore actives. Un quartier qui concentre également les écoles et clubs juifs de la capitale économique.

Un peu plus loin, à l’intérieur même de l’ancienne médina, une synagogue a bénéficié d’un travail important de réhabilitation. Il s’agit de la synagogue Ettedgui, le lieu de culte juif le plus important de l’Ancienne médina avec la synagogue Souiriyine. Une synagogue qui a une histoire: «La famille Ettedgui, venue de Tétouan à Casablanca entre 1860 et 1862, habitait à l’intérieur du mellah jusqu’en 1873. C’est à cette époque que Moulay Hassan Ier monte sur le Trône. Au cours de sa tournée à travers le Royaume, il rencontre aussi des Juifs comme il était de coutume. La communauté juive lui demande de pallier au manque d’espace au Mellah, suite à l’arrivage massif de la population juive. Les Ettedgui,  famille bourgeoise juive marocaine de commerçants, étant «Tajjer El Sultan», obtiennent du Makhzen un terrain au «Tnaker» vers la porte de la marine, dans cette partie de la ville vide à l’époque et proche du port la sqalla», peut-on lire dans le document de présentation du lieu de culte. La construction se fait à la fin des années 20 du siècle dernier. «Nous avons opté pour un parti-pris architectural. L’idée générale du projet est de fabriquer l’union entre la synagogue, le jardin et les dépendances. L’enjeu étant de réutiliser et réhabiliter au possible pour préserver l’âme du lieu», nous a-t-on expliqué auprès de l’agence d’architecture qui s’est vu confier le projet de réhabilitation. La synagogue a été restaurée selon ses plans d’origine, avec des aménagements paysagers : le jardin initial a été préservé ainsi que les structures en bois de tuya, les verres colorés des fenêtres, les boiseries intérieures et extérieures ainsi que les luminaires. Le musée El Mellah a été construit tout à côté, dans un bâtiment adjacent à la synagogue. On y retrouve des tableaux retraçant l’histoire du judaïsme au Maroc.

A Draâ, les synagogues ressemblent aux mosquées

Le programme de réhabilitation des synagogues a touché des lieux de culte de tout le Maroc. A Fès, au cœur du Mellah, l’inauguration en février 2013 de la synagogue Slat El Fassiyin, qui date du 17e siècle, a été marquée par la présence de l’ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane. Puis il y a également les synagogues dans le milieu rural. «Le judaïsme rural dans certaines régions du Maroc a eu une importance fondamentale, et cela fait partie de l’histoire du pays. Malheureusement, les générations actuelles ne sont pas conscientes de cette dimension de leur histoire, il est donc important de préserver des traces tangibles en restaurant des espaces représentant la présence et la vitalité du judaïsme marocain», nous explique Abderrahim Kassou, architecte et ancien président de l’association Casa Mémoire. Il a eu lui-même la tâche de restaurer une synagogue située à Ifrane dans l’anti-Atlas. «Ifrane de l’anti-Atlas situé dans le Souss constitue un regroupement urbain caractéristique des zones présahariennes. La communauté juive y était importante à l’image de plusieurs villages des vallées de Ziz et du Draa notamment. La restauration de cette synagogue s’inscrit dans le cadre des efforts entrepris par la Fondation du judaïsme marocain, et en particulier par feu Simon Lévy, afin de préserver l’héritage du judaïsme marocain en tant que composante du patrimoine national», ajoute M. Kassou. Peut-on parler de diversité architecturale des synagogues marocaines? «Les synagogues au Maroc sont différentes selon leur situation ainsi que la communauté qui les a réalisé. Il y a plus de ressemblance entre une synagogue du Draâ et une mosquée du Draâ par exemple, qu’entre une synagogue du Draâ et une synagogue de Fès ou de Tétouan», conclut-il.

Les travaux de restauration ont également profité aux cimetières juifs. En tout, 167 sites ont été réhabilités. Des cimetières dans les villes comme dans les campagnes, répartis sur tout le territoire national. «Ce sont des pages entières d’archives de terre et de pierre que nous ont restitué au fur et à mesure ces sites réhabilités. L’initiative a permis de réhabiliter 167 cimetières, construire plus de 40 kilomètres de murs, rénover 169 portes de cimetières, outre 200000 mètres carrés de pavement et l’édification de dizaines de bâtiments et dépendances», déclarait en 2015 Serge Berdugo, secrétaire général du Conseil des communautés israélites du Maroc, à l’occasion de la fin des travaux de réhabilitation. Une réhabilitation d’une grande importance puisque, dans le milieu rural comme dans les petites villes, ces cimetières sont situés à proximité de sanctuaires juifs. A Ouazzane par exemple, en mai dernier, des milliers de pèlerins, du Maroc mais surtout de l’étranger, sont venus célébrer la Hiloula au sanctuaire de Rabbi Amram Ben Diwan, rabbin du 18e siècle et dont le site est l’un des plus importants du pays. Une tradition qui se perpétue depuis des décennies, à Ouazzane, mais également à Ben Ahmed, Azemmour, Essaouira, Errachidia, Salé, Oujda, Taroudant…

Les artistes marocains trouvent également dans ce patrimoine une matière pour leur création. Kamal Hachkar, réalisateur du film De Tinghir à Jérusalem, travaille sur la composante juive de l’histoire du Maroc. «Je voulais à la base comprendre, en tant qu’historien, pourquoi une partie de la population marocaine a quitté le pays dans les années 50 et 60 du siècle dernier. Je voulais donc exhumer une partie de notre histoire pour comprendre le présent». Pour lui, un effort doit être entrepris pour réhabiliter cette histoire juive du Maroc: «Il faut tout d’abord réformer radicalement les manuels scolaires qui forment aujourd’hui une génération d’amnésiques sur cette part identitaire de notre pays. Il y a une nécessité d’inscrire toutes nos composantes nationales dans un récit collectif afin de le transmettre aux générations futures. Et cela ne peut passer que par l’école». Et de conclure: «Les rénovations des synagogues et des cimetières, c’est une bonne chose. Mais il faut en faire des espaces vivants, qu’il y ait des activités dans ces lieux, des rencontres artistiques, des signatures de livres, des projections de films, des débats. Et que des écoliers, lycéens et étudiants puissent les visiter et se les approprier».

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