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Le Moyen-Orient des trois solitudes, par David Bensoussan 

Le Moyen-Orient des trois solitudes, par David Bensoussan 

La rivalité entre la Turquie, l’Iran et l’Arabie en est une entre nations, mais aussi entre des mouvances différentes dans l’islam. Elle prend une ampleur grandissante.

Le contexte historique

L’Empire ottoman et la Perse (la Turquie et l’Iran des temps présents) ont été des grands empires par le passé et ont aujourd’hui des ambitions hégémoniques sur l’ensemble du Proche-Orient.

La rivalité entre Chiites (principalement en Iran) et Sunnites est séculaire. Pour les mouvances sunnites, la révision chiite de l’islam est considérée comme hérétique. L’Arabie et la Turquie sont des pays en majorité sunnites; toutefois, la version wahhabite de l’islam en Arabie est bien plus rigoriste.

Les ambitions hégémoniques

Le régime saoudien tire parti de l’aura que lui confère la garde des lieux saints de l’islam que sont La Mecque et Médine. Les pétrodollars ont donné une puissance financière exceptionnelle à l’Arabie saoudite qui de fait a rarement été critiquée tant le Moyen-Orient et les économies occidentales dépendent de la manne saoudienne.

L’Iran souhaite étendre sa révolution à l’ensemble du monde islamique et y investit des énergies considérables. Il a étendu son influence sur l’Irak après la déchéance du dictateur sunnite Saddam Hussein, soutenu le régime du dictateur syrien, surarmé le Hezbollah au Liban ainsi que les Houtis au Yémen. L’Iran paie pour les armes syriennes achetées en Russie et finance des dizaines de milliers de mercenaires chiites en Syrie et en Irak.

La Turquie révère la puissance ottomane passée qui s’est étendue de l’Irak à l’Algérie. L’actuel président turc a attendu de pouvoir écarter les militaires du pouvoir au nom de la démocratie pour effacer graduellement l’héritage laÑ—c d’Atatürk et s’octroyer la prérogative d’un dictateur. La Turquie a perdu le crédit qu’elle avait en tant que république islamique modérée que les partisans du Printemps arabe voulaient émuler.

Arabie et Iran

Depuis 1979, l’Arabie a combattu la volonté de la République islamique d’Iran d’étendre son influence dans le monde musulman. L’Iran a été l’instigateur des manifestations à la Mecque qui ont tourné au massacre plus d’une fois. L’Arabie a condamné à mort le clerc chiite saoudien Nimr Baqer el-Nimr en 2016 et considère les Gardiens de la révolution iraniens comme une entité terroriste. Les relations entre ces deux pays ont été rompues à maintes reprises.

Arabie et Turquie

La Turquie tente d’étendre son influence en se basant sur la mouvance des Frères musulmans avec l’appui financier du Qatar. La prise du pouvoir des Frères musulmans en Égypte aura été brève et l’Arabie les a combattu, les qualifiant de terroristes. L’Arabie et les États du Golfe soutiennent l’embargo américain contre l’Iran et boycottent le Qatar dont la chaîne de télévision Al-Jazeera critique durement tous les gouvernements de la région sauf le sien.

La Turquie et l’Arabie saoudite sont opposées au régime dictatorial syrien. Par le passé, ces pays ont soutenu des radicaux islamistes pour combattre ce régime soutenu par l’Iran. L’Arabie a également financé l’entité kurde du Nord de la Syrie que la Turquie qualifie de terroriste.

Turquie et Iran

La Turquie et l’Iran cherchent à avoir le monopole des marchés irakien et syrien. Ces deux pays briment les droits fondamentaux de 40 millions de Kurdes du Proche-Orient auxquels ils refusent toute forme d’autonomie. Un mur est bâti le long de la frontière turco-iranienne.

La crise actuelle

Depuis le 4 novembre 2018, l’embargo sur les exportations de pétrole iranien imposé par les États-Unis est entré en vigueur. De nombreuses compagnies européennes se sont retirées du marché iranien. Même l’Irak dominé par sa majorité chiite hésite à faire transiter le pétrole iranien.

L’Iran gouverné par des mullahs qui prônent le martyre subit déjà les contrecoups de l’embargo américain. Il a de moins en moins les moyens de faire valoir sa politique dans la région et son marché dépend de plus en plus de la Russie et de la Chine.

Le président turc Erdogan a cherché à mettre publiquement dans l’embarras l’héritier de la couronne saoudienne Mohamed Ben Salmane (MBS) à propos du journaliste saoudien Khashoggi assassiné dans le consulat saoudien à Istanbul.

En orchestrant des révélations touhours plus embarassantes pour l’Arabie, Erdogan espère que MBS sera écarté du pouvoir du fait que ce dernier s’est fait beaucoup d’ennemis au sein de la famille royale : il n’était normalement pas dans l’ordre de la succession et a forcé de puissants magnats de rembourser le trésor saoudien.

Si MBS s’en sort de la présente crise, la Turquie se sera mis sur le dos l’Arabie et les États du Golfe sauf le Qatar, et mettra en danger près de 10 milliards d’exportations turques vers ces pays. Elle se retrouvera alors isolée dans la région, tentant de marcher sur la corde raide entre les pressions russes et américaines.

La Turquie qui fait partie de l’OTAN veut acheter un système de défense anti aérien russe S-400, au grand dam des États-Unis.

Pour l’Arabie, le scandale du meurtre de Khashoggi aura été une leçon d’humilité impensable par le passé. En toute probabilité, l’Arabie s’accrochera encore plus à l’Occident.

Le Moyen-Orient des trois solitudes est en marche.

Si par le passé, l’Iran et la Turquie avaient soutenu Israël contre les menaces hégémoniques des pays arabes sunnites, nous sommes témoins aujourd’hui de l’inimitié violente de ces pays envers Israël et du rapprochement de plus en plus public de la majorité des pays arabes sunnites avec Israël.

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