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Le piège de Trump se referme sur l’Iran

Le piège de Trump se referme sur l’Iran (012504/19) [Analyse]

Par Amram Castellion © Metula News Agency

 

 

Les décisions de l’administration Trump sont toujours accueillies par la presse domestique et internationale selon le même protocole.

 

D’abord, on assure d’un air entendu que Trump ne fera pas ce qu’il a annoncé. C’est un beau parleur ; il n’aura jamais le cran de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem, de remettre en cause le régime commercial multilatéral, de rencontrer Kim Jong-Un face à face, de retirer les troupes américaines de Syrie, de retirer les Etats-Unis de l’accord nucléaire iranien, ou de lâcher la justice américaine contre les chefs Démocrates qui ont espionné la campagne Trump en 2016 et fabriqué un faux dossier de renseignements pour l’affaiblir. Cette première ligne est d’ailleurs souvent rendue crédible par les délais assez longs qui peuvent s’écouler entre l’annonce et sa réalisation.

 

Puis, Trump fait ce qu’il a dit ; on annonce alors des catastrophes. Les droits de douane vont arrêter la croissance ! Quelques mots aimables envers Poutine annoncent la fin de la présidence Trump ! Les Iraniens vont s’installer à la frontière d’Israël ! Le retrait de Syrie va conduire au massacre des Kurdes d’Irak ! La rhétorique martiale de Trump annonce une guerre nucléaire avec la Corée du Nord ! Le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et la reconnaissance de l’appartenance à Israël du plateau du Golan vont mettre le Moyen-Orient à feu et à sang ! Si des Démocrates sont mis en accusation, ce sera la fin de la démocratie américaine !

 

Enfin, on constate que rien de catastrophique ne s’est produit. La croissance américaine atteint des records historiques malgré les droits de douane ; l’Armée turque n’attaque pas les Kurdes d’Irak ; les relations avec la Corée du Nord se détendent ; la situation stratégique du Moyen-Orient s’améliore avec un repli des Perses, l’élimination méthodique par Israël de leurs actifs en Syrie et une absence totale d’action contre les nouveaux faits établis par les Etats-Unis.

 

Le caractère systématique de ce cycle devrait faire soupçonner aux commentateurs que Trump a intégré dès le départ le risque des conséquences néfastes qu’ils mettent en avant et que s’il agit souvent longtemps après ses premières annonces, c’est précisément qu’il attend d’avoir trouvé le moyen de contrer les risques inhérents à ses décisions. Mais les commentateurs sont si investis dans la fable d’un Trump instinctif et bas du front qu’ils préfèrent ne pas tirer la conclusion qui s’imposerait de cette observation pourtant simple : les conséquences désastreuses des décisions de Trump qu’ils annoncent depuis deux ans et demie ne se sont, tout simplement, jamais produites.

 

Il ne reste donc plus aux commentateurs qu’à espérer que leurs erreurs ne seront pas repérées et à annoncer que la dernière décision en date de Trump ne se fera pas, ou qu’elle entraînera des catastrophes.

 

Il n’y a donc rien d’étonnant aux critiques unanimes de la presse Démocrate américaine (et de la presse européenne qui ne fait le plus souvent que répéter la première) lorsque, lundi dernier, la Maison Blanche a annoncé qu’elle ne renouvellerait plus, dès le 2 mai prochain, aucune exemption aux sanctions américaines sur les importateurs de pétrole iranien.

 

Trois pays sont principalement concernés : la Chine, l’Inde et la Corée du Sud, qui achètent à elles trois les deux tiers des exportations iraniennes de pétrole, soit 1 millions de barils par jour (mb/j) sur les 1,5 millions exportés par l’Iran.

 

Les différents commentateurs affirmaient depuis longtemps que les Etats-Unis allaient renouveler les exemptions pour ne pas faire monter les prix à la veille de l’été, saison durant laquelle les Américains utilisent le plus leur voiture. Après s’être trompés sur cette prédiction, ils répètent depuis trois jours que la décision de Trump sera un échec, qu’elle va renforcer le pouvoir iranien contre son opposition, que l’Iran continuera à exporter du pétrole et (sans trop se soucier de la contradiction) que la fin des exportations iraniennes va créer une crise sur le marché.

 

Il suffirait de se référer aux prédictions précédentes des mêmes commentateurs pour savoir que ce ne sera pas le cas. Mais on peut parvenir à la même conclusion en rappelant les principaux chiffres du marché du pétrole.

 

Sur ce marché, se vendent chaque jour 100 millions de barils en moyenne. L’Arabie Saoudite à elle seule en vend 8,3 millions, la Russie 5,1 millions, l’Irak 3,8 millions et les Etats-Unis 3,2 millions.

 

Par comparaison, l’Iran, qui vendait 2,7 millions de barils par jour (mb/j) avant l’imposition des sanctions américaines en novembre dernier, ne parvient plus à en vendre que 1,5 mb/j. Lorsque cette production disparaîtra du marché, l’Arabie Saoudite et les autres alliés arabes de l’Amérique dans le Golfe ont largement la capacité nécessaire pour se substituer aux Iraniens. L’Arabie Saoudite, à elle seule, a 2,2 mb/j de capacités inemployées et les autres pays arabes du Golfe, 1 mb/j.

 

L’Arabie Saoudite a annoncé qu’elle attendrait que la fin des contrats iraniens soit confirmée avant d’augmenter sa propre production. Mais cela ne pourra lui apporter qu’une augmentation modeste des cours à court terme, qui a déjà commencé : depuis vendredi dernier, le prix Brent a gagné 2 dollars par baril pour se situer entre 74 et 75 dollars. Comme les capacités inemployées totales sont supérieures au manque à gagner venant de la perte des contrats iraniens, il n’y a aucune raison de penser que le prix total monte beaucoup plus haut dans les prochains mois.

 

Quelles sont les chances pour que la décision soit un échec et que l’Iran continue à exporter les mêmes montants qu’aujourd’hui ? Strictement égales à zéro.

 

Parmi les principaux clients restants de l’Iran, la Corée du Sud (et le Japon, qui a déjà fortement baissé ses importations iraniennes) sont dépendants des Etats-Unis pour leur sécurité et n’ont donc pas d’autre choix que d’obéir.

 

L’Inde a plus de marge de manœuvre, mais aucune grande entreprise indienne ne peut se permettre de perdre le marché américain, conséquence inévitable d’une désobéissance aux sanctions américaines.

 

La Chine aurait plus de capacité à résister ; mais elle est en ce moment même au cœur d’une négociation commerciale très difficile avec les Etats-Unis, dont dépendra largement son taux de croissance au cours des prochaines années. Puisque des sources alternatives de pétroles sont disponibles, elle n’a aucun intérêt à défier son grand rival sur un sujet qui a beaucoup plus d’importance aujourd’hui pour l’Amérique que pour la Chine.

 

Il est donc d’ores et déjà à peu près certain que d’ici deux ou trois mois, les exportations iraniennes seront réduites, sans doute pas à zéro comme l’espère la Maison Blanche (il restera toujours quelques exportations frauduleuses, passant essentiellement par des complicités irakiennes), mais à une petite fraction de ce qu’elles sont aujourd’hui – c’est-à-dire déjà à peine plus de la moitié de ce qu’elles étaient il y a un an.

 

Quant à affirmer que cet effondrement des exportations va renforcer le pouvoir des mollahs contre son opposition, il faut pour cela faire fi de quelques évidences pourtant bien établies.

 

D’une part, un pouvoir dont la population souffre est rarement populaire. Or, la perte des revenus du pétrole sera une catastrophe pour l’économie iranienne.

 

En 2018, les revenus du pétrole ont représenté 50 milliards de dollars, pour une richesse totale produite de 454 milliards. Le pétrole représentait, avant l’imposition des sanctions, 70% des exportations du pays.

 

La perte de cette richesse provoquera inévitablement du chômage, de l’appauvrissement, de la faim et du désespoir. Ce ne sont pas les ingrédients les plus fréquents de la popularité d’un pouvoir.

 

D’autre part, le régime iranien, comme tous les régimes, a besoin d’argent pour se maintenir. Or, les revenus du pétrole représentaient avant les sanctions américaines environ 40% du revenu total de l’Etat iranien.

 

Une coupe aussi profonde dans le budget de l’Etat signifiera inévitablement moins de services publics pour la population iranienne : moins d’hôpitaux, moins d’écoles, mais aussi moins de policiers pour contrôler et réprimer les opposants, ou des policiers moins bien payés et moins motivés.

 

Ce n’est pas un hasard si, malgré les forces de répression considérables dont le régime dispose, toutes les villes iraniennes connaissent depuis dix-huit mois des épisodes réguliers de rébellion qui auraient été inimaginables il y a quelques années : manifestations avec des slogans hostiles au régime (« L’ennemi est ici », « Mort à la Palestine »), femmes retirant leur voile en public ou se filmant en train de danser. C’est le signe que malgré les nombres, la police, les Basij [l’équivalent des S.A nazis. Ndlr.] et l’armée – et même, à l’occasion, les très loyaux Gardiens de la Révolution – ont perdu une grande partie de leur motivation pour imposer le respect du régime.

 

Si eux-mêmes n’y croient plus, ce régime ne pourra plus durer longtemps. Sa chute ne peut qu’être accélérée par la perte de 40% de ses revenus.

 

Certains commentateurs annoncent que le régime iranien pourrait répondre par une augmentation de ses agressions militaires : nouvelles attaques terroristes à l’étranger, voire blocage du détroit d’Hormuz.

 

Il n’est pas impossible qu’il le tente. Mais le retard technologique de l’Iran dans le domaine militaire est tel que ce ne pourrait être qu’un mouvement suicidaire de la part d’un régime en fin de course. D’ores et déjà, les sommes considérables engagées par l’Iran pour construire une base anti-israélienne en Syrie se sont évaporées sous les coups répétés et parfaitement informés de l’Aviation israélienne. La présence de navires américains dans le Golfe – commandés désormais par Trump, et non plus par l’allié de l’Iran qu’était Obama – signifie qu’une tentative de bloquer le détroit d’Hormuz se terminerait par la perte complète de la flotte iranienne en quelques heures. Et naturellement, là aussi, la perte de revenus signifie une réduction drastique des capacités opérationnelles des forces iraniennes.

 

Le plus probable est donc que le régime iranien cherchera à assurer sa survie en se soumettant, jusqu’à un certain point, et sans le dire, aux exigences de Trump. Celui-ci, après tout, ne demande pas explicitement la fin du régime. Il exige la fin de l’enrichissement de l’uranium, la fin du soutien financier aux groupes terroristes et la fin du programme de développement de missiles.

 

Ces exigences sont contraires aux principes fondateurs de la République islamique, qui n’existe que pour exporter l’islam chiite duodécimain à la planète entière. Elles ne seront donc jamais ouvertement acceptées par le régime.

 

Mais les exigences américaines sont aussi conformes aujourd’hui à l’intérêt de la nation iranienne, qui est de maintenir sur son territoire les sommes actuellement versées aux terroristes étrangers (dont le Hezbollah et le Hamas) et de desserrer, si possible, l’étau des sanctions. De plus, la perte des revenus du pétrole ne laissera pas vraiment de choix au régime. Les ressources disponibles pour le terrorisme, les missiles et l’enrichissement vont baisser comme les autres.

 

Nous allons donc assister, dans les prochains mois, à une combinaison de provocations verbales du régime islamiques et de soumission de fait aux exigences américaines. Le financement du terrorisme et des missiles ne cessera pas, mais il sera réduit. Des attentats sont possibles, mais ils éviteront soigneusement de s’en prendre aux intérêts stratégiques des Etats-Unis.

 

Il est impossible de savoir combien de temps ce mélange de défi rhétorique et de soumission de fait permettra aux mollahs de conserver le pouvoir sur une population désormais majoritairement hostile. La seule certitude que nous pouvons avoir est qu’aucun régime ayant pour ambition la révolution mondiale n’a jamais duré éternellement. Encore moins lorsque cette ambition a définitivement perdu toute crédibilité – et que la population du pays en est parfaitement consciente.

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