Le plan américain n’est pas ce qu’on vous a raconté (info # 012906/19) [Analyse]
Par Sami el Soudi © Metula News Agency
Les Palestiniens ont une fois de plus manqué le train en ne participant pas à la conférence de Bahreïn qui s’est tenue cette semaine. L’Autorité palestinienne, sans parler du Hamas, a tout fait pour persuader les Etats arabes de ne pas se rendre à Manama. Elle a échoué dans cette tentative, la plupart de ces pays envoyant des délégués pour participer à cet évènement. Pour couronner cet échec, tous ont accueilli favorablement la démarche de l’administration Trump visant à progresser dans la solution du différend avec Israël en commençant par le volet économique. Tous ont également souligné le fait que cette démarche ne devait ni remplacer ni occulter la discussion politique.
On peut certes tenter de minimiser la portée de cette rencontre mais on aurait tort. Il est vrai qu’on n’y a pris aucune résolution et que la plupart des délégations officielles étaient composées d’acteurs de second plan. Il n’y avait pas même de délégation israélienne mais des représentants officieux, beaucoup d’hommes d’affaires et de spécialistes des questions sécuritaires. On y vit aussi des media de l’Etat hébreu, qui ne se gênèrent pas pour diffuser une très large couverture de la conférence ainsi que de nombreuses interviews des délégués arabes, de ministres, mais également d’individus privés exposant tous favorablement les perspectives d’une coexistence pacifique avec Israël.
Comme on s’y attendait, on a parlé de ce que l’on pourrait faire pour lancer l’économie palestinienne avec un budget de cinquante milliards de dollars, y compris des investissements dans les pays limitrophes de l’Autonomie afin d’y créer les synergies nécessaires à la réussite du projet, et d’associer ces Etats au succès escompté de cet espèce de Plan Marshall.
On a également énormément devisé, en séance plénière et surtout en coulisses, sur le problème principal commun posé par l’Iran et partant, sur l’élargissement de la coopération technique et militaire entre le monde sunnite et Jérusalem. Une coopération qui dure déjà depuis de nombreuses années et dont le chiffre d’affaire atteint désormais des dizaines milliards de dollars ; la technologie bleu-blanc se rencontre partout dans le Golfe persique ainsi qu’en Arabie Saoudite. Elle est particulièrement présente dans le domaine du Renseignement, de l’encadrement et de la fourniture de matériels, dans tout ce qui touche à la défense face à l’Iran, à la confrontation avec les Houthis au Yémen, à la guerre antiterroriste et aux activités militaires conjointes. Ce n’est un secret pour personne qu’il existe des patrouilles aériennes mixtes israélo-jordaniennes autour de la Syrie et des interventions aériennes opérationnelles de l’Aviation israélienne dans le Sinaï à la demande du gouvernement égyptien.
A ce qui précède, il convient d’ajouter qu’en cas de conflit ou d’opération contre l’Iran, le ciel et les infrastructures arabes seront totalement ouvertes aux activités de l’Armée israélienne. D’ailleurs, ils le sont déjà très largement.
Tout cela appartient-il à la sphère symbolique et à une dynamique de rapprochement pas à pas entre le monde arabe et l’Etat hébreu. La réponse est non, sans la moindre hésitation.
Ce qu’il importe de considérer est l’objectif recherché par Jérusalem dans ses relations avec les pays arabes. Certes, à part la Jordanie et l’Egypte, il n’existe pas d’ambassades de ces Etats dans l’entité sioniste, bien que les représentations officielles de cette dernière, ayant pignon sur rue, se multiplient dans les émirats du Golfe.
Mais le but recherché par Jérusalem n’a jamais été de développer des clubs de vacances à Médine pas plus qu’à Abou Dabi ou à Mascate. Ni de leur vendre des automobiles que l’Etat hébreu ne produit pas, non plus que d’essayer de les convertir à la démocratie voire au sionisme.
Le but ultime pour les Israéliens consistait à mettre un terme à la menace militaire arabe qui, voici quelques années encore, constituaient une menace existentielle visant leur pérennité dans la région. Or cette menace a complètement disparu. La seconde attente concernait la coopération dans le domaine sécuritaire et contre la menace terroriste : elle est également comblée. Le troisième objectif visait la vente aux pays du Moyen-Orient des produits dans lesquels Israël excelle, à savoir l’exportation de savoir faire et de matériel technologique et militaire, or dans ce domaine-là, les résultats dépassent toutes les espérances. Les ventes de ces produits vont, durant les prochaines années, participer pour une part toujours plus manifeste dans les revenus des Hébreux.
Reste un domaine dans lequel leurs espérances ne sont pas encore réalisées, c’est celui de la normalisation. La cessation de la posture automatiquement hostile des Arabes dans les institutions internationales, l’ouverture des frontières au plus grand nombre et la normalisation des rapports diplomatiques.
Ceci dit, on peut d’abord se demander avec qui les Etats arabes ont-ils des relations normales ? Pas même entre eux, plusieurs frontières restant même infranchissables entre pays musulmans ou appartenant à la Ligue Arabe. On peut ensuite souligner, ce qui est sans doute difficile de comprendre pour les Occidentaux, que la plupart des régimes arabes ne souhaitent pas cette ouverture, restant campés sur leurs particularismes, jaloux de leurs exceptions et de la licence qu’ils prennent pour contourner les principes généraux et individuels attenants aux droits de l’homme, et à leur application médiévale de la loi religieuse, de la torture et de la peine capitale. Est-il difficile de comprendre que les Saoudiens, par exemple, n’ont pas très envie de voir déferler un tsunami de touristes israéliens en shorts et en T-shirts dans le souk de Médine, prenant des photos de tout ce qu’ils y voient ?
Contrairement aux aspirations des Palestiniens, une lecture simple de la situation permet de conclure que les Israéliens ont d’ores et déjà obtenu tout ce qu’ils désiraient dans leurs relations avec le monde arabe. Pour Jérusalem, les rapports qui prévalent ainsi que la dynamique qui a été lancée satisfont ou excèdent les expectations.
Elles peuvent demeurer ce qu’elles sont aujourd’hui pendant des décennies, sans concevoir un besoin urgent de solutionner le différend compliqué qui les oppose à nous. On se passe aussi bien des touristes israéliens à Djeddah que des touristes omanais à Tel-Aviv.
Pour ne rien retrancher au succès du rapprochement israélo-arabe spectaculaire, on constate que chaque initiative telle que la réunion de Manama, lors de laquelle on fait des affaires, on se découvre des dénominateurs communs et on ne parle que d’horizons pacifiques minimise l’importance de la cause palestinienne. Déjà, si on obligeait les pays arabes ayant participé au sommet de Bahreïn de choisir entre couper les ponts avec Jérusalem ou Ramallah, la réponse unanime ne conforterait pas les Palestiniens.
Force est de constater que nos dirigeants commettent toutes les erreurs possibles, ce qui est une habitude chez eux. Ils ont refusé le plan de partage en 1947 qui nous octroyait la plus grande partie des terres cultivables, le plan Gunnar Jarring en 1967, la possibilité de conclure la paix à deux Etats avec le gouvernement Olmert en 2009, qui nous accordait 97% de la Cisjordanie et l’entièreté de Gaza, et maintenant, ils se barricadent dans le refus et dans leur isolement, facilitant ainsi le rapprochement tectonique entre nos "frères" et nos adversaires.
Comme après chaque occasion manquée, l’étendue de nos revendications et donc de notre marge de manœuvre va se retreindre davantage ; on ne va plus pouvoir espérer qu’une autonomie étendue voire un sous-Etat ne jouissant que de prérogatives limitées, ce qui revient pratiquement au même.
Pourtant, le plan Kushner est construit très intelligemment. Il ne contient aucune provision politique, ne nous demande de faire aucune concession, n’oblitérant ainsi aucune de nos revendications nationales et de nos aspirations. Dans son acception formelle, non plus que dans ses intentions, il ne prévoit pas leur remplacement par l’octroi d’avantages financiers ; il n’est nulle part question d’acheter notre émancipation contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Ceux qui prétendent le contraire ne l’ont pas lu ou participent à la propagande de l’Autorité Palestinienne dans le but de justifier son opposition.
En fait, sa dynamique est totalement différente : elle vise à enrichir la Palestine afin de réduire la haine engendrée par la misère et le désœuvrement que connaît une portion tangible de mes compatriotes. Le plan part du principe que ce qui a fait échouer toutes les négociations jusqu’à maintenant réside dans la différence abyssale de bien-être et de perspectives entre les Israéliens et les Palestiniens.
Non seulement le plan Kushner ne réduit-il pas le champ de nos aspirations théoriques, encore son dévoilement démontre qu’il n’a pas été développé conjointement entre Washington et Jérusalem. Il comprend en effet des clauses, à l’instar de la construction d’une route palestinienne reliant Gaza à la Cisjordanie, qui ne sont assurément pas du goût de la droite israélienne qui œuvre à la dislocation du lien entre ces deux territoires et leur avenir distinct.
Il nous faut honnêtement comprendre quelque chose : notre cause, la cause palestinienne, a été gonflée en revendication nationale afin de procurer aux Etats arabes qui pensaient y parvenir une légitimation afin de rayer Israël de la carte. Durant la Guerre de 1948, la Campagne de Suez en 56, et la Guerre des Six Jours en 1967, la création d’un Etat palestinien n’a jamais été prise en compte par les grands Etats arabes, ce qui faisait que le monde accordait sa sympathie à Israël, menacé de guerre d’extermination par des forces numériquement et matériellement dix fois supérieures.
La preuve la plus évidente ? De 1948 à 1967 Gaza, la totalité de la Cisjordanie et plus de la moitié de Jérusalem étaient sous souveraineté arabe indisputée, or il ne fut jamais question d’y fonder un Etat palestinien.
L’avènement de la revendication nationale palestinienne, inventée par le KGB et le Renseignement égyptien sous Nasser, et brillamment défendue par le tribun Arafat, à grands renforts d’attentats anti-israéliens et anti-occidentaux et de détournements d’avions, fonctionna et généra un basculement des sympathies dans le monde en faveur de ce peuple privé de terre que nous constituons, au détriment des Israéliens devenus occupants et dont l’existence, depuis la Guerre d’Octobre [Guerre de Kippour], en 1973, au plus tard, n’était plus remise en doute.
Nouveau changement désormais : les Etats arabes n’ont plus l’intention d’éradiquer Israël mais d’utiliser son expertise afin de combattre l’ennemi chiite. Les scories de l’alibi palestinien ne sont plus nécessaires, plus encore, d’un point de vue strictement stratégique, elles gênent.
Reste nous. Nous qui avons grandi en nombre, nous qui n’appartenons à aucun autre pays arabe, qu’Israël n’a aucune intention d’intégrer, nous qui avons tant cru que nous constituons une nation, que nous avons fini par en constituer une. Nous ne sommes pas du vent, nous sommes des êtres humains qui, comme les autres êtres humains, possédons le droit fondamental de nous gouverner nous-mêmes.
En 1910, nous étions les Arabes de Palestine, sans ambition d’émancipation clairement articulée, mais trois fois plus nombreux que les Juifs ; maintenant, pour paraphraser Luigi Pirandello, nous sommes quatre millions et demi de citoyens en quête d’Etat.
La question qui se pose à nous est strictement tactique : quelle est la meilleure façon de parvenir à nos fins ? En nous prostrant dans le refus, en estant auprès de la Cour Pénale Internationale en cherchant à faire accuser Israël pour des crimes imaginaires ? En risquant, comme c’est le cas actuellement, de nous trouver accusés par la même instance relativement aux tortures bien réelles que l’Autonomie Palestinienne fait subir à ses opposants politiques, en premier lieu les sympathisants du Hamas ? En soutenant le BDS sans avoir fait reculer d’un seul pour cent les exportations d’Israël ni les investissements dans celui-ci ? En rémunérant avec l’argent des pays donateurs les auteurs d’assassinats d’Israéliens et leurs familles ? En entretenant la haine à l’école ? En mettant le feu au Néguev et en jetant la population de Gaza sur les barrières dans l’espoir qu’elle se fasse tuer ?
En énonçant ces éventualités, on comprend bien qu’elles ne mènent pas à notre émancipation. Elles servent à entretenir la haine du peuple jusqu’à ce qu’il se lasse de haïr ou jusqu’à ce que nos "frères" arabes négocient une solution sur notre dos. Ou se désintéressent de nos revendications, comme c’est déjà le cas.
L’autre option consiste à participer à la négociation du plan Kushner. Parce que la puissance qui détermine l’avenir de la Planète, celle sur laquelle compte le monde arabe, n’est pas la France, l’Islande ou l’Irlande mais l’Amérique.
Commencer par mettre nos jeunes au travail, les faire participer à l’essor de la région et du monde est une bonne manière de mettre un processus en mouvement. Particulièrement lorsque l’on a échoué dans toutes nos autres tentatives. Particulièrement, aussi, si cela nous donne la possibilité de vérifier que l’argent promis est effectivement investi et si l’on peut s’assurer que la partie politique de la négociation soit engagée à brève échéance et non aux calendes grecques. Ce que personne ne fera à notre place si nous continuons à boycotter les uniques discussions qui concernent notre avenir.
La plupart des Palestiniens n’ont pas les outils pour saisir ce que représente l’apport de cinquante milliards de dollars dans notre économie, moi, j’ai acquis l’éducation pour le comprendre, cela change à la fois notre condition et notre posture. Cela peut participer à faire de nous une nation capable de s’incérer dans la marche du monde.
Le problème principal réside en la psychorigidité de nos dirigeants, d’un Mahmoud Abbas en fin de course et d’une cour de barons, plus corrompus les uns que les autres, craignant inlassablement de perdre leurs privilèges. Car il est vrai que l’apport des cinquante milliards est conditionné par leur stricte planification avec les donneurs et les Américains ainsi que le non moins strict contrôle extérieur de leur affectation. C’est comme demander à un conseil municipal d’une ville provinciale de l’ex-URSS de penser l’an 2050, de tourner la page d’une époque et de s’adapter aux nouvelles réalités régionales et globales.
Notre drame est que notre avenir dépend d’eux, qu’ils sont inamovibles et qu’ils sont déjà repus de l’argent qui nous était destiné et qu’ils ont détourné. Ils ne manquent de rien. Le train ne s’est pas arrêté. Il faut dire que nous ne possédons pas la moindre gare.
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