Le sel de Christelle Harbonn à La Criée de Marseille
PAR David Rofé-Sarfati
A La Criée de Marseille Christelle Harbonn monte avec son art mature de la scénographie surréaliste une pièce écrite par elle et Karima El Kharraze. Le Sel consiste en une poignante parabole sur l’amour, l’exil et l’origine. Elle empoigne le public.
Le Sel est la fabuleuse histoire d’Éphraïm Barsheshet, jeune Marocain juif qui aurait, selon la légende fait le voyage entre Marrakech et Jérusalem à dos d’âne. Le sel, mellah en hébreu et en arabe, est à la fois ce qui se partage entre amis à la table de la convivialité marocaine et le nom du quartier Juif de Marrakech. En préambule la parabole d’un jeune oiseau qui tombe de son nid pour atterrir dans un autre nid, une autre famille, différente, raconte une histoire de déraciné et d’exil. Notre conteur porte un sac à dos, car il s’agit de voyage aussi.
Une mythologie familiale qui traverse les siècles
En 1890, à Marrakech Ephraïm, malgré son amour pour Efrat, part étudier en Terre Sainte pour devenir rabbin. En 2020 Jésus, son arrière-arrière-petit-fils, installé avec son compagnon à Paris s’interroge sur ses origines. Nous partageons les aspirations d’Ephraïm , le marocain juif amoureux et marié à une musulmane, et celles de Jesus, pas assez juif pour les rabbins, car de mère non-juive, pas assez normal pour sa tante Suzanne, car homosexuel.
Nous sommes saisis, embarqués comme à chaque fois avec Christelle Harbonn dans un rêve initiatique, un transport, et parce qu’il s’agit de transports justement, dans une pérégrination aussi fantasmagorique qu’érotique. La scénographie est merveilleuse, les moments de grâce nombreux. Un mythe se construit devant nous à un rythme soutenu. Les comédiens sont exceptionnels de pluralité et de sincérité. Michael Charny, Tamara Saade, Gilbert Traïna jouent ensemble et par eux leurs personnages vivent une expérience de coexistence toujours apaisée. Et si Ephraïm tel un Ulysse Juif fera un long voyage, celui-ci sera relaté par une Hélene-Efrat, en arabe!
Il n’est jamais trop tard pour avoir une belle origine
Notre époque a définitivement dégroupé la paternité ou la maternité de la procréation. Jadis, l’art culinaire avait osé dire que nous ne mangerons plus pour seulement nous nourrir. Depuis longtemps aussi la sexualité s’est disjoint de la seule reproduction. Le mariage pour tous, la PMA, l’adoption ouverte aux couples de même sexe ont opéré le dernier mouvement de civilisation. Nous aimons pour un autre but que frayer et reproduire l’espèce.
Tout commence dans Le Sel par un couple d’homosexuels qui souhaite adopter un enfant. Ce couple aura beaucoup à nous apprendre. Sous leurs interrogations concernant leur adoption se dévoilent l’énigme commune à tous et qui constitue la première brique du moi. Un enfant doit justifier son existence au monde. Ses origines et son roman familial portent en eux sa légitimité.
La pièce pose sous forme d’une anxiété partagée l’impasse des origines floues ou perdues. Ce couple homosexuel se confronte à la question fondamentale de l’origine que tout père ou mère offre et impose à son enfant. Au milieu d’un magnifique rêve théâtralisé, Jesus fabriquera une fiction des origines pour lui et son futur enfant. Ce récit les sauvera.
Dans un échange téléphonique final avec son père, il découvrira le point de convergence qui permet rétroactivement de permettre tout récit, le ferment de nos âmes: l’amour. La pièce universelle est bouleversante.
Le Sel
Création 2021 à La Criée
1h40
Spectacle en français, hébreu et arabe surtitré
Texte Karima El Kharraze & Christelle Harbonn Dramaturgie Karima El Kharraze Traduction Karima El Kharraze & Michael Charny Scénographie Sylvain Faye Création sonore Gwennaëlle Roulleau Création lumière Jean-François Domingues Création Costume Camille Lemonnier Régie plateau Marion Piry Stagiaire mise en scène Célia Pistono Administration Romain Picolet
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