Les deux ennemis jurés d'Israël : l'Iran et les Palestiniens
La multiplicité des menaces auxquelles Israël est confronté le différencie de tous les autres États contemporains
par Daniel Pipes
Les événements qui ont suivi le massacre du 7 octobre ont mis un fait en évidence : alors que la plupart des peuples et des gouvernements du monde acceptent l'existence d'Israël et souhaitent le bien de sa population, deux groupes d'ennemis déterminés, dont la nature et le caractère menaçant sont spécifiques à chacun, veulent détruire Israël et ses habitants juifs. Tant le régime iranien que les Palestiniens disposent de réseaux qui les rendent, chacun à leur façon, redoutables.
Contexte. L'État juif a été confronté à une avalanche inédite de six menaces. Celles-ci comprennent, par ordre décroissant depuis la plus violente :
Armes de destruction massive. L'Iran constitue la principale menace. Cependant, l'Irak et la Syrie ont déjà tenté de construire des bombes nucléaires tandis que l'Arabie saoudite, l'Égypte et la Turquie ont également manifesté leur intérêt en ce sens.
Attaque militaire conventionnelle. Des forces armées terrestres, navales et aériennes ont attaqué Israël à de nombreuses reprises, non seulement celles de l'Égypte, de la Jordanie et de la Syrie mais aussi de l'Arabie saoudite, de l'Irak et du Liban.
Guerre de basse intensité, également connue sous le nom de terrorisme. Les attaques sont venues de nombreux côtés, que ce soit de l'extrême gauche (par exemple, l'Armée rouge japonaise), de l'extrême droite (les néo-nazis), des nationalistes arabes (le Front de libération arabe), des nationalistes palestiniens (le Front populaire de libération de la Palestine) ou encore des islamistes (Hamas, Hezbollah, Houthis).
Offensive démographique. Les taux de natalité plus élevés offrent la perspective d'un écrasement d'Israël surtout si celui-ci est amené à ouvrir la porte à un « droit au retour ».
Boycott et blocus économiques. Les boycotts financiers et commerciaux ainsi que d'autres tentatives visant à affaiblir son économie ont toujours été une hantise pour Israël.
Délégitimation idéologique. En vue de saper l'attrait pour Israël, ses ennemis palestiniens et de gauche associent le sionisme à l'impérialisme, au communisme, au nazisme, à l'apartheid, au racisme, à la suprématie blanche, à l'exclusivisme juif et à d'autres idées répugnantes.
Cette liste appelle deux observations. D'une part, aucun autre État contemporain n'est confronté à une telle panoplie de menaces. En réalité, aucun autre État dans l'histoire ne l'a jamais été. En ce sens, Israël a hérité du fardeau des Juifs. D'autre part, Israël est effectivement venu à bout des numéros 2 à 5. Seuls les numéros 1 et 6 demeurent comme principaux défis, à savoir l'Iran et les Palestiniens.
La « ceinture de feu » iranienne, composée de sept foyers, entoure Israël sur trois côtés.
L'hostilité de Téhéran. Depuis sa création, la République islamique d'Iran s'est définie par son hostilité envers les États-Unis et Israël, qu'elle qualifie de « Grand » et « Petit Satan ». Pendant 45 ans, le régime a consacré d'énormes ressources et fait face à de grandes difficultés pour atteindre ses objectifs. Plus précisément, il a bâti une « ceinture de feu » autour d'Israël dans le but d'encercler l'État juif, en Irak, en Syrie, au Liban, en Cisjordanie, à Gaza et même au Yémen, avec des ennemis si nombreux et si bien armés que leurs forces combinées pourraient le submerger. Alors que cette entreprise iranienne a reçu un certain soutien au niveau politique, l'accent a toujours été mis sur les moyens violents. L'agression iranienne a intégré Israël au sein d'une alliance régionale opposée à Téhéran.
Le mépris pour les Palestiniens. La menace palestinienne est plus subtile. La force d'Israël et la faiblesse des Palestiniens rendent agaçant le fait de devoir convaincre les Palestiniens. En 1977 déjà, le Premier ministre israélien Menahem Begin déclarait : « Je n'ai pas besoin de la reconnaissance palestinienne pour mon droit à exister. » En 1981, l'homme politique et diplomate israélien Abba Eban a fait écho à l'opinion exprimée par Begin : « Personne ne rend service à Israël en proclamant son 'droit à exister'. » En 2007, Benjamin Netanyahou a ajouté : « Notre existence ne dépend pas de la volonté des Palestiniens de faire la paix avec nous. »
Le « processus de paix » qui a dominé la politique du pays pendant des décennies a décliné. En 2013, seuls 10 % des Juifs israéliens considéraient ces négociations comme la priorité absolue. Il n'a joué quasiment aucun rôle dans les cinq élections israéliennes organisées entre 2020 et 2022. Pour la plupart des Israéliens, le débat sur les subtilités de la diplomatie palestinienne est devenu aussi insignifiant que celui sur « la couleur de la chemise que l'on portera lors du débarquement sur Mars », a commenté un ancien conseiller du Premier ministre israélien. Résumant l'ambiance générale, le stratège israélien Efraïm Inbar a qualifié les Palestiniens de « nuisance stratégique ».
Cependant le mépris pour la question palestinienne est logique si on ne la considère que sous l'aspect de la violence car les Palestiniens représentent une menace moins grande que le Hezbollah et bien moins grande encore que l'Iran. Ils constituent néanmoins un danger spécifique du fait qu'ils propagent dans le monde entier un discours antisioniste d'une nocivité incommensurable.
Focus sur les Palestiniens. L'opposition de gauche à Israël concentre sa colère sur la politique israélienne envers les quelque 3,5 millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est. C'est là le problème quasi exclusif de la gauche vis-à-vis d'Israël. Elle ne s'intéresse guère aux questions intérieures d'Israël, ni aux questions étrangères telles qu'une éventuelle attaque contre l'infrastructure nucléaire iranienne ou la possession par Israël d'armes nucléaires.
Grâce à un marketing magistral, la victimisation d'une petite population impuissante en a fait un problème mondial de premier plan en matière de droits de l'homme, qui attire infiniment plus d'attention que les conflits de bien plus grande ampleur au Burkina Faso, au Cameroun, en République démocratique du Congo, au Soudan, en Éthiopie ou au Myanmar.
Le soutien de la gauche explique pourquoi l'Autorité palestinienne et le Hamas se livrent à la violence contre Israël : même s'ils savent à l'avance qu'ils perdront chaque affrontement militaire, ils savent aussi que les combats renforceront leur statut à gauche. Les universitaires défendent leur cause, les apparatchiks leur envoient de l'argent et les politiciens se réjouissent de leur extrémisme. Les Palestiniens ont beau être à chaque fois à l'origine de la violence, ce sont les Israéliens qu'on critique pour leur riposte. Ainsi, les attaques palestiniennes ont le double avantage de tuer des Israéliens et d'alimenter la colère de la gauche.
Exemples. Parmi les antisionistes de gauche, on trouve des enseignants, des journalistes, des artistes, des fonctionnaires, des prêtres, des pasteurs et des rabbins. Un large éventail d'organisations non gouvernementales, allant d'Amnesty International au Conseil œcuménique des Églises, ont rejoint le mouvement. La plateforme Black Lives Matter accuse Israël d'« apartheid » et de « génocide ». Les politiciens d'extrême gauche représentent presque partout les opinions les plus antisionistes dans leur pays.
Les entreprises « woke » ont rejoint la bataille. Airbnb, une plateforme en ligne de location de courte durée de logements chez l'habitant, a interdit aux Israéliens vivant en Cisjordanie de louer leurs maisons sur la plateforme, tout en autorisant les Palestiniens à le faire, avant de faire marche arrière après avoir été confrontée à des poursuites pour discrimination.
Parmi les politiciens, il est vrai que Bernie Sanders n'est pas devenu président des États-Unis ni Jeremy Corbyn Premier ministre britannique. Toutefois, des antisionistes enragés occupent une place de choix dans les assemblées législatives des deux pays. Ainsi, ils se sont opposés à la résolution de la Chambre des représentants américaine félicitant Israël pour son 75ème anniversaire. Les forces antisionistes sont en pleine ascension dans le monde entier, comme en témoignent Gabriel Boric (« Israël est un État génocidaire et meurtrier ») et Luiz Inácio Lula da Silva, élus respectivement présidents du Chili et du Brésil en 2022, tandis qu'Humza Yousaf a été élu premier ministre d'Écosse en mars dernier. Les tendances actuelles suggèrent que l'Élysée, le 10 Downing Street et la Maison Blanche sont à portée de main.
L'hostilité de la gauche envers Israël peut prendre des formes verbales extrêmes, comme le montrent plusieurs exemples survenus avant le 7 octobre. Parmi les slogans scandés lors d'une manifestation à la gare centrale de New York, l'un des espaces les plus en vue de la ville, on pouvait notamment lire : « Libérez-les tous, à bas le sionisme ! Colons, colons, rentrez chez vous ! La Palestine est à nous seuls ! Nous ne voulons pas deux États, nous voulons tout ! Écrasez l'État sioniste colonisateur ! » Le musicien anglais Roger Waters a comparé Israël à l'Allemagne nazie. Rafiki Morris, du Parti révolutionnaire du peuple africain, a déclaré lors d'un rassemblement à Washington que « le seul bon sioniste est un sioniste mort ».
Des manifestants anti-israéliens se sont rassemblés devant l'Opéra de Sydney le 9 octobre 2023.
À gauche, certains ne se limitent pas aux paroles. Ainsi en 2003, Rachel Corrie a fait le sacrifice ultime en se plaçant volontairement en travers de la route d'un bulldozer blindé utilisé par l'armée israélienne : écrasée et tuée, elle est devenue une « martyre » de la cause palestinienne.
Conclusion. L'Iran et les Palestiniens représentent des dangers existentiels opposés pour Israël : pour l'un la violence, pas le récit ; pour l'autre le récit, pas la violence. Du point de vue de l'État juif, l'acceptation palestinienne est aussi importante que la fin de la menace iranienne. Leur interaction est en symbiose, les deux se renforçant mutuellement. Ensemble, ils empêchent Israël de devenir un État normal et, tant que ce dernier ne parviendra pas à surmonter ces deux dangers, il continuera d'appartenir à ce petit nombre d'États (Bahreïn en est un autre) dont l'existence même reste en question.
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