Les sionistes religieux et la femme, Par Marine Journo

Les sionistes religieux et la femme [Analyse]

Par Marine Journo © Metula News Agency

La place d’une femme est à la maison… à l’arrière du bus, ou sur le trottoir d’en face.

Le rabbin Zvi Tau a récemment rappelé le lot que les plus religieux des Israélites réservent au sexe dit faible, à savoir demeurer une éternelle adolescente, une créature inférieure à l’homme par nature, cloîtrée dans sa cuisine.

Ce n’est pas un secret que les religions se montrent souvent discriminatoires dans leur traitement de la gent féminine. Le judaïsme ne fait pas exception à la règle.

Certains Juifs orthodoxes tâchent tant bien que mal de se défendre de pratiquer une ségrégation à l’encontre des femmes fondée sur les textes religieux. C’était le cas du grand rabbin Ernest Gugenheim, qui expliquait que la femme peut, tout comme l’homme, être prophète, et que la Torah avait, en premier lieu, été remise aux femmes afin d’indiquer leur importance. Pour Gugenheim, « fondamentalement, il n'existe aucune infériorité de la femme », mais une « complémentarité » entre les deux sexes.

Il interprétait ainsi des interdictions édictées par la loi juive. En effet, la Torah consacre nombre de traitements différentiels, selon que le croyant soit un ou une fidèle.

Ces efforts de certains Juifs pour démontrer que les textes religieux ne dévaluent pas la femme paraissent cependant livides face à certaines pratiques. A l’instar de la prière du matin, qui diffère selon que ce soit un homme ou une femme qui la prononce : tandis que les femmes réciteront « Merci de m’avoir faite selon ta volonté », la bénédiction change pour les hommes, qui, eux, prononcent « Merci de ne pas m’avoir fait femme ».

Les rabbins auront beau interpréter ces paroles quotidiennes de dizaines de façons apaisantes, il est difficile de ne pas discerner dans cette pratique un mépris des femmes.

Outre les variances dans les prières, les femmes sont également diminuées lors de certaines cérémonies. A l’occasion du mariage religieux, par exemple, le mari achète littéralement sa promise à son père, en signant la kétouba, qu’elle n’aura quant à elle pas le loisir de parapher. Et lorsque l’époux sera lassé de la moitié qu’il a acquise, il pourra la répudier en lui versant une somme d’argent, dont le montant minimum a été couché noir sur blanc sur le même document. Chez les orthodoxes, cela fait office de divorce.

Autrement dit, dans la tradition juive, la femme, tel un objet monnayable, passe des mains de son géniteur à celles de son époux, qui peut s’en affranchir contre un paquet de billets.

Les exégèses ne se montrent pas plus tendres avec celle qui, pour d’autres, est l’avenir de l’homme.

Dans le Talmud (l’interprétation de la loi), le traité Pessahim (les offrandes pascales) dresse une liste d’actions qui sont déconseillées – mais non proscrites – à l’homme s’étant voué à l’étude des textes sacrés. Parmi elles, on trouvera, entre autre : passer sous une charogne puante, passer entre deux chiens, ou encore passer entre deux femmes !

Ces actes, repris en partie dans les Horayot (« décisions », traité examinant les lois relatives aux erreurs de jugement des tribunaux halakhiques), lorsqu’un homme les réalise, rendent l’étude de la Torah plus difficile, en ce qu’ils ont un effet néfaste sur la mémoire.

La femme se voit ainsi comparée, par son effet néfaste, à une charogne puante… L’on comprend alors l’attitude de certains rabbins, qui maintiennent intentionnellement à distance leurs coreligionnaires féminines, opérant de la sorte une ségrégation physique.

Cela a cours en certains lieux du territoire israélien, tel le quartier hiérosolymitain de Méa Shéarim (les cent portes), ou la localité de Bet Shemesh (la maison du soleil). Au sein de ces microsociétés, les femmes sont, entre autres, contraintes de voyager à l’arrière des bus et d’évoluer sur un trottoir qui leur est réservé, sous peine de s’attirer les foudres violentes (crachats, insultes) des hommes en noir.

Cette attitude, qui procède de la persécution, illustre un radicalisme certain dont font parfois montre les orthodoxes dans leurs attitudes et leurs positions.

Au regard du traité rédigé par le rabbin Zvi Tau il y a deux mois, il s’avère que, lorsqu’il s’agit de la place de la femme juive, même les plus « modernes » des rabbins expriment une opinion avilissante, d’un autre temps.

Dans un tract à usage interne que je me suis procuré, intitulé « Qui m’a créée selon sa volonté », le directeur de la yeshivah (école talmudique) Har Hamor (le mont de la myrrhe), fondée en 1997 par Zvi Tau, écrit que les hommes et les femmes doivent occuper des rôles différents dans la société ; des rôles guidés par leur nature innée. Les hommes seraient des êtres « cérébraux », tandis que les femmes seraient « émotives ».

De ce fait, les dames ne seraient pas faites pour s’intéresser aux « profondeurs de la science et des mœurs », mais pour engendrer, nourrir et élever leur progéniture. Une « vocation profonde » attribuée par Dieu lui-même, qui a créé la compagnonne de l’homme avec ces « talents infus » afin qu’elle se consacre exclusivement à ces tâches.

Cette distinction de naissance engendrerait alors un équilibre parfait entre les deux sexes.

Tau ne s’arrête pas là et poursuit sa théorie incertaine, précisant que si la femme devait se cantonner aux quatre murs de sa cuisine, la possibilité qu’elle embrasse une carrière professionnelle deviendrait inenvisageable. Non seulement la téméraire s’exposerait invariablement à un échec cuisant, mais cela « nuira à la qualité de vie de la nation et de la société, puisque la nature véritable de la femme ne sera pas accomplie et manquera au monde ».

Et c’est sans compter que l’audacieuse qui oserait se consacrer à une carrière donnerait naissance à des bambins « faibles et peu vifs ». Là, on côtoie carrément la sorcellerie du Moyen-Age, M. Tau ! La démarche suivante consisterait à dresser des bûchers pour les chirurgiennes, les pilotes et les avocates.

Le rabbin prône ainsi délibérément le confinement des femmes dans leur foyer, accompagné d’une inégalité sociale – elles ne sont pas non plus censées prendre part aux activités sociales – et dans le domaine de l’éducation.

Etonnante démarche, lorsque l’on sait que cette position misogyne est le fait du chef de file du mouvement sioniste religieux, autrement dit, celui qui recèle une once de modernité et se différencie en principe des autres courants orthodoxes.

Zvi Tau réfute notamment l’opposition partagée par une majorité d’hommes en noir de se soumettre au service militaire ; et les élèves de son établissement, Har Hamor, s’acquittent tous de ce devoir.

On aurait donc pu s’attendre à des positions plus nuancées, et surtout, plus évoluées sur la question de la place des femmes. Mais déception !

Heureusement, la société israélienne se trouve à des lieuses des lubies phallocrates du rabbin. En tant que microcosme d’un Etat démocratique développé, elle a intégré la notion d’égalité des sexes. Sur le marché du travail notamment, et pas seulement pour les laïcs, loin s’en faut : dans les milieux religieux, plus de la moitié des hommes ne pratiquent pas d’activité professionnelle mais étudient dans les yeshivot. Ce sont ainsi leurs femmes, ces « machines à enfanter », qui constituent la principale source de revenus du foyer, en travaillant.

En réaction à la publication de Zvi Tau, une internaute avait rétorqué, sur son compte Twitter : « Et si ton employeur pensait pareil ? », mettant en évidence que si l’Etat appliquait un tel dogme ségrégationniste, les Juifs orthodoxes se retrouveraient sans le sous, leur femme étant recluse à la maison, et eux, dans les écoles talmudiques.

Lorsque le journal israélien Haaretz a, dans ses colonnes, rapporté les propos sexistes du chef rabbin des religieux-nationaux, la majorité des commentaires a laissé entrevoir une opinion publique choquée, voire atterrée par un tel machisme. Et pas seulement les femmes.

A l’exception d’un internaute partageant les idées du religieux – et d’un autre, pour qui la place des femmes est sur un podium, à faire du lap dance en minishort -, les lecteurs du quotidien ont reflété la mentalité israélienne, désavouant inconditionnellement les préceptes du rabbin.

Le modèle social proposé par ce sioniste religieux se révèle incompatible avec la réalité israélienne, qui propose à ses citoyens un système dans lequel prévaut une large dose d’égalité sexuelle.

Israël pourrait-elle, aujourd’hui, revoir ses valeurs fondamentales, et interdire l’accès de ses écoles et universités aux jeunes filles ? Le marché de l’emploi pourrait-il soudainement se fermer à la gent féminine ? Ces efforts pour que les femmes restent d’éternelles enfants, dépendantes de l’homme, reviendraient à faire un bond gigantesque en arrière, au temps d’un monde archaïque et sous-développé. Mais qu’on se rassure, mes sœurs, le risque que cela advienne n’existe pas en Israël.