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Mémoires d'Israël

 

 

 

 

Mémoires d'Israël

 

 

 

 Par Alexis Lacroix, 

 

 

 

 

Plusieurs essais saluent le 70e anniversaire de l'Etat juif et explorent ses fractures. Lecture.

Theodor Herzl, le fondateur du sionisme politique, a fait cet aveu : "Toute action humaine a commencé par être un rêve et a fini par devenir un rêve." Nul ne peut dire si Israël, maintenant septuagénaire, prolonge toujours fidèlement l'élan et le songe de ses pères fondateurs. Ce qui est certain, en revanche, c'est que la seule existence de ce pays est un pied de nez à toutes les lois de la gravitation spatio-temporelle. Un défi à l'historicisme. 

"Israël est l'une des épreuves les plus risquées, mais aussi les plus belles, que le peuple juif aura eu à traverser", affirme Bernard-Henri Lévy dans un de ses récents Bloc-notes. Epreuve ? Mais oui... Epreuve, d'abord politique - chaque jour en donne confirmation ; épreuve géopolitique, également, dans un chaudron moyen-oriental où se profilent, fragiles et prometteuses, de nouvelles alliances saoudo-égyptiennes pour contenir l'assaut iranien ; épreuve morale, enfin, à cause de l'éternisation d'une occupation des Territoires qui tend parfois jusqu'à l'insoutenable les ressorts vitaux de la nation.  

De cette triple épreuve, plusieurs essais rendent compte en cette semaine d'anniversaire. 

Commençons par l'un de ceux que guide un amour inquiet. C'est celui de notre consoeur Martine Gozlan. De Kiryat Shmona aux solitudes minérales du Néguev où Ben Gourion aimait se ressourcer, Gozlan connaît Israël comme sa poche. Depuis longtemps déjà, cette Française vibre aux tourments de l'Etat juif. Dopée par l'empathie, sa circumnavigation tournoie autour de ce qu'elle nomme "les sept secrets d'Israël" : la force de la mémoire, la régularité des vagues d'immigration, les surprises de la démographie, les ambiguïtés de la foi, les métamorphoses de l'armée, le jaillissement de la recherche, sans oublier un optimisme invétéré qu'aucun deuil n'entame. Sur le campus de Guivat Ram, elle rencontre un démographe, Sergio DellaPergola, désormais assez rassurant : "La fertilité des juifs en Israël est la plus élevée des pays développés", lui assure ce spécialiste mondialement reconnu des populations. Et il ajoute : "Ils vivent peut-être dans un imaginaire de rêve, mais ils maintiennent leur score au hit-parade des naissances selon les critères européens : plus de trois enfants par femme !"  

"Soft power nation "

Proche, par l'empathie, mais aussi par l'intelligence, de celui de Gozlan, est le nouvel opus du patron de L'Arche, Salomon Malka : 70 jours qui ont fait l'histoire d'Israël. Juif marocain, Malka, avant de rejoindre Paris, d'étudier à l'Ecole normale israélite orientale et de s'y lier avec son directeur d'alors, Emmanuel Levinas, puis de croiser la route de l'énigmatique Monsieur Chouchani, a vécu en Israël, où ses parents s'étaient installés. Son regard sur ces sept décennies est donc, aussi, informé de l'intérieur. Malmenant la chronologie, Malka remonte bien en amont de 1948 et n'hésite pas à remémorer la visite en Terre sainte d'un écrivain français ardent avocat de ce qui semblait alors la "chimère" sioniste : Chateaubriand ; il n'hésite pas non plus à souffler le chaud et le froid sur son lecteur, en alternant l'évocation des jours heureux et celui des guerres, qui scandent l'odyssée israélienne depuis le premier jour ; dans une production éditoriale qui tend fatalement à surpolitiser son sujet, Malka n'a pas peur - et tant mieux ! - d'aborder le pays par une voie de traverse, tout compte fait assez féconde : sa richesse culturelle, également soulignée par l'économiste Jacques Bendelac. Sait-on que la "start-up nation" tant vantée est aussi une "soft power nation", qui offre chaque année à la dilection du monde une abondance de productions littéraires, cinématographiques et musicales ? On lira avec émotion le récit, par Malka, de la disparition d'une égérie du neuvième art, qu'il connaissait bien : la sublime Ronit Elkabetz. 

Rendre à Israël sa "vocation profonde"

Denis Charbit, qui enseigne à l'Open University d'Israël et est, à ce jour, l'un des universitaires les plus pointus sur l'histoire du sionisme, publie les échanges inédits de deux grands érudits, aujourd'hui disparus : Léon Ashkenazi et André Chouraqui. Le premier des deux est connu par le nom qu'il avait hérité du scoutisme et qu'affectionnaient ses talmidim, ses élèves : "Manitou". Le second, traducteur de la Bible et du Coran, exerça une influence politique en Israël par son accès aux sommets de l'Etat et son plaidoyer inlassable en faveur du dialogue entre les trois monothéismes abrahamiques.  

En 1987, vingt ans après la guerre des Six-Jours et (presque) quarante après la Déclaration d'indépendance, les deux hommes entamèrent une conversation approfondie à Jérusalem. Charbit parle, à leur sujet, d'une fraternité (havruta). Fraternité polémique, bien sûr, qui conduit les deux chantres d'un "judaïsme assertif" à communier, malgré leurs différences, dans un optimisme historique, assez exotique pour le lecteur de 2018, et qui intrigue leur préfacier. "Avec des nuances significatives dans les solutions à apporter, note Charbit, ils discernent la transformation profonde de la condition juive découlant de l'existence d'un État juif en Israël." Mieux : dans leur "ani ma'amin", leur credo terminal, Manitou et Chouraqui, requis par l'esprit de prophétie, entendent rendre Israël "à sa vocation profonde" et invoquent "une alliance des enfants d'Abraham pour orienter le monde vers une tout autre direction que celle du suicide nucléaire". 

En diaspora, il est souvent de bon ton de dérouler un tapis rouge aux détracteurs israéliens d'Israël, et de préférer au témoignage d'un Ari Shavit les diatribes d'un Shlomo Sand ou, dernièrement, d'un Zeev Sternhell. Avec un arrière-gout de catastrophisme antipatriotique, ces réquisitoires surmédiatisés passent pourtant à côté de l'essentiel - la réussite de l'utopie israélienne. L'historien Michel Abitbol, lui, rend hommage à ce miracle profane, dans un copieux volume : de tous les mouvements politiques qui ont vu le jour dans la modernité, le sionisme reste "un des seuls qui soit parvenu à réaliser ses objectifs essentiels". Il fallait que cela fût écrit. 

A lire :

A l'heure d'Israël, par Léon Ashkenazi et André Chouraqui (préface de Denis Charbit). Albin Michel, 224 p., 17,50 €. 

Histoire d'Israël, par Michel Abitbol. Perrin, 800 p., 30 €.

Israël, mode d'emploi, par Jacques Bendélac. Plein Jour, 250 p., 21 €.

Israël, 70 ans, par Martine Gozlan. L'Archipel, 160 p., 16 €.

70 journées qui ont fait Israël, par Salomon Malka. Armand Colin, 320 p., 18,90 €. 

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