Marrakech a le blues
Marrakech a des bleus à l'âme. Apparement, rien n'a changé. La cité ocre n'a pas perdu cette atmosphère indéfinissable, cette impression d'exotisme et de familiarité chaleureuse qui la rendent si particulière. Les orages torrentiels qui s'y déversent en ce mois de novembre font resplendir les jardins au retour du soleil. Le ciel n'en paraît que plus bleu. Si Marrakech a le blues, ce n'est pas à cause de l'arrivée des islamistes à la tête du gouvernement. Dans les derbs, les quartiers pauvres, voilà bien longtemps que les "barbus" tiennent le haut du pavé. Sans trouver à redire aux nombreux touristes qui les sillonnent. En 2009, c'est le PJD qui a soutenu Fatima Ezzahra el Mansouri, jeune femme dynamique de 35 ans, avocate et nouvelle députée, membre d'un parti laïque, le PAM, pour prendre la tête de la mairie. Mission réussie, apparemment : les finances de la ville sont de nouveau dans le vert et un plan d'aménagement devrait voir le jour. Le premier depuis 1997. Il ne fait pas que des heureux. Car les années fastes où l'argent de l'immobilier coulait à flots à Marrakech ont permis de bâtir des fortunes colossales grâce à une corruption généralisée qu'un plan d'aménagement rendra plus compliquée.
Si Marrakech est morose, c'est à cause des crises qui l'assaillent depuis 2009."C'est la grosse déprime", affirme un agent immobilier prospère qui tient à garder l'anonymat. De grands arbres se balancent doucement devant les immenses baies de son salon, au coeur de la palmeraie. Ici on vit hors du temps."La vraie raison de nos problèmes, c'est la crise en France", explique-t-il."Les Français ont lancé Marrakech cette dernière décennie. Les autorités marocaines n'ont fait qu'accompagner le mouvement. L'arrivée massive des touristes, celle des étrangers résidents, ont créé une bulle immobilière. Des maisons de la médina sont passées en quelques mois de 30 000 à 400 000 euros. Tout se vendait. Les Français ne viennent plus car ils n'ont plus d'argent", regrette-t-il.
La France s'enrhume et Marrakech tousse."Avec le printemps arabe, les destinations arabo-musulmanes sont devenus anxiogènes", reconnaît Khalid Tijani, conseiller à la direction du tourisme de la ville. L'attentat de l'Argana (16 morts), au printemps, un bar fréquenté par les touristes sur la place Djemaa el-Fna, à deux pas de la Koutoubia, a été l'apothéose. Des tours-opérateurs ont annulé leurs réservations. La moitié des 650 maisons d'hôtes, officiellement recensées et tenues par des Marocains ou des étrangers, sont à vendre. Le prix de l'hectare dans la palmeraie est "retombé" à 900 000 euros. Une bagatelle !
Magie. Même la mythique Mamounia, le palace somptueusement rénové qui a vu passer des générations de "people" depuis 1923, de Churchill qui plantait son chevalet au milieu des allées de roses blanches à Orson Welles, Paul Valéry ou Bill Clinton, sans oublier nos ministres français de droite et de gauche, a vu le nombre de ses clients plonger de 25 % en 2011. Marrakech a décidé de rebondir. Elle devrait y réussir. La magie est toujours là. Les prix se négocient. Le tourisme est reparti depuis octobre et de nouveaux hôtels de luxe sont sortis de terre. Les riads, qui, bien gérés, ont résisté au marasme ambiant, sont aux petits soins pour leurs clients. Mais, surtout, la ville fait preuve d'une vitalité culturelle extraordinaire. A la fin de la semaine, le gotha du cinéma va s'y retrouver pour son traditionnel festival. En octobre, sa deuxième Art Fair (peinture contemporaine) a rassemblé 50 galeries, dont une majorité d'européennes. Le MET (New York) retransmet six opéras. Le plus intéressant est peut-être ailleurs. En dix ans, Marocains et étrangers se sont frottés les uns aux autres. Dans les médinas, les frictions sont plus rares entre les Marrakchis souvent pauvres (25 % de la population) et les habitants des riads rénovés à grands frais. Les deux ont appris à se connaître. C'est peut-être la magie de Marrakech qui opère.
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