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Melilla, un statut special

 

Melilla, un statut special

 

Rabat considère l’enclave espagnole de Melilla comme un territoire occupé. Mais les Marocains qui y vivent ou y travaillent sont attachés à sa particularité et ne souhaitent pas que son statut change.

Un mariage bat son plein au Café Del Real. Trois invités, Mina, Aziza et Karim, ont passé la moitié ou la totalité de leur vie à Melilla. Ils sont d’origine marocaine, mais leur attitude est espagnole. "Si le Maroc fait la loi ici, je pars en face", commente Karim, faisant allusion à l’Espagne continentale. Mais sur un point ils sont bien marocains : Mina, Aziza et Karim ne veulent pas que leur nom de famille figure dans le journal. Leurs propos sur Melilla ne sont pas dans la ligne de la position de l’Etat marocain et ils ne veulent pas causer des problèmes à leur famille qui y vit.

Melilla, où 80 000 personnes habitent dans 12 km2 entourés de barbelés, est un sujet sensible au Maroc. Pour Rabat, c’est un territoire occupé, un point de vue confirmé récemment par son Premier ministre Abbas El Fassi. Celui-ci avait eu un entretien téléphonique avec le gouvernement espagnol sur "l’occupation" de Melilla et Ceuta, l’autre enclave espagnole du nord du Maroc. L’Espagne avait réagi immédiatement en affirmant que, la "souveraineté et l'identité espagnoles" de Ceuta et Melilla ne pouvaient être remises en cause.

Pour le Maroc, Melilla est un vestige du colonialisme

Mina, Aziza et Karim profitent de la démocratie espagnole, d’un enseignement de bonne qualité et d’un accès aux soins de santé abordable. En outre, les salaires sont plus élevés que de l’autre côté de la frontière. "Et beaucoup de produits sont plus chers au Maroc. Une brique de lait coûte 50 centimes d’euro à Melilla contre 80 centimes au Maroc", dit Aziza. Il n’y a donc pas de raison que les Marocains de Melilla souhaitent que leur belle vie prenne fin.

La fête de mariage au Café Del Real est mixte : la mariée, Rabiaa, est marocaine, et le marié Juan Miguel, est espagnol. Selon Antonio Portillo Gómez, un habitué du café, "toute la population de Melilla est multiculturelle" : "Il y a eu de nombreuses civilisations ici, Melilla a une longue histoire, bien avant que les Marocains aient pris le pouvoir. Alors pourquoi le Maroc considère-t-il que Ceuta et Melilla sont marocains ?" En 1497 Melilla était déjà espagnole et Ceuta est venue s’y ajouter en 1578. Au siècle dernier, le royaume espagnol étendit son influence à l’ensemble du nord du Maroc, mais lorsque le pays devint indépendant, en 1956, l’Espagne a rendu ce territoire, à l’exception de Ceuta, Melilla, et de trois îles minuscules devant la côte africaine qui lui appartiennent depuis des siècles.

Du point de vue espagnol, la situation actuelle est juste, compte tenu de l’histoire. Ce n’est pas l’opinion du Maroc. Lorsque Juan Carlos, le roi d’Espagne, a visité Ceuta et Melilla pour la première fois, en novembre 2007, cela a provoqué une crise diplomatique. Le Maroc avait rappelé son ambassadeur en Espagne et le Premier ministre El Fassi avait déclaré que le temps du colonialisme était "irrévocablement révolu". C’est ainsi que le Maroc le ressent : un vestige de l’époque coloniale. C’est pourquoi il a fermement l’intention de récupérer les deux enclaves. Le port de Tanger Med s’est construit juste à côte de Ceuta et un complexe portuaire similaire est en cours de création juste à côté de Melilla. Le but est d’endiguer l’activité économique des enclaves de manière à les rendre, à terme, trop coûteuses à entretenir pour l’Espagne.

12 000 Marocains entrent tous les jours à Melilla

De toute manière, les deux petits territoires sont déjà très chers parce que l’Espagne y attire des Espagnols de la péninsule ibérique par des avantages fiscaux et des salaires plus élevés pour les employés de la fonction publique. Mais pour l’instant, la situation financière des enclaves est bonne, notamment grâce aux Marocains. Ceux qui habitent à proximité des enclaves y ont accès sans visa et de ce fait 12 000 d’entre eux entrent chaque jour à Melilla. Ils y achètent des objets bon marché, comme du lait, du shampoing et des couvertures, pour les revendre avec un petit bénéfice côté marocain. La chaîne de télévision française M6 avait diffusé en avril le documentaire "Les femmes-mulets", sur des femmes marocaines qui transportent sur leur dos 60 à 80 kilos de marchandises, mêmes enceintes ou très âgées. Parfois la police les rassemble comme du bétail à coups de matraque près de la frontière espagnole. Le journal marocain Akhbar Alyoum avait qualifié le film de "choquant".

Les Marocains font-ils l’objet de discrimination de la part des Espagnols de Melilla ? "Mais non, pas du tout", dit Karim.  C’est ce que les habitants aiment croire : que Melilla est un état modèle multiculturel. Ils savent néanmoins que les Ibériques de la Péninsule les regardent un peu de haut parce qu’ils habitent en Afrique, et ils se remontent le moral en songeant à la mixité qu’il y règne. Ils aiment cultiver l’image d’une oasis de civilisation dans un désert de barbarie. "Au Maroc, les femmes n'ont aucun droit de parole, mais ici ce n’est pas le cas", se vante une résidente espagnole de Melilla.

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