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Ouarzazate et la vallée des dinosaures, paradis des paléontologues

Ouarzazate et la vallée des dinosaures, paradis des paléontologues

Riches en fossiles de dinosaures, le Sud-Est marocain attire paléontologues et trafiquants. Les autorités, elles, rêvent d’un Jurassic Park made in Morocco…

Valérie Morales-Attias

Le géant dormait sous les pierres ocre de la vallée d’Iminoulaoune, au nord-est de Ouarzazate, dans le Haut Atlas. Jusqu’à ce matin de l’été 1998 où, par hasard, un paysan découvrit ses ossements au-dessus du douar (hameau) de Tazouda, près de Toundoute. On alerta la gendarmerie, puis les scientifiques. La paléontologue Najat Aquesbi, première sur le terrain, pressentit un gisement d’exception. Des confrères étrangers furent alors appelés en renfort. Parmi eux, le Français Philippe Taquet, qui avait exhumé quelques années plus tôt, à Azilal, une cinquantaine de kilomètres plus au nord, le squelette complet d’un autre géant : Atlasaurus imlakei, dix-huit mètres de long, dix de haut. A Tazouda, durant quatre années, les experts travaillèrent d’arrache-pied pour extraire la bête de son linceul d’argile.

Le plus vieux dinosaure refait surface

Dans la plus grande discrétion pour ne pas alerter les pillards – on interdit même de photographier le chantier –, un fémur gigantesque fut d’abord isolé, puis un crâne, des vertèbres… Le puzzle assemblé fit apparaître un mastodonte de neuf mètres de long et pesant entre quatre et cinq tonnes. Une belle prise qui se révéla exceptionnelle quand fut déterrée une mandibule portant une dentition crénelée et qui permit de dater l’animal : 180 millions d’années. Soit le plus vieux dinosaure connu ! Tazoudasaurus – ainsi nommé d’après le lieu de sa découverte – serait l’ancêtre des diplodocus, des «jeunots» de 140 millions d’années, et l’unique témoin retrouvé d’une ère où l’océan Atlantique n’existait pas encore et où Afrique et Amérique ne faisaient qu’un.

La découverte, passionnante pour les chercheurs, provoqua une prise de conscience des autorités marocaines : elles possédaient un trésor qu’il devenait urgent d’exploiter. Aux habitants de la vallée dont la survie dépendait de productions agricoles aléatoires et de maigres troupeaux, mais aussi au pays tout entier, la perspective d’une exploitation scientifique et touristique du dinosaure donnait de l’espoir. Au début des années 2000, un projet vit le jour, gigantesque, à l’échelle des dinosaures. Un Jurassic Park made in Morocco qui comprendrait deux musées : le premier, dédié au vénérable Tazoudasaurus, à Tazouda où d’autres squelettes commençaient à être exhumés, et un second à Azilal, où son cousin, «le géant de l’Atlas», avait été déterré. Entre les deux, une «route des dinosaures» cheminerait à travers une des plus belles régions du sud-est du Maroc, le GéoParc de M’Goun, un territoire de 5 700 kilomètres carrés (les deux tiers de la Corse). On ignorait alors qu’elle serait si longue à tracer…

Observer la faune, la flore et les vestiges de la préhistoire

Aux portes du Sahara, la région de Ouarzazate est une contrée saisissante de beauté qui étend ses versants rouges entre dunes blanches et neiges éternelles de l’Atlas. On y vient pour admirer casbahs en pisé, montagnes et plaines, vallées, oasis et villages de terre ocre et dorée. La cité, dont le nom signifie «sans bruit» en berbère (War-Zazat), est de conception récente. Ville de garni son créée par le Protectorat français en 1928, elle compte aujourd’hui 70 000 habitants. «On attendait avec impatience l’ouverture du musée de Tazouda, se souvient Ahmed Daaïf, 22 ans, berger. On nous parlait aussi de la route qui allait faire venir ici beaucoup de touristes. Mais notre vie n’a pas vraiment changé.» Pour Redouane Bouwizri, 25 ans, dont l’agence organise des circuits, les voyageurs viennent d’abord pour chercher le Maroc des Berbères : «La culture nomade intrigue tout le monde, dit-il. Les touristes sont très sensibles à la connexion entre le désert, les montagnes, les plateaux sahariens.» Il est vrai que l’éblouissement est ici si singulier que Ouarzazate est devenue presque malgré elle, l’Hollywood de l’Afrique. On y a tourné le fameux Lawrence d’Arabie, en 1962, et Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, en 2002. L’emploi local y a beaucoup gagné, une université a été créée, formant aux métiers du cinéma. Au tournant des années 2010, cependant, cette manne s’est soudain tarie. Et les dinosaures ont fait figure de sauveurs…

Des paysages sauvages de montagnes, de forêts de pins d’Alep, de genévriers rouges et de caroubiers, et d’oasis verdoyantes abritant des hameaux isolés. Au cœur du GéoParc de M’Goun, la vallée des Aït Bouguemez mérite bien son surnom de «vallée heureuse». Ici, le lac Bin el-Ouidane, miroir turquoise qui reflète les sommets enneigés, semble avoir été posé dans le décor par le pinceau d’un aquarelliste. Les cascades d’Ouzoud chutent de 110 mètres de haut en rebondissant sur trois paliers dans un éclat de rire cristallin. Le pont d’Iminifri, une arche creusée par la nature il y a deux millions d’années, à six kilomètres seulement de la petite ville de Demnate, s’enfonce dans la roche pour le bonheur des oiseaux qui viennent nicher là. La zone regorge d’une faune riche en espèces menacées, tels le mouflon à manchettes, l’aigle royal, le gypaète ou la panthère de Tamga. Et, en de multiples lieux dans la région, les mastodontes de la préhistoire ont imprimé sur de grandes dalles ocre rouge leurs traces de pas. Trois cent cinquante de ces incroyables vestiges ont été répertoriés. Certains, espacés de trois mètres l’un de l’autre, laissent imaginer la taille de l’animal…

Pour aller plus avant à la rencontre des dinosaures, il faut, depuis Ouarzazate, prendre la RN 10 vers l’est. A mesure qu’elle perd en luxuriance, la route gagne en poésie. Les arbres disparaissent, le Sahara, tout proche, s’annonce. Erfoud, l’une des dernières villes avant le désert, accueille les voyageurs sous son chapiteau de palmiers. Cette vaste oasis se mue chaque automne en capitale de la datte et la fin de la récolte est l’occasion de festivités animées. Pourtant, Erfoud tire sa renommée d’un autre trésor : ses carrières de calcaire, fourmillant de fossiles parfois vieux de plusieurs centaines de millions d’années. Les trilobites (des animaux marins disparus il y a 250 millions d’années), ainsi que des ossements de dinosaures, loin d’être protégés par l’Etat, sont une manne pour les tribus sédentarisées de la région. Autour d’Erfoud, du matin jusqu’au soir, des hommes armés de pelles et de pioches s’activent pour extirper ces précieux vestiges enfouis dans la roche, que des artisans se chargent ensuite de «nettoyer», sculpter et polir, en prenant garde de ne pas les endommager. La mise en valeur des pièces est lente – parfois jusqu’à vingt jours – mais peut rapporter gros. «Les touristes, et surtout les professionnels étrangers qui viennent chercher ici des pièces de collection sont très exigeants et ne veulent pas se faire avoir», remarque Sofiane Iken, 26 ans, qui travaille comme guide à Ouarzazate.

L'exploitation des vestiges : un flou au niveau légal

Sur le plan légal, rien n’est clair. Il existe bien un arrêté ministériel datant de 1994 qui fixe la liste des marchandises faisant l’objet de restrictions à l’exportation, comme ceux «présentant un intérêt paléontologique ». Mais cette restriction est facilement contournée par les trafiquants. Et si les autorités se montrent aussi laxistes, c’est sans doute parce qu’elles savent, malgré l’absence de chiffres officiels, qu’une grande majorité des habitants du Grand Sud marocain assurent leur subsistance par la seule exploitation des vestiges enfouis dans le sable. «Je n’ai jamais entendu dire que la police ait opéré le moindre coup de filet dans ce milieu, encore moins vu des accusés comparaître devant la justice», confie Ahmed Zoubaïr, journaliste au Canard libéré, un hebdomadaire satirique marocain. Certains fossiles voyagent donc parfois avec des factures en bonne et due forme mais, la plupart du temps, ils sortent du Maroc de façon informelle, cachés dans le coffre de véhicules. Erfoud compte de nombreux ateliers qui abritent des pièces rares. Les plus anciennes datent de 400 millions d’années. Abderazak – il préfère rester discret sur son nom de famille –, la cinquantaine joviale, neuf enfants à charge, est un ancien petit exportateur de dattes. Il a créé un site de vente en ligne d’objets fossilisés qu’il réactualise chaque semaine. Aujourd’hui, il a rendez-vous sur le terrain avec des extracteurs pour évaluer les dernières trouvailles. Il achètera les plus belles 3 500 dirhams (330 euros) et les revendra dix fois plus. Les chasseurs de fossiles céderont les autres pièces, moins parfaites, à des grossistes qui, à leur tour fourniront les bazars de la région, jusqu’à Marrakech. Avec le temps, Abderazak s’est constitué un réseau : des connaisseurs, des professionnels, des collectionneurs et même des musées et des universités à l’étranger… L’homme sait bien que son négoce n’est pas franchement légal.

«Pas illégal non plus, tant que dure le flou artistique», plaisante-t-il.

Conséquence de ce «flou», une grande partie de ces trésors se retrouvent dans des musées en Europe et en Amérique du Nord. Voire dans des ventes aux enchères : le squelette quasi complet d’un plésiosaure a ainsi ressurgi en 2017 à l’hôtel Drouot, à Paris. L’opération a été annulée sous la pression d’associations marocaines de défense du patrimoine archéologique et le Maroc a pu récupérer son dinosaure. Mais depuis, on n’a plus de nouvelles de ce reptile marin que la presse s’est amusée à nommer le monstre du loch Ness. Et pour cause : le pays ne possède toujours pas de musée dédié aux squelettes de dinosaures. A Tazouda, les travaux engagés en 2009 n’ont, à ce jour, pas pu être terminés, faute de financement. L’établissement est censé employer à terme plus d’une centaine de personnes et on compte bien que ses visiteurs remplissent un jour les maisons d’hôtes, hôtels ou gîtes de la région de Ouarzazate. Initialement prévue pour 2011 puis 2015, l’ouverture sans cesse repoussée est enfin annoncée pour cette année. Comme celle du musée d’Azilal, refuge du squelette de l’Atlasaurus, après des années de retard. Quant à la fameuse route des dinosaures, elle n’est pas toujours convenablement aménagée. La plupart des accès routiers ne sont pas goudronnés. Et les sites eux-mêmes, qui se visitent à pied, ne sont repérables que par des panneaux aux indications peu fiables. Le Jurassic Park marocain se fait attendre. Les dinosaures ont des millions d’années au compteur, ils patienteront bien encore un peu.

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