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Pas d’accord - Par Stéphane Juffa

Pas d’accord (010604/18) [Analyse]

Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

 

Comme tout le monde, j’ai pris connaissance des milliers de réactions à la manifestation à la mémoire de Madame Mireille Knoll, la semaine dernière. Le nombre de ces commentaires est déjà une bonne chose en soi, il reflète explicitement le dérangement ressenti face à l’assassinat barbare d’une vieille dame juive au cœur de Paris. L’expression d’un dérangement qui était resté confiné à une petite portion de la communauté israélite lors du meurtre, dans des conditions comparables, de Madame Sarah Halimi, il y a exactement un an, et de celui d’Ilan Halimi il y a douze ans, du massacre des victimes de Mohammed Merah à Toulouse, et de l’Hyper Cacher en 2015, du fait d’Amedy Coulibaly.

 

Le débat s’est surtout concentré autour de la présence de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon lors de la commémoration, de l’hostilité à leur participation exprimée par le CRIF et du mauvais accueil qui leur a été réservé lorsqu’ils ont rejoint le cortège.

 

La plupart des commentateurs, journalistes et hommes politiques ont regretté la réception qui leur a été faite, arguant qu’il s’agissait d’un hommage public de la nation française à caractère universel et, qu’en conséquence, il ne devait pas y avoir d’exclus.

 

Dans le même élan, beaucoup ont exprimé que ces incidents avaient terni le souvenir de Madame Knoll et qu’ils avaient gâché l’hommage qui lui était rendu.

 

Je réponds : pas d’accord. Je questionne d’abord le caractère universel de cette marche blanche. 30 000 personnes y ont participé selon le CRIF, lors, même en acceptant ce chiffre, dans un pays de soixante-dix millions d’habitants, on ne peut raisonnablement parler d’un hommage universel. En rappelant peut-être que suite à l’assassinat des camarades de Charly, ils étaient un million à battre le pavé parisien.

 

Encore, parmi ces 30 000 personnes, Patricia La Mosca, qui a suivi le rassemblement de bout en bout, m’a dit qu’elles étaient juives à quatre-vingt pour cent au moins. C’est certes préférable aux 3 à 5 000 Juifs qui s’étaient réunis lors des tragédies précédentes, mais cela n’en fait pas un "hommage universel". Ce n’est pas même une réunion massive de la communauté israélite qui compte en France six à sept-cent-mille personnes.

 

Ne faisons donc pas de ce rassemblement ce qu’il n’était pas. Il a surtout valu par deux caractéristiques : la présence, massive cette fois, des représentants de la nation, et une sorte de détermination nouvelle de la part des manifestants juifs.

 

Et pardonnez-moi ces comptes d’apothicaire, mais les chiffres ont leur langage, qui a ceci de particulier qu’il ne sait pas mentir.

 

Mon premier questionnement est toutefois où étaient ces députés, ces ministres et ces représentants de l’opposition les dernières fois que des Israélites français ont été assassinés pour l’unique raison de leurs origines et non pour des actes qu’ils auraient commis ou des propos qu’ils auraient tenus. Mireille Knoll ne faisait pas de politique, et Myriam Monsonégo, Gabriel et Arieh, d’Otzar Hatorah non plus, ils avaient de trois à six ans.

 

Cette interrogation est importante, car les Juifs de France, outre le fait qu’on les assassinait, ont surtout souffert de la solitude. De l’impression confirmée par la réalité que personne ne se préoccupait d’eux et ne montrait quelque empathie "nationale" pour leur sort. Ils avaient l’authentique sentiment d’être ostracisés, et pour tout dire, qu’à cause de leur proximité avec Israël, ils méritaient quelque part le sort qui les accablait.

 

A ce titre, la faible participation populaire à la marche blanche, et surtout, le tsunami de contrevérités à caractère antisémite déversées quelques jours plus tard par l’ensemble de la presse tricolore relativement aux évènements de Gaza, orchestrées par l’agence de presse étatique AFP et répétées par le ministère des Affaires Etrangères, leur a rapidement fait comprendre que la sympathie qu’on leur avait témoignée il y a huit jours n’était qu’une trêve dans la haine qui les frappe et non un changement substantiel d’approche.

 

J’en suis même à me demander si la critique disproportionnée de l’attitude de Tsahal n’a pas été influencée par la manif à la mémoire de Madame Knoll. Une manière détournée pour les journalistes, les hommes politiques et le gouvernement de dire aux Juifs : ne vous méprenez pas, rien n’a changé dans votre statut de parias.

 

A cela, il importe évidemment d’exclure les vrais amis de la nation d’Israël que sont les Manuel Valls, Philippe Val, Gilbert Collard, Malek Boutih, Claude Goasguen, Alexandre del Valle et Yann Moïx (j’en oublie sûrement, mais pas beaucoup), qui n’ont pas attendu que l’anti-antisémitisme soit éphémèrement à la mode pour nous afficher leur sympathie.

 

Dans cette liste de justes, j’ai retenu le propos de Philippe Val, invité sur un plateau de télévision et visiblement ému par les circonstances de la mort de la respectable vieille dame. Il a dit que pour qu’il y ait réaction contre le phénomène antisémite, il fallait qu’il soit cristallisé par des leaders politiques. Cela permettrait à la population de s’identifier à leur discours, car la masse ne peut pas se responsabiliser toute seule. Or pour le moment, dans la liste que je viens d’énoncer, seul Manuel Valls peut porter cette promesse, mais les avatars de la vie politique l’ont passagèrement placé trop loin des feux de la rampe afin qu’il joue valablement ce rôle de focaliseur. Reste que la roue peut encore tourner, et Valls est l’un des seuls espoirs que nous sommes à même de concevoir pour la représentation des intérêts fondamentaux de cette communauté.

 

Venons-en à l’essentiel : le rejet de la participation de Marine Le Pen et de Mélenchon a-t-il terni l’hommage à Madame Knoll, ou aurait-il pu avoir, au contraire, des retombées salutaires ?

 

Pour répondre à cette question, il faut commencer par se demander si Francis Kalifat d’abord, et une partie des manifestants, plus tard, ont eu raison de faire savoir aux deux leaders politiques que leur présence à la marche n’était pas la "bienvenue".

 

Patricia La Mosca a observé que la dignité de la communauté juive, de même que ses valeurs traditionnelles, avaient été strictement respectées tout au long du cortège. Contrairement à ce qui se passe de nos jours au cours de chaque rassemblement dans la capitale française, aucun blessé n’a été signalé, aucun saccage, aucun pillage de magasin, aucune atteinte à la propriété, qu’elle soit publique ou privée, pas de slogans racistes, genre "musulman tire-toi, la France n’est pas à toi !", donc pas d’amalgame entre le musulman qui a lacéré Mme Knoll de coups de couteau et la communauté mahométane de l’Hexagone. Et la chaussée a été laissée aussi propre que les participants l’avaient trouvée en arrivant sur les lieux.

 

Toutes ces choses que l’on aurait pu craindre au regard de la douleur et de la colère légitimes des Juifs ne se sont pas produites. Les Juifs n’ont pas perdu leur âme, ils sont restés la communauté la plus respectueuse de l’ordre républicain du pays. C’était suffisant. L’honneur de Mireille Knoll était donc sauf et personne ne saurait dire le contraire.

 

Ceci posé, une participation sans remous représentait une opportunité inespérée pour Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Il s’agissait pour eux d’exploiter le "tremplin juif" afin de s’intégrer dans le consensus républicain dans lequel ni la France Insoumise, ni le Front National ne sont actuellement admis, au moins pas complètement.

 

Or s’il était loisible pour les deux leaders de participer à cette marche essentiellement juive aux côtés de l’ensemble de la représentation politique française, ils auraient fait, à peu de frais, un pas important vers la normalisation de leurs formations respectives.

 

Les Juifs avaient-ils pour vocation de servir de machine à laver pour rendre leur virginité, et partant, leur fréquentabilité, à ces deux mouvements ? Le fait pour eux de participer à la commémoration de la mémoire de la vieille dame juive assassinée représentait-il un gage suffisant de bonne conduite, était-il le reflet d’une métamorphose suffisamment profonde et assumée pour que les Israélites français fassent à Marine Le Pen et à Mélenchon la courte-échelle vers la sortie de la marge et la républicanisation ?

 

Ma réponse est évidemment sans appel : non. C’est même cela qui aurait porté atteinte au souvenir de la victime de l’avenue Philippe-Auguste et également aux autres victimes juives citées dans cet article, enterrées hors de la présence des chefs de file des Insoumis et des Frontistes.

 

S’il s’était agi d’une authentique manifestation à caractère universel ou même national, la question aurait pu se poser (avec un demi-million de personnes, ce n’était effectivement plus l’affaire des seuls Israélites). Mais ce rassemblement petit-moyen restait malheureusement principalement juif, lors ce n’était assurément pas la tâche des Juifs de normaliser leurs rapports avec ces deux mouvements pour leur servir de marchepied, comme s’ils entretenaient avec eux, sur la durée, des relations respectables.

 

Parce que, dans le cas de Mélenchon, non seulement son parti est clairement anti-israélien et favorable à ceux des ennemis de l’Etat hébreu qui souhaitent encore officiellement l’éradiquer, mais aussi, le personnage lui-même s’est fréquemment livré à des agressions à caractère ouvertement antisémite visant les Israélites français et leur organisation faîtière.

 

En août 2014, commentant les manifestations à Paris et à Sarcelles durant lesquelles on hurlait "mort aux Juifs !", Mélenchon affirmait que les participants avaient su "se tenir dignes et qu’ils incarnaient mieux que personne les valeurs fondatrices de la République française".

 

Or s’il est une faculté que les Juifs, à travers les persécutions qu’ils ont subies ont développée, c’est la mémoire. Ce qui précède était donc inacceptable : il convient de choisir si l’on veut s’identifier aux victimes de l’antisémitisme ou encenser ceux qui appellent à tuer des Juifs. Les deux postures étant naturellement incompatibles.

 

A l’occasion du même rassemblement, qui se tenait le 24 août 2014 à Grenoble, le tribun populiste avait aussi lancé : "Nous ne croyons pas à un peuple supérieur aux autres !". Il ne manquait plus qu’il tende le bras pour faire resurgir du passé la rhétorique que les Juifs espèrent bien ne plus jamais se voir infliger.

 

Quelques jours plus tard, Mélenchon était cité dans l’Obs, s’en prenant cette fois nommément à la communauté juive : "La République, c’est le contraire des communautés agressives qui font la leçon au reste du pays".

 

Agressives ? Sans doute aurait-il pu citer le nombre de compatriotes et de musulmans, français ou non, que les Juifs français ont assassinés, à moins que, par cette pirouette sémantique, il ne se soit agi d’accabler les victimes et d’exonérer leurs bourreaux. Ce qui était le cas.

 

Mélenchon a ramené la France, dans un style proche de celui de M’bala M’bala, à l’antisémitisme racoleur des années brunes et grises, et cela, les Israélites ne le lui pardonneront pas. Mais il est allé même plus loin dans cette cagade, faisant souvent siffler le nom de personnalités israélites durant ses meetings, particulièrement celui de Bernard-Henri Lévy. Ou s’attaquant ad hominem à Pierre Moscovici, affirmant que l’ancien ministre des Finances socialiste et juif "ne pense plus en français".

 

Vous vouliez qu’un tel énergumène commémore la mémoire de Madame Knoll ? Sérieusement ?

 

Le cas de Marine Le Pen est différent. Non pas relativement à sa tentative de faire du FN un parti de droite "comme les autres", sans doute dans l’objectif de remplacer Les Républicains, fortement ramollis et divisés après l’avènement du macronisme. Tentative à laquelle les Juifs ne devaient assurément pas participer.

 

Madame Le Pen n’est ni fasciste ni fascisante, ce n’est pas là où le bât blesse. Mais elle se trouve à la tête d'un parti qui a matérialisé, des années durant, l’antisémitisme virulent de son père. Ce n’est pas que nous lui intentions un procès en hérédité, elle a même fait des efforts louables afin d’épurer le FN de ses éléments fascisants et antisémites, mais elle demeure l’héritière politique du Front National. Du parti des chambres à gaz détail de l’histoire, de Durafour crématoire, et aussi des voyages familiaux auprès de Saddam Hussein, qui se félicitait de l’antijuivisme du tribun borgne, et lui remettait des valises de billets de banque pour soutenir son parti.

 

Qu’y faire, sans ce "prédécesseur" et le parti qu’il a fondé, personne ne connaîtrait le prénom de Marine Le Pen. Elle n’a rien arrangé non plus en allant danser la valse viennoise en Autriche, lors d’une soirée organisée par des néo-nazis. Après cela, on est grillé chez les Juifs, et c’est assez compréhensible qu’ils conservent leurs distances avec tout ce qui a trait, de près ou de loin, avec l’hitlérisme, responsable tout de même de l’éradication de six millions des leurs. C’est le genre de bourdes auquel il aurait fallu penser avant de les réaliser.

 

Je dis que le rejet de Marine Le Pen et de Mélenchon n’a non seulement pas terni l’hommage à Madame Knoll, mais qu’il a eu, au contraire, des retombées salutaires sur la communauté juive française. Je dis que c’est si vous leur aviez permis de se joindre au cortège sans leur faire savoir qu’ils n’y avaient pas leur place, que vous auriez failli à honorer la mémoire de Madame Knoll et des autres martyrs juifs de l’islamisme militant.

 

Il importait que les Israélites cessent d’être les premiers de la classe de la République. D’être ceux qui se bornent à pousser la Marseillaise et à faire l’éloge de la France en enterrant leurs morts. Qu’ils cessent d’être les victimes de pas de chance, ou de la fatalité, qui ne veut décidément pas leur lâcher les basques depuis qu’Abraham a quitté la Mésopotamie.

 

J’ai aimé la même expression d’étonnement sur les visages de Marine Le Pen et de Mélenchon, devant faire face aux brutalités relatives d’une partie de la foule. J’ai aimé que les manifestants leur fassent comprendre qu’ils n’étaient pas de joyeux campeurs prêts à accepter tout et n’importe quoi contre un peu d’attention.

 

Le 28 mars, il y a eu comme un déclic de prise en charge. On a entendu pester la foule contre le rôle des media tricolores dans leur couverture ultra-biaisée du conflit israélo-arabe, contre leur incitation permanente à la haine antijuive. Les députés en tête de cortège ont clairement perçu les récriminations des Juifs ainsi que leur colère.

 

M. Mélenchon a bien été contraint de comprendre que l’attachement des Juifs à Israël était organique et non négociable ; que, ne lui en déplaise, si l’on s’attaque à l’un, on est rejeté par l’autre. 

 

D’après Patricia La Mosca, ce n’était pas les Juifs qui entouraient les représentants de la nation, mais ces derniers qui venaient rendre hommage aux Juifs, avec toute la déférence nécessaire et sans débordements de fraternité exagérés. Et sans courbettes, de la part des Juifs, telles qu’on en avait vues au Dîner du CRIF, lorsque son président, Francis Kalifat, se sentait obligé d’applaudir Macron à tout-va, bien que celui-ci vînt de critiquer la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.   

 

Dans le 11ème on n’a pas vu la "communauté agressive" dont parle Mélenchon, mais une communauté sûre de sa place dans la nation, bien calée au centre du consensus, et consciente de ce qu’elle veut, de ce qu’elle n’est plus prête à subir, et des alternatives qui s’offrent à elle, si l’Etat français continue de l’ignorer et d’ignorer sa sensibilité.

 

Comme le fait de déclarer la guerre à l’antisémitisme, tout en en attisant les courants d’air à l’odeur de pneus brûlés en provenance de l’est de la Méditerranée. Les Israélites qui se sont exprimés l’on fait dans un langage clair, ferme, plein et intelligent. C’est la seule chose qui a changé après ce rassemblement, mais cela se poursuit sur les réseaux sociaux. Ils ont relevé la tête et appris à nommer justement les malheurs du monde, et c’est le meilleur hommage qu’ils pouvaient rendre à Mireille Knoll.

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