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Peut-on dormir en paix quand on n’a pas d’ami juif ?

Peut-on dormir en paix quand on n'a pas d'ami juif ?

C'est bien joli de se prétendre ouvert d'esprit, mais encore faut-il pouvoir apporter la preuve de son absence de sectarisme. Et là, pas question de lésiner : l'élargissement des horizons nécessite une bonne logistique et une méthodologie rigoureuse. Sans oublier l'audace de se moquer des clichés.

 

Cher peuple élu,

 

L'autre soir, ayant posté ici même un billet dans lequel je te démontrai avec un humour non dépourvu de pertinence que j’étais quelqu’un de bien, je m’allongeai dans mon lit, l’âme sereine, quand tout à coup surgit sur mon épaule droite ma mauvaise conscience qui m’aborda ainsi :

 

“Hypocrite !”.

 

Surpris par cette intrusion scapulaire, j’invitai l’insolente à argumenter sans attendre son insultante affirmation. Elle le fit en ces termes :

 

- Tu prétends être ouvert au dialogue avec les croyants de toutes chapelles, mais en fait, tu ne connais aucun juif !

- Comment ça ? Mais c’est faux !

- En es-tu sûr ?

- Évidemment, je parle à plein de monde moi, alors des juifs, il doit y en avoir un sacré tas...

- Donne moi un nom !

- ... Eh bien euh...

- J’attends !

- Deux secondes, j’allais m’endormir. Ca ne vient pas comme ça... Euh... Woody Allen !

- Tu connais personnellement Woody Allen ?

- Ah ba non, pas personnellement, mais...

- C’est bien ce que je dis : tu ne connais aucun juif.

- ...

- Je te laisse ! Je reviendrai quand tu en auras trouvé un.

- Attends, ne pars pas comme ça. J’ai prévu de dormir.

- Tu dormiras plus tard. Ciao !

 

L’importune visiteuse s’évapora et me laissa seul éplucher mon carnet d’adresses mental. Si j'espérais m’endormir dans un laps de temps raisonnable, il me fallait être méthodique. L’idée du suffixe nominal me vint rapidement. Connaissais-je quelqu’un dont le nom finissait par “Berg” ?

Non !

 

Par “Man” ? Dans les films, les juifs ont souvent un nom qui se fini par “man” (Au passage : Spiderman, Superman, Ironman, Batman... Tous les super héros sont juifs. Hulk est peut être norvégien...).

 

Non plus !

 

Peut-être un nom plus “ashkénaze”... Bensoussan ? Benamou ? Abitbol ? Benichou... Il y en a des tonnes, des Benichou ?

 

Toujours pas !

 

Bordel, ce n’était pas la bonne tactique. D’ailleurs, mon propre nom ne trahissait pas mes maghrébines origines. J’essayai autrement, en creusant mes souvenirs les plus profonds. A l’école primaire, par exemple. Ayant grandi dans la banlieue lyonnaise, je n’étais quand même pas si isolé. Qu’en était-il de mes petits camarades ? En cherchant, Il y avait bien un David... Mouais. Ça ne signifiait rien, et puis j’étais trop jeune pour m’interroger sur l’appartenance religieuse de mes petits camarades. M’étais-je jamais interrogé à ce sujet, d’ailleurs ? Bien sûr que oui, mais à partir de quand ? Le collège, le lycée, les beaux-arts ? Peut être les beaux-arts... Nous étions 128 étudiants en première année, il devait bien avoir un juif parmi nous ?

 

Peut être, mais aucun nom, aucun visage ne me venait.

 

Surgirent alors tout un tas d’autres questionnements plus décevants les uns que les autres. Pourquoi n’étais-je pas foutu de trouver un seul juif parmi mes connaissances ? Est-ce que quelque chose, malgré moi et ma présumé tolérance, me poussait inconsciemment à éviter de côtoyer les juifs ? Mon indifférence apparente pour les croyances des autres n’était-elle qu’un leurre, me poussant invariablement à devenir proche de gens m’étant plus ou moins semblables, c’est à dire des athées-urbains-éco-responsables-mous-de-la-gauche ?

 

Qu’en était-il de mes rapports avec les autres religions et, plus généralement, des autres nationalités ? Compte tenu de mes origines algériennes, je me rendais compte que je ne connaissais finalement pas tant de maghrébins que cela. Très peu étaient musulmans, mais j’en connaissais tout de même. Et les africains en général ? Aucun problème avec les africains, j’arrivai à en compter aisément parmi mes connaissances.

 

Je comptai pas mal d’européens, sans distinction de pays particulière, mais c’était plutôt facile : ils étaient majoritairement chrétiens ou athées. Etonnamment, j’énumérai une quantité non négligeable de latino américains et d’asiatiques malgré la distance géographique qui me séparait d’eux. Finalement, ce n’était pas si étonnant : ayant travaillé dans et avec des associations internationales, j’ai eu l’occasion d’en croiser pas mal.

 

C’était ça : il fallait que je creuse mon parcours professionnel...Mmh... 2002... La Palestine... Bingo !

 

Sur mon épaule, la mauvaise conscience était réapparue :

- Alors, tu as trouvé ?

- Oui ! Une femme, en 2002, et je suis sûr qu’elle est juive : elle me l’a dit !

- Mouais ?

- Sceptique ? Je peux le prouver. Suis-moi !.

 

Et je poussai ma mauvaise conscience à me suivre dans le salon où se reposait mon PC portable.

 

- Regarde, elle fait même partie de mes amis sur Facebook.

- Comment l’as-tu connue ?

- Dans une ONG, elle travaillait en Cisjordanie pour aider des Palestiniens à développer l’élevage ovin malgré les pressions israéliennes.

- En Palestine ? Une juive qui lutte pour les palestiniens et contre Israël ?

- Non, contre le gouvernement israélien ! Ne fais pas d’amalgame.

- Quand même, elle n’est pas très représentative.

- Ça, c’est toi et tes préjugés qui en jugent.

- En tout cas, ça en révèle beaucoup sur ta perception du judaïsme...

- Ça ne révèle rien du tout ! D'ailleurs, tes insinuations sont infondées et paranoïaques. C’est toi, ma mauvaise conscience, qui a un problème avec les juifs. Moi, je ne choisi pas qui je croise dans la rue.

- ... et c’est tout ?

- Quoi “c’est tout” ?

- C’est la seule personne juive que tu as trouvé ?

- Ben... Ouais !

- ...

- Tu m’emmerdes maintenant ! Il doit y en avoir d’autres.. qui ne me viennent pas à l’esprit. Des juifs, j’en connais sûrement et je ne le sais pas. Je ne pose pas la question de savoir s'ils le sont ou pas, et c’est peut être d’ailleurs tout à mon honneur. Et puis tous mes amis ne sont pas sur Facebook.

- Ils sont curieux d’ailleurs.

- Qui ?

- Tes amis qui sont sur Facebook.

- Pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils ont ?

- C’est surtout ce qu’ils n’ont pas qui m'intéresse.

- Qu’est-ce qu’ils n’ont pas, alors ?

- La peau... noire !”

 

Je vous laisse vérifier la liste de vos amis Facebook...

 

Par Philippe Boyrivent Petit fayot

Edité par Gaëlle-Marie Zimmermann

Mon blog : www.petitfayot.com

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