Pour Sion, je ne me tairais pas !! Par Delphine Horvilleur
Je ne cesse de lire sous la plume de bien des commentateurs que l'État juif aurait vaincu l'État démo-cratique, qu'Israël aurait fait le choix du judaïsme contre les valeurs libérales, la Bible et le Talmud contre les Lumières et la modernité...
Et j'ai envie de hurler.
Non que je ne perçoive pas le danger en cours pour la démocratie israélienne.
Il faudrait être bien naïf pour ne pas reconnaître le phénomène à l'œuvre, comme un miroir assez précis de ce qui frappe d'autres pays : la montée des nationalismes et des populismes, des obsessions iden-titaires, l'attaque contre les institutions démocratiques, les médias, l'indépendance de la justice, les droits des minorités ou les valeurs progressistes; l'obsession nationaliste ou religieuse pour les identités « pures » ou « authentiques » ; la figure du chef intouchable qui parle au nom du peuple pour mieux renforcer son pouvoir ou sa protection personnelle...
Tout ceci n'est pas très original, n'en déplaise à ceux qui savourent la diabolisation d'Israël, qui aiment décrire ses égarements ou ses fautes comme plus terribles que ceux du reste du monde.
Inutile de perdre du temps à tenter de convaincre ces obsédés d'autre chose : ils feront toujours d'Israël le grand coupable, un acteur plus immoral ou entaché que les autres, à culpabilité égale.
Désolée pour eux, mais la dérive nationaliste et antilibérale d'Israël n'est pas plus immorale et dangereuse que celle qui se manifeste ailleurs...
Ou plutôt, elle l'est tout autant.
Reste l'autre catastrophe, plus pernicieuse à mon sens, qui consiste à suggérer que la force active derrière cette entreprise d'instabilité démocratique porte un nom: le judaïsme.
Et c'est là où je tremble.
J'enrage de voir ce nouveau gouvernement nourrir une telle aberration, se gargariser de son respect des valeurs juives « véritables et ancestrales », s'ériger en garant de la pureté de l'identité et établir en son nom des ministères, délégitimer les voix plurielles du judaisme mondial pour ne « cashériser » qu'une recette orthodoxe et messianico-nationale, faire de la lutte contre l'égalité hommes-femmes, contre l'homosexualité, ou pour la suprématie ethnique des « valeurs juives ».
Alors, non, l'Etat juif n'a pas gagné contre l'Etat démocratique... pour la simple et bonne raison que l'un et l'autre sont les immenses perdants du virage actuel.
Le judaïsme fait aujourd'hui l'objet d'un kidnapping idéologique, au nom de certitudes messianico-nationalistes qui l'amputent d'une partie de lui-même, de ce qu'il a pu être et ce qu'il pourrait encore dire...
Le prophète Isaïe l'affirme sous la forme d'un célèbre adage biblique: « Pour Sion, je ne me tairai pas », et sa voix résonne aujourd'hui, pour beaucoup d'entre nous, comme une injonction sacrée.
Par amour pour Sion, il nous faut parler.
Bien sûr, je sais mieux que d'autres ce qui rend cette prise de parole complexe, ce qui la censure parfois. La haine antisémite, tout en fantasmant une solidarité juive à toute épreuve, se régale toujours des différends internes au peuple juif.
L'obsession antisioniste, à l'affût de tout ce qui pourrait saper un peu plus le droit d'Israël à exister, instrumenta-lise toute critique, a fortiori quand elle est exprimée par une « voix juive ».
Pourtant, je veux joindre aujourd'hui la mienne à celle de tous ces amoureux d'Israël qui se sentent trahis et qui savent bien qu'ils seront demain accusés d'être des ennemis au projet qu'ils ont tant aimé ou nourri.
Être accusée de trahison ou d'illégitimité, j'ai une certaine habitude en la matière, et pas mal d'entraînement à l'exercice.
Ces dernières années, j'ai si souvent entendu que je n'étais qu'une imposture, que mon judaïsme n'était pas assez « barbu » ou dogmatique pour être authentique qu'une femme rabbin ça n'existait pas, que mon sionisme de gauche, ma dénonciation des effets de la colonisation, ou mon souci de la souffrance palestinienne faisaient de moi une traîtresse, une naïve ou une irresponsable.
Et j'ai eu si souvent à vivre des affrontements avec des voix conservatrices que j'ai fini par comprendre ce qui nous distinguait vraiment: ce n'est, au fond, ni notre croyance, ni notre pratique, ni notre attache à la tradition, ni notre souci de l'avenir du peuple juif.
Non, c'est autre chose de plus fondamental : notre rapport à l'authenticité. …..NDLR ( la tradition parle et a toujours parle par des voix plurielles)….
L'interprétation juive d'un Ben Gvir n'est qu'une voix, une langue parmi toutes celles que le judaïsme peut parler. Il n'est pas ma langue juive, pas celle dans laquelle je parle à mes enfants, mes élèves ou mes amis, pas celle en laquelle je crois.
Son message exclusif et excluant nous appauvrit et nous condamne, quand il affirme détenir la pleine légitimité. Il doit être, à ce titre, combattu de l'intérieur même de la tradition juive, et pas uniquement par les forces de la démocratie moderne.
Il nous revient de ne laisser ni le sionisme ni le judaïsme être kidnappés par ceux qui s'en affirment les uniques propriétaires.
Il nous revient de lutter pour la démocratie en Israël, non pas contre le judaïsme, mais avec et grâce à lui.
Commentaires
Publier un nouveau commentaire