Réinvestir le terrain du vivre-ensemble
J’ai eu ce week-end le plaisir et le privilège d’être invité à intervenir à Agadir lors du colloque «Le Maroc terre d’ouverture sur le monde», organisé à l’occasion du Concert pour la tolérance par Si Aziz Akhannouch et son association.
J’y ai côtoyé Marylise Lebranchu et Luc Chatel, anciens ministres français et personnalités politiques de longue expérience ainsi que notre ministre de la justice Si Mohamed Aujjar et Hassan Fnine enseignant et administrateur du GEC.
Je voudrais vous donner ici un aperçu de mon intervention où sans langue de bois et avec franchise j’ai tenté de faire passer un message : si la tolérance et le vivre-ensemble sont effectivement une tradition ancestrale chez nous, il n’empêche qu’il y a urgence à réinvestir le terrain et à lui donner un contenu palpable et concret au quotidien !
Le Prix attribué à notre Roi, par la Coalition mondiale pour l’espoir, en reconnaissance de ses efforts dans la promotion de la tolérance et le rapprochement interculturel est l’exemple de ce que notre pays représente en ce domaine. Il faut dire qu’en ces temps de haine le Souverain fait preuve d’un grand courage, rénovant les synagogues et cimetières juifs, veillant à la sécurité des chrétiens vivant sur notre sol, menant une politique de dignité envers les Subsahariens… Or si notre héritage de tolérance (même si ce mot est imparfait) il est indispensable – en cette époque de rejet de l’Autre, de détestation d’autrui, de violence et de barbarie – de protéger ce patrimoine, de le préserver, de l’enrichir, de le faire vivre sur le terrain.
Notre pays a inscrit sa diversité dans le préambule de sa Constitution, il nous faut aujourd’hui réinvestir le terrain, retrouver le chemin des quartiers populaires, faire preuve de sensibilisation, de pédagogie notamment envers notre jeunesse, abreuvée de la violence véhiculée par le Web et pour qui le juif par exemple n’est vu que par le prisme des télévisions satellitaires, au travers du conflit israélo-palestinien alors que le Marocain juif est notre compatriote, notre voisin, qu’une maman juive pouvait allaiter un enfant musulman et vice-versa, que les fêtes musulmanes et juives étaient l’occasion de festivités familiales communes – époque inconnue des générations actuelles.
Le phénomène est identique avec les Européens, les Français plus particulièrement, que le jeune Marocain d’aujourd’hui amalgame à des xénophobes, des racistes invétérés et confond bien souvent avec l’idéologie propagée par le FN… Que dire de notre rapport aux Subsahariens, le plus souvent chrétiens, qui vivent parmi nous et pour lesquels notre comportement n’est pas à la hauteur de cette tolérance que nous voulons nôtre.
Oui le Maroc est une terre d’ouverture, oui la tolérance (ou co-existence, ou fraternité) est une richesse innée en nous, mais il nous faut d’urgence lui (re)donner du sens, du contenu, du souffle, sur le terrain ou alors le danger est grand de voir cette richesse acquise grâce à notre diversité (le Maroc n’est-il pas le seul pays à l’avoir inscrite dans le préambule de sa Constitution) disparaître sous les coups de boutoir des tenants de la haine, des «enrôleurs», des fabricants de radicalisation.
Là encore la culture est l’outil le plus sûr du vivre-ensemble, le plus apte à combattre la haine et propager la tolérance : par la connaissance qu’elle apporte de l’Autre, par le métissage qu’elle crée, par les rapprochements qu’elle facilite.
Le Concert pour la Tolérance en est un vivant exemple, il nous faut aujourd’hui multiplier les activités inspirées de ce modèle, partout, à grande et à petite échelle, de la grande ville au petit quartier et faire en sorte que la population, la jeunesse se réapproprie cette envie de vivre ensemble, de rencontrer l’Autre, de connaître autrui… C’est ainsi que notre patrimoine fait de fraternité, de tolérance, d’ouverture sur le monde perdurera et s’enrichira. Malgré tous les aléas internationaux nous gardons cette richesse au cœur, nous n’avons pas le droit de céder le terrain devant la barbarie, le monde nous regarde, nous observe, car notre Histoire qui lie si intimement compatriotes musulmans et juifs, qui nous fait vivre en harmonie avec les chrétiens, est un diamant. Comme toute pierre précieuse elle est rare et doit être sans cesse polie, cultivée. A nous d’en être les artisans inlassables.
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