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Sanctions sur l'Iran : la débâcle continue

Sanctions sur l'Iran : la débâcle continue (011902/19) [Analyse économique]

Par Amram Castellion © Metula News Agency

           

La semaine dernière (mercredi 13 et jeudi 14 février) s'est tenue à Varsovie une conférence internationale d'un genre particulier. Les Etats-Unis, les Etats européens, les Etats arabes du Golfe et Israël étaient tous invités, sous la présidence du Vice-Président Mike Pence, pour parler de "promouvoir un avenir de sécurité et de paix au Moyen-Orient".

 

La composition de la liste des invités ne laissait aucun doute concernant le véritable objectif de la conférence : il était d'afficher ouvertement la coopération de tous les pays décidés à agir contre la menace iranienne.

 

La minorité des pays européens qui souhaite, au contraire, maintenir un lien "constructif" avec l'Iran – principalement l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni – avaient fait le choix de ne pas envoyer leurs principaux dirigeants à la conférence et n'y étaient représentés que par des diplomates de moindre niveau. De même, la responsable de la politique étrangère communautaire, Federica Mogherini – une partisane bien connue de la détente avec l'Iran – n'a pas trouvé dans son emploi du temps quelques heures pour une apparition à Varsovie.

 

Les puissances qui rêvent encore d'éviter l'isolement international de la République Islamique sont cependant bien isolées. A Varsovie, le Premier ministre israélien s'est affiché avec les ministres des Affaires Etrangères du Bahreïn et d'Oman. Les ministres des Emirats, d'Arabie Saoudite et du Bahreïn ont longuement discuté, à micro ouvert, des attaques israéliennes sur des cibles iraniennes en Syrie – et ils n'avaient que des éloges pour ces actions. Benjamin Netanyahu a eu une longue conversation avec les ministres du "groupe de Visegrad" (Pologne, République tchèque, Slovaquie et Hongrie), au cours de laquelle les quatre Européens n'ont pas émis d'objections à l'affirmation du Premier ministre hébreu, selon laquelle l'Europe fait fausse route à ne pas se rapprocher davantage d'Israël face à la menace commune.

 

Pour que le front anti-iranien puisse s'afficher aussi ouvertement, il ne peut y avoir qu'une explication : l'Iran est devenu trop faible pour que les pays concernés risquent quoi que ce soit. De fait, depuis la pleine entrée en vigueur des nouvelles sanctions américaines le 5 novembre dernier, l'Iran continue à s'affaiblir inexorablement. Les mesures mises en place pour contourner ces sanctions ne sont pas à la hauteur, loin s'en faut, de l'hémorragie économique terminale que connaît le pays.

 

Des dizaines de grandes compagnies, principalement américaines et européennes, installées en Iran soit depuis plusieurs décennies, soit à l'occasion de la levée des sanctions internationales qui avait fait suite à l'accord nucléaire de 2015 (dit "JCPOA") ont annoncé leur départ par crainte des sanctions américaines.

 

Lors du premier train de sanctions en août, les entreprises industrielles avaient commencé le mouvement de sortie : le pétrolier français Total et son homologue russe Lukoil, le transporteur naval norvégien Maersk, l'automobiliste Peugeot, les avionneurs Boeing et Airbus, le raffineur de pétrole indien Reliance, le géant de l'ingénierie allemande Siemens…

 

Puis, avec le deuxième train de sanctions, le 5 novembre, ce sont les dernières entreprises financières qui ont suivi le pas. Les banques avaient presque toutes anticipé les sanctions et annoncé qu'elles cessaient toute activité en Iran. La compagnie belge de systèmes de paiements SWIFT a été la dernière à partir dans les premiers jours de novembre, rendant considérablement plus complexe tout transfert financier en provenance ou à destination de la République Islamique.

 

En plus de priver l'Iran d'investissements étrangers, ces départs réduisent fortement sa capacité à maintenir à flot son industrie pétrolière et gazière, qui représentait en 2017 80% environ des exportations du pays.

 

Certes, les Etats-Unis ont accordé des dérogations à huit pays importateurs de pétrole iranien, pour éviter de bouleverser les marchés du pétrole et de provoquer des hausses de prix excessives ou des ruptures d'approvisionnement. Mais ces dérogations – notamment pour l'Irak, l'Inde, le Japon et la Corée du Sud – ont toutes des limites dans le temps. Il ne fait aucun doute que l'objectif des Etats-Unis est d'en réduire progressivement la portée pour étrangler toujours davantage l'économie iranienne, du moins tant que la République Islamique sera au pouvoir. Dans l'intervalle, le manque d'investissement dans les industries d'extraction iranienne réduit graduellement la production et en augmente les coûts.

 

Face à ce retrait massif des circuits financiers et des investissements mondiaux, l'Iran n'a que des possibilités limitées d'action. Il peut se tourner vers des entreprises chinoises ou russes, mais ni les unes ni les autres ne seront prêtes à s'engager pour les mêmes montants dans une économie déclinante (et leurs technologies sont souvent, quoique pas toujours, moins efficientes). Téhéran peut contourner les sanctions en faisant vendre par l'Irak du pétrole iranien sous pavillon irakien… mais là encore, les bénéfices sont limités. Enfin, l'élite économique du pays continue à profiter, grâce à des prises de participations complexes et opaques, d'un réseau d'avoirs à l'étranger qui la protège en partie de l'effet des sanctions. Mais il n'en est pas de même du peuple, qui connaît une paupérisation accélérée et dont le mécontentement face au régime se manifeste presque tous les jours dans des manifestations aux quatre coins du pays.

 

Le recul économique de l'Iran s'accompagne, inévitablement, d'un déclin militaire. La République Islamique a dépensé des milliards d'euros pour financer ses satellites au Moyen-Orient – Hezbollah, Hamas et Houthis – et son installation directe sur le territoire syrien. Elle n'a strictement rien obtenu en échange : ni contrôle du Yémen, ni la moindre attaque réussie contre Israël. Et elle a perdu des centaines d'hommes, des armes pour des centaines de millions d'euros de valeur, dans les frappes d'Israël et de ses alliés divers et variés.

 

Là encore, la population iranienne ne supporte plus que la richesse du pays parte dans des aventures militaires vouées à l'échec : parmi les slogans les plus populaires des manifestations iraniennes figurent "Mort à la Palestine" et "Ni Hezbollah ni Hamas". Le pouvoir, certes, tient encore. Mais les Iraniens n'ont plus aucune illusion. Et au fur et à mesure que leur situation se dégrade, leur colère ne peut que continuer à monter pendant que le régime continuera à s'appauvrir. Personne ne sait quand la conséquence logique de cette situation – un changement de régime – se produira ; mais à moins que les Etats-Unis ne changent de politique, cette conclusion est désormais la seule possible.

 

Dans cette situation, l'annonce récente, le 31 janvier dernier, de la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni sur la création d’un instrument dit INSTEX ("Instrument for Supporting Trade Exchanges") pour échapper aux sanctions américaines et faciliter le commerce entre l'Europe et l'Iran, ne peut avoir qu'une valeur symbolique.

 

INSTEX, dont la gestion est basée à Paris, permettra aux petites entreprises de disposer d'un système de paiement sécurisé avec l'Iran, sans aucune utilisation du dollar américain (le seul fait de commercer en dollar rend en effet les entreprises susceptibles d'être atteintes par les sanctions américaines si elles travaillent avec l'Iran). Mais s'il permet aux PME de commercer, INSTEX n'est pas accessible aux grandes entreprises : ses très modestes revenus, environ 3 millions d'euros, ne lui permettent pas de garantir les paiements des grands structures.

 

De plus, INSTEX ne résout pas la question centrale de l'investissement dans l'économie iranienne. Il ne permet pas non plus aux entreprises d'échapper aux sanctions américaines si elles voulaient travailler dans un des secteurs sous sanctions (hydrocarbures, transports, énergie etc.). Le nouvel instrument de paiement ne résout que le problème des paiements, non celui de l'illégalité des opérations elles-mêmes. Il se concentrera donc sur certains secteurs tels que la pharmacie, la santé et l'agroalimentaire, qui sont exclus des sanctions.

 

Dans ces conditions, les protestations diplomatiques américaines contre la mise en place d'INSTEX sont restées formelles et sans portée réelle. Tout se passe comme si quelques pays européens, dans la lente danse de la mort qui accompagne le régime des mollahs vers sa fin, avaient cherché à prendre le rôle – que quelqu'un doit toujours remplir – de dernier canal de communication diplomatique vers une junte déclinante. L'Amérique et Israël protestent, mais savent qu'il y aura quelqu'un pour passer leurs messages à l'Iran s'il le fallait. Les Européens se drapent du droit international, mais savent parfaitement que la création du nouvel instrument ne montre que leur faiblesse face aux sanctions américaines. Chacun joue son rôle et, pendant que le peuple iranien souffre, peut observer de son coin du théâtre le déclin, et bientôt la fin, du régime des mollahs.

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