Shamash Malgré Lui ! Par Victor Assouline
Le Shamash (Bedeau, Gardien) de notre synagogue a démissionné.
Il ne vient même plus prier. Il s'est trouvé une autre synagogue... Il y en a plein dans le quartier.
(Une d'entre elles a été attaquée récemment.)
Une grosse chamaille a éclaté entre lui et un coreligionnaire devant la synagogue.
Impossible de savoir de quoi il s'agissait.
Ils se criaient dessus en Farsi (Persan). Ils en sont presque arrivés aux mains. Heureusement que j'étais là pour les séparer... sic.
J'ai cru voir un des deux mettre la main au portefeuille. C'était peut-être une question d'argent... sic.
On est venu me demander de le remplacer. C'est logique !! J'habite sur place.
J'ai dit oui... Malgré moi. Du moment que c'est temporaire bien sûr. Je ne vais quand même pas finir mes jours comme aide de camp dans une synagogue.
J'avais d'autres plans pour ma vieillesse. Imaginez... Inscrit sur ma tombe : Ci-gît un Shamash malgré lui.
En attendant, je prends mon nouveau rôle au sérieux.
Il est 5 heures du matin et je suis réveillé depuis longtemps. Je sors de mon bungalow.
J'ouvre les portes, j'allume les lumières, je range les bouquins de prière.
Si c'est lundi ou jeudi, j'aide le rabbin à préparer les Sefer Torah au passage qui va être lu plus tard.
Je me fais un café et je sors à la véranda pour fumer une de mes nombreuses cigarettes de la journée.
Si je suis seul, j'en profite pour avoir un tête-à-tête avec le grand patron.
Il fut un temps où je pouvais faire "synagogue buissonnière." Plus maintenant, j'ai des responsabilités... moi !!
Le pire dans cette histoire, c'est que je me suis mis à prier... sic.
Et pas une fois, mais trois fois par jour. En plus, j'ai la chance de comprendre ce que je lis. Attention !! J'ai fait la Yeshiva de Tanger. Comme a dit Elie Wiesel : _ La prière ça marche...
Petit à petit, les fidèles déambulent. Il y a des Français, des Perses, des Israéliens, des Marocains. Pas d'Ashkénazes... Dieu merci.
En attendant les retardataires, j'ai une blague toute prête pour eux. Ils adorent... je leur donne aussi un compte rendu des derniers événements dans ce monde à l'envers.
J'ai déjà lu toute la presse depuis 3 heures du matin. De la Fox à Al Jazeera, en passant par le Figaro.
Ce matin, je leur ai annoncé que le premier ministre écossais avait dû démissionner... Son nom ? Hamza Yousaf. J'ai cru halluciner.
Hamza Yousaf, un Pakistanais bien de chez nous... Premier ministre d'Écosse. J'ai voulu en savoir plus. Voilà ce que Wikipédia en dit : (Jihadiste radical et antisémite qui se masque en nationaliste écossais en quête d'indépendance, rêvant en même temps d'un califat global sous la sharia.) (Wikipédia).
Drôle de curriculum vitae. Au moins, ça a le mérite d'être clair.
Après Chahrit (prière du matin), je me fais accompagner par un des membres à UCLA pour mes infusions de chimio. Ce qui m'évite de prendre deux autobus.
Je reste sur le sujet pour remarquer que certaines gens sont presque étonnées de me voir encore dans les parages et en relativement bonne forme.
Ce n'est pas de ma faute si j'ai une bonne constitution et un moral en béton. J'en suis moi-même surpris.
La douleur est toujours là, mais elle ne me fait plus mal... sic.
Je commence à croire que ce n'est pas la maladie qui aura ma peau mais cette foutue tristesse qui m'enveloppe depuis le 7 octobre et qui ne me donne aucun espoir sur le futur.
J'ai l'impression que le monde entier nous en veut. Aujourd'hui en Australie, une pancarte dans la foule antisémite bien en vue des caméras... "Gaz the Jews".
Huit milliards d'Antisémites et Moi... et Moi... et Moi...
L'âge d'or de la juiverie mondiale est définitivement révolu.
Certains disent que les choses vont se calmer avec le temps. Que le monde va revenir à ses sens. Je n'y crois plus. C'est plutôt parti pour une guerre de cent ans.
Deux mois déjà et j'y suis encore... Shamash malgré moi, et toujours pas rémunéré... sic... Il est 20 heures. Les prières du soir sont terminées. Les fidèles quittent. J'éteins les lumières et je ferme les portes.
La synagogue est entre de bonnes mains pour la nuit.
En fin de compte je suis bien ici et je dois remercier le ciel de m’avoir posé là.
C'est un vrai privilège d'être entouré d'une congrégation qui m'apprécie et me soutient. J'en suis très reconnaissant.
Je le serais encore plus s'ils mettaient des billets au lieu de pièces dans la cagnotte réservée au Shamash... sic.
En même temps on me parle de congé payé. Ils doivent bien aimer mon boulot.
Seul dans mon bungalow, je rêvasse de jours meilleurs, d'une cure pour mon cancer, de Golda, d'un Abraham Lincoln israélien qui nous ramènerait à la paix entre nous et avec nos voisins.
Rêve encore Victor. Rêve... Tu te veux philosophe maintenant ?
Le miracle continue et mon Ange Gardien m'ouvre le chemin.
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