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Shmuel Trigano: "Pour les Juifs, le besoin d'une réforme morale"

Shmuel Trigano: "Pour les Juifs, le besoin d'une réforme morale"

 

Par Shmuel Trigano

 

Le billet de Shmuel Trigano, Professeur des Universités

Le mois d'Elloul est propice à l'examen de conscience mais cet exercice qui concerne en règle générale les individus devrait aussi concerner la collectivité, en l'occurrence le peuple juif, une réalité qui englobe autant le for intérieur de chaque Juif du monde que l'ensemble des Juifs, par delà leurs dispersions et leurs divisions. C'est sans doute ce qui est le plus difficile à concevoir, cette vue d'ensemble sur soi. Les individus sont pris en règle générale dans leurs passions et leurs divisions. Seuls leurs ennemis, en les singularisant dans le monde, pourraient accréditer que, par-delà leurs divisions, ils existent comme un tout, assignés au même "destin". Or cette réalité collective est aussi intérieure, psychologique et morale, et c'est justement là que doit se faire l'examen de conscience collectif. C'est ce à quoi nous convie une journée comme Kippour, en nous montrant que la condition collective peut ne pas être un destin commandé par l'inimitié du monde extérieur mais aussi une liberté, une volonté, un choix, puisant en lui-même les forces de se tenir dans le monde.

Ces dernières années ont démontré l'urgence d'un tel effort moral, d'une réforme morale du peuple juif. Le symptôme le plus fort de cette exigence fut sans doute le réveil d'une vieille pathologie juive : la haine de soi (ou, plus exactement d'autres Juifs que soi), le besoin de reconnaissance des autres pour se respecter soi-même. Les deux vont de pair, en effet, car la haine de soi si elle se veut très vertueuse (les meilleures raisons morales de cette haine sont avancées), se résume à la haine d'autres Juifs, dénoncés devant le tribunal des non-Juifs de sorte à se faire reconnaître comme de "bons Juifs" à l'encontre des "mauvais" (le "colon", l'"intégriste", le "sioniste", etc.) aux yeux d'un tiers, le tribunal de l'opinion occidentale. La haine de soi témoigne en négatif et dialectiquement de l'existence d'un destin collectif juif qui n'est assumé que dans le rejet et le sacrifice d'autres Juifs, destinés à prouver en retour la bonne volonté et la sociabilité de "bons" Juifs. Hannah Arendt a définitivement nommé ces Juifs comme "les Juifs d'exception". Ils n'existent aux yeux des autres qu'en excluant d'autres Juifs. Terrible faiblesse morale qui se joue la comédie de la morale pour cacher sa démission intime et son manque de courage !

 

«La haine de soi si elle se veut très vertueuse, se résume à la haine d’autres Juifs.»

Cela s'observe dans l'actualité dans la propension de certains à se sentir coupables, à s'accuser eux-mêmes, avant tout examen des faits. La culpabilité des Juifs, leur aveu, c'est justement ce qui est espéré d'eux par les univers sortis du christianisme et de l'islam, dont l'identité fait corps avec le mythe d'un Juif criminel. C'est cet "aveu" qui témoignerait de leur moralité et de leur « fréquentabilité ». Ce qui est en question ici, en fait, ce n'est pas une réelle culpabilité de certains Juifs, toujours possible, mais leur culpabilité collective de principe. C'est ce que j'ai entendu dans les propos du président israélien exprimant sa "honte" à la suite du meurtre présumé commis par des Juifs (sans aucune preuve tangible si ce n'est un tag écrit en hébreu, ce que toute le monde peut faire !). Au lieu de condamner cet acte meurtrier comme une atteinte au pouvoir souverain de l'Etat d'Israël. Hollande a-t-il "honte" des actes terroristes français ? Cette "honte"-là est digne d'une psychanalyse approfondie par ce qu'elle révèle (de cette idée aussi qu'Israël doit être un exemple pour l'humanité pour avoir le droit de vivre : contentez-vous de vivre et de survivre !).

C'est là où une réforme de la morale collective s'impose. Il n'y a aucune culpabilité dans la collectivité d'Israël dont il faudrait se laver. C'est un principe fondamental qu'il faut énoncer, autant dans le contexte moral que politique. Dans le judaïsme, il n'y a pas de théologie du "péché originel" (cf. le "péché originel de l'Etat d'Israël" forgé par les post-sionistes israéliens). Je sais bien que cette affirmation peut heurter un certain judaïsme rabbinique mais elle pointe avec  force sa défaillance, aujourd'hui manifeste sur tous les plans de la vie de l'Etat d'Israël, en une époque où le peuple juif a retrouvé une souveraineté. Cette souveraineté impose un changement d'attitude, de nouvelles mœurs, une vision des choses différente. Elle repose l'enjeu moral à un autre niveau, celui de la collectivité et pas des individus, un niveau auquel tout le peuple juif doit se hausser. 

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