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Splendeurs et misères de Debdou

 

 

 

 

Splendeurs et misères de Debdou

 

 

 

 

Récemment secouée par un scandale sanitaire, Debdou cherche à reconstruire son identité. Celle d’une ville multiculturelle où juifs et musulmans ont vécu pendant des siècles en bonne harmonie.

 

Située entre Taourirt, Nador et Oujda, Debdou respire une sérénité propre aux régions montagneuses. L’air y est pur, le silence presque total. Hormis quelques élèves se dirigeant vers leur école, les rares personnes rencontrées dans la rue marchent d’un pas alangui, saluant un ami par-ci, une connaissance par-là. « A part le farniente, il n’y a pas grand-chose à faire ici », commente un habitant de cette ville de 4500 âmes, qui semble vivre repliée au milieu des reliefs qui l’entourent. Le visiteur étranger est scruté avec insistance, mais nulle hostilité dans les regards : distants, les habitants se montrent chaleureux et accueillants, pourvu que leur hôte brise la glace. Debdou, qui ressemble aujourd’hui à n’importe quelle petite bourgade du Maroc, a autrefois connu des périodes fastes. Il fut un temps où toutes les caravanes qui transitaient par la région y faisaient escale. C’est aussi l’une des rares villes du Maroc où juifs et musulmans ont vraiment vécu en paix, où des citoyens des deux confessions ont occupé des rôles politiques prépondérants, loin de la marginalité dans laquelle les juifs étaient confinés à Fès ou à Marrakech. Le déclin s’est amorcé en 1970, quand les derniers membres de la communauté israélite ont quitté la ville. Depuis, le nombre d’habitants a chuté de moitié. 

Absente de l’actualité depuis des années, Debdou s’est retrouvée sous les feux des projecteurs suite à un événement dont les Debdoubis se seraient bien passés. L’après-midi du 4 mars, Zohra Benamer, une habitante du douar Beni Fechat, situé à 40 kilomètres, est transportée d’urgence au petit hôpital de Debdou, mais elle trouve porte close. En désespoir de cause, Zohra accouche sur le trottoir, aidée par deux passantes. Quelques minutes plus tard, c’est la mobilisation générale : élus, présidents d’associations et citoyens accourent sur les lieux, indignés. Le soir même, les journaux électroniques locaux relaient l’information, suivis, le lendemain, de la presse nationale.

Un seul médecin

Vingt jours après les faits, l’incident est toujours présent dans les mémoires. Les Debdoubis, touchés au vif, y voient l’aboutissement d’un long processus de cloisonnement progressif. « Nous avons quatre sages-femmes, deux infirmières et un seul médecin, qui refuse les horaires de garde. Parfois, les patients ne peuvent pas se faire soigner, faute de médicaments », s’indigne un jeune habitant de la ville, qui poursuit : « Que font nos élus ? On dirait qu’ils ont perdu tout sens de la communauté. Pourtant, ils sont originaires d’ici ». A Debdou, la base électorale de la ville est majoritairement constituée de jeunes. Lors des élections communales de 2009, les citoyens ont voté pour l’Istiqlal, l’un des trois partis historiquement enracinés à Debdou, avec le Mouvement populaire (MP) et l’USFP. Les élus sont moins choisis pour leur discours ou leur idéologie que pour leur notoriété et leur généalogie. 

Abidi El Yamani, président istiqlalien de la municipalité de Debdou, sait qu’« il faut adapter notre programme à la jeunesse et prendre compte de ses priorités », mais considère que « la santé est un problème aux ramifications trop complexes ». Il précise qu’en « théorie, nous disposons de suffisamment de médicaments pour satisfaire les besoins de la population. Or, notre hôpital doit s’occuper de plus de 35 000 personnes, qui habitent dans les villages avoisinants et viennent à Debdou en raison de sa proximité. Quant au médecin, nous l’avons prié d’accepter les horaires de garde, mais il a refusé. Ce qui est compréhensible, vu le flux massif de patients qu’il reçoit quotidiennement ». Quelques mois avant l’incident, Abidi El Yamani et Khalid Sbiâ, un député istiqlalien de la province de Taourirt, avaient rencontré le ministre de la Santé afin de lui faire part de leurs problèmes. « Nous attendons toujours une réponse de sa part », affirme le président de la commune. L’hôpital de Debdou continue donc à fonctionner en sous-effectif, sans service de garde et pas assez de médicaments. Et chaque mercredi, jour du souk hebdomadaire, les centaines de malades qui affluent des villages alentours doivent attendre des heures avant d’obtenir une consultation.

La culture d’abord

Le 22 février, le conseiller royal André Azoulay s’est rendu à Debdou afin de signer une convention pour la création d’une maison de la culture. Le projet, qui coûtera 15 millions de dirhams, sera financé par l’Agence de développement de l’Oriental (6 millions de dirhams), le ministère de l’Intérieur (6 millions de dirhams) ainsi que le ministère de la Culture (3 millions de dirhams). Riche d’une histoire millénaire mais peu connue et peu étudiée, 
Debdou compte des monuments de grande valeur. Parmi eux, le mellah qui, contrairement à la majorité des mellahs du Maroc, est situé au cœur même de la ville ; Aïn Sbilia, une source d’eau nommée en référence à Séville par les juifs qui ont été expulsés d’Andalousie et qui ont été invités par Mohamed Ben Ahmed, l’un des rois de Debdou, à venir peupler la ville ; ou encore la kasbah mérinide, construite au XIIIe siècle et classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Hormis Aïn Sbilia, récemment restaurée, tout le reste tombe en ruines. Une situation qui désole les habitants de la ville, persuadés que le tourisme est leur seule issue : les terres agricoles, peu nombreuses, permettent tout au plus à quelques dizaines de familles de subvenir à leurs besoins. Les autres habitants n’ont d’autre choix que de travailler à Taourirt ou à Oujda, les deux grandes villes les plus proches, quand ils ne chôment pas, ce qui est le cas d’une grande partie des jeunes. « Ils passent leurs journées à enchaîner cigarettes et pipes de kif dans les rares cafés de la ville », décrit un habitant. 

Objectif tourisme

Aujourd’hui, Debdou souhaite bénéficier de son histoire au lieu d’en porter inutilement le poids. « On a donc, en toute logique, parié sur le tourisme pour développer la ville », déclare Abidi El Yamani, pour qui la création de la maison de la culture est un premier pas pour faire de Debdou l’un des principaux pôles touristiques de la région. « Nous avons presque finalisé les travaux d’assainissement de la kasbah, afin qu’elle soit restaurée, et nous sommes en train de concevoir une charte architecturale de la ville, pour qu’il y ait une uniformité dans la construction », précise-t-il. A ses côtés, Khalid Sbiâ, pleinement engagé dans le projet, pense qu’il « faut trouver une vocation pour notre ville ». Et cela passe par « la reconnaissance de notre histoire, qui est multiconfessionnelle. Juifs et musulmans ont vécu ensemble pendant des siècles en toute sérénité ». Le budget de Debdou est peu conséquent,« mais nous espérons que les ministères du Tourisme et de la Culture s’engageront ». Mais avant tout, « il faut compter sur l’engagement de la population. Il n’est pas évident pour elle d’intégrer l’idée que la restauration du patrimoine leur sera bénéfique à long terme, et qu’elle aura des répercussions économiques positives », estime Sbiâ. Pour les convaincre que tout n’est pas que paroles, El Yamani et Sbiâ ont préféré s’attaquer, en premier lieu, aux infrastructures : assainissement, cours d’eau irriguant les terrains agricoles. Quant à la diaspora juive qui a laissé derrière elle synagogues et mellah, « nous espérons qu’ils nous donneront un coup de main. Si ce n’est pas le cas, pas de problème, nous nous occuperons de la réhabilitation de leur patrimoine nous-mêmes. Ils sont nos frères, avant tout ».  

Par Reda Zaireg

 

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