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Tmima la nourrice

Tmima la nourrice

 

Tmima quittait son mellah tous les jours, de son pas nonchalant, un panier en osier qu'elle balançait d'une main pour récolter son salaire, l'équivalent d'une théière remplie de blé, tandis que de l'autre, elle tenait son petit dernier. Elle ondoyait son corps altier aux seins lourds, la tête couverte, drapée dans son izaar retenu par un losange en argent parfaitement ciselé, une ceinture épaisse à la taille enserrant une large jupe qui claquait au vent dans ces petites ruelles poussiéreuses des villages marocains. Ses bijoux cliquetaient d'une cadence régulière et ce bruit chéri annonciateur de l'arrivé de Tmima résonnait au loin et du même coup rassurait les familles qui savaient enfin que la petite bouche affamée et hurlante serait bientôt nourrie par la nourrice juive.

Oh oui ! qu'elle les nourrissait ces petites bouches, sans distinction, ni de sexe, ni de religion, ces minuscules bouches aux lèvres vermeilles avides de son lait qu'elles tétaient goulûment au risque de s'étouffer. Accueillie et traitée comme une reine, elle n’hésitait pas à se lever la nuit pour courir apaiser une faim urgente. On se confondait en excuses, elle consolait les mères sans lait en leur tendant son mouchoir, petit bout de tissu qu’elle sortait d’entre ses seins généreux pour sécher les larmes de la pauvre petite. “Wakha, Tmima est là, compte sur moi !" Disait-elle en embrassant la mère éplorée.

Tmima en a allaité des enfants, ô combien ! Sans le réaliser, elle a tissé un lien solide entre eux, dorénavant frères et soeurs de lait liés à vie. Aujourd’hui, ils ont dépassé la soixantaine tous ces enfants bien nourris. Ils continuent à se rencontrer fréquemment unis par ce même elixir. Certains ont dû quitter le pays et continuent malgré cela à se voir régulièrement, à se donner les nouvelles des uns et des autres, à partager joies et peines, naissances et deuils, leurs enfants ont pris le relais, juifs et musulmans, hommes et femmes tous nourris par Tmima.

A l'heure de toutes les haines, on en rêve de cette mamellle magnifique et bienfaisante; source de vie, indépendamment de la religion des uns et des autres. A quelle mammelle métaphorique nous faudrait-il se nourrir tous ensemble pour devenir frères et soeurs à vie ? A la source commune de la tolérance, sans doute, mamelle généreuse qui ne se tarit jamais et nous comble profondément.

 

*C’est le fils d’un de ces frères de lait qui m’a raconté cette histoire, je le remercie du fond du coeur.

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Je suis né d'une mère d'origine SEFROU (d'un père arabe et une mère berbere), maman a 78 ans, et parmi les choses qui me raconte toujours, ce sont les beaux gestes d'une famille juive qui adoptait ma mère comme d'autre fillettes de sefrou pour leur enseigner elaborer laakades des jellabas que ma maman en a servi durant plusieures annèes pour nous nourire apres la mort de notre père , ainsi leur enseigner tisser plusieurs trucs. tous ces cours se deroulaient autour d'une tetière et des brochettes de viandes comme reitait ma maman. en memoire de cette belle famille dont descendaient des fantastiques femmes, j'implore allah de leur proteger et leur compenser pour tous le bien qui ont cultivés entre plusieures familles marocaines.et de leur affirmer que la memoire marocaine est riche avec ces gros oeuvres fondues dans l'ambre.
merci pour la publication.

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