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Une déclaration des droits pour les convertis au judaïsme

 

 

Une déclaration des droits pour les convertis au judaïsme

 

Emmanuel Bloch

 

 

 

 

Il existe dans la Torah une mitsva répétée 36 fois – celle d’aimer les guerim et de les protéger. Pourtant, en pratique, la situation des candidats à la  et des personnes déjà converties est souvent loin d’être idéale. Dans ce post, Bethany Mandel propose, avec beaucoup de bon sens et de persuasion, d’établir une « déclaration des droits du converti ».

Ce texte a été rédigé dans le contexte du judaïsme orthodoxe américain, lequel est actuellement secoué par le scandale du rabbin Barry Freundel (ex-responsable du service des conversions du Rabbinical Council of America). Ce texte est publié avec l’aimable autorisation de son auteure. Merci à Lucie Esther Chaix pour la traduction.

 

Je suis l’une des personnes converties par le rabbin Barry Freundel. Il était mon rabbin tuteur et sa signature est la première apposée sur mes documents de conversion du Conseil Rabbinique Américain (Rabbinical Council of America, RCA). Pendant longtemps, j’ai ressenti de la colère : par rapport à ma conversion en particulier, et plus généralement par rapport au processus de la conversion dans son ensemble et à la manière dont j’ai été traitée au sein de la communauté juive après ma conversion. J’ai longtemps hésité à m’exprimer à ce sujet car j’avais peur de semer le trouble, non seulement en ce qui me concerne mais également en ce qui concerne mon mari et mon (mes) enfant(s). Mais étant donné ce scandale, qui a ébranlé toutes mes certitudes, y compris celles concernant ma conversion, je n’ai plus peur désormais d’exprimer mon opinion.

Beaucoup de ce qui a été écrit à propos de la conversion provient de personnes nées juives et de rabbins. Peu de convertis souhaitent s’exprimer. Nous avons peur. Nous subissons des violences. Nous sommes menacés et jugés. C’est pourquoi j’ai décidé d’écrire une Déclaration des Droits pour moi-même et pour les autres convertis. Voici les garanties que j’aurais souhaitées durant mon processus et que je réclame maintenant, après coup ; voici ce que j’avais à l’époque bien trop peur de demander.

 

  1. Les convertis sont constamment dans les limbes. Durant le processus de conversion, il ne nous est jamais signifié combien de temps cela pourrait ou devrait durer. Nous ne pouvons pas nous marier si nous sommes dans une relation amoureuse, ni commencer une relation amoureuse si nous sommes célibataires. Nous perdons le contrôle des choix les plus importants de nos vies et les laissons, pour un laps de temps indéfini, entre les mains d’hommes qui ne nous sont pas familiers. Il m’était impossible de dire à quel moment je pourrais commencer un nouvel emploi, de démissionner de mon emploi précédent, de signer un bail pour un nouvel appartement ou de déterminer une date de mariage car je ne savais absolument pas combien de temps mon processus de conversion allait encore pouvoir durer. Des jours ? Des semaines ? Des mois ? Un an ? Plusieurs années ? Il s’agit d’une torture psychologique. Un converti mérite au minimum d’avoir une estimation grossière et un plan clair pour savoir quand il atteindra le point final, le mikvé.
  1. Nous n’avons aucune instance dirigeante ou individu vers qui nous tourner si l’on sent que l’on subit des violences, que l’on est manipulé ou que nos rabbins nous mentent. Le Conseil Rabbinique d’Amérique n’est pas une telle instance dirigeante.

  1. Les dépenses associées au processus de conversion devraient clairement être exposées dès le début. Il s’agit d’une plainte que j’ai entendue à de nombreuses reprises, bien que, heureusement, cela ne concerne pas le Beit Din (tribunal rabbinique) m’ayant convertie. Les candidats à la conversion, déjà bien investis dans leur processus, après une longue période d’investissement avec un Beit Din, se sont vus mentionner des frais obligatoires atteignant plusieurs milliers de dollars dont ils n’avaient aucune idée lors du commencement de leur travail avec un groupe de rabbins.

  1. Certaines communautés ont des comités de bienvenue pour les Juifs emménageant dans le quartier mais aucune structure n’existe pour accueillir les personnes en cours de conversion. Afin de pouvoir se convertir, de nombreuses personnes doivent quitter leur ville d’origine et s’installer dans des villes qui leur sont inconnues. Ils sont condamnés à être seuls pour les repas de Shabbat, isolés des groupes sociaux que les Juifs de naissance connaissent naturellement à travers leurs familles, les colonies de vacances, les écoles juives et les mouvements de jeunesse. Accueillez donc le converti, déjà avant qu’il devienne un converti !

Cette obligation concerne tant la communauté toute entière que le rabbin. Je ne connais pas un seul converti qui, après avoir fini le processus de conversion, n’a pas eu des problèmes de confiance avec des rabbins. Ma propre conversion m’a appris à être peureuse et circonspecte envers les rabbins et, étant donné la situation qui a émergé avec le rabbin de ma conversion, cette circonspection personnelle s’est révélée justifiée cette semaine. Les rabbins devraient être conscients des dommages que le processus cause à l’état spirituel et émotionnel de leurs fidèles durant la conversion et être très attentifs à reconstruire une confiance dans l’institution rabbinique et des relations avec ceux ayant effectué une conversion.

 

  1. Des inconnus demandent constamment aux convertis de discuter de sujets personnels dans un cadre social. Nous ne sommes pas des extra-terrestres venant d’une autre planète. La plupart des convertis, moi comprise, essaient d’éviter de mentionner leur statut à tout bout de champ à des inconnus lors de repas, fêtes ou événements, afin de limiter de telles intrusions dans nos vies personnelles et nos choix. Donc non, cher inconnu au sein d’une tablée de 15 personnes à Shabbat, je ne veux pas crier sur tous les toits mon histoire personnelle et ma progression spirituelle. A partir de cet instant, je refuse même de nourrir une telle conversation. Il s’agit d’une invasion de ma vie privée dans le seul but de satisfaire la curiosité d’un tiers.

  1. Aidez-nous avec les problèmes de rituel juif. Cela concerne tout autant les rabbins que les membres de la communauté. Lorsqu’un converti se marie, organise une brith milah ou une bar mitzva pour son fils, il navigue à l’aveuglette. Nous n’avons pas de mère juive que nous pouvons appeler pour savoir comment les choses se font (même si, personnellement, j’ai la chance de pouvoir compter sur une belle-mère incroyable). Si vous connaissez un converti sur le point de célébrer un passage important de sa vie, demandez-lui s’il a besoin d’aide. Si un rabbin connaît un membre de sa communauté sur le point de se marier, de faire une brith milah ou une bar mitzva, qu’il propose d’aider non seulement sur le plan logistique et halakhique afin que les choses soient faites correctement, mais également avec des propositions concrètes pour inclure, si tel est le souhait, la famille non-juive. Nous ne devrions pas avoir peur de demander comment un parent, un frère ou une sœur, pourrait participer à notre mariage de manière significative.

  1. S’il est attendu des convertis qu’ils montrent leurs “papiers” prouvant leur judaïté pour faire entrer un enfant dans une école juive, devenir membre d’une synagogue ou de se marier, demandez-en autant aux Juifs de naissance. Je ne procurerai plus mes papiers de conversion jusqu’à ce qu’il soit également demandé à mon mari de montrer une photo de la ketouba de ses parents ou une photo de la tombe d’un de ses ancêtres.

  1. Le processus de conversion pour les personnes ayant des racines juives devrait être accéléré et unique. Je suis née d’un père juif et ai été élevée chez les libéraux. Je ne savais pas que je n’étais non-juive jusqu’à un voyage, pendant mes études universitaires, avec l’organisation Birthright (merci à mon guide qui m’a gentiment expliqué cette vérité gênante). Durant le processus, j’ai été traitée avec le même dédain (par ailleurs inacceptable !) que les filles qui se convertissaient dans le but de se marier. Les mariages mixtes sont la plus grande menace pour la vie juive en Amérique. Aidez ceux ayant un père juif (et nombreux sont ceux qui essaient de se convertir via le mouvement orthodoxe) à corriger les erreurs de la génération précédente. Ils devraient être accueillis chaleureusement dans le peuple Juif et non être traités comme des cabots.

  1. Les convertis méritent d’être traités avec la même sympathie et le même soin que des orphelins juifs à partir du moment où ils deviennent juifs. Nous recevons de nouveaux prénoms, nous devenons les fils d’Abraham, le patriarche, qui n’est plus parmi nous. Il nous est demandé de renoncer à nos familles de différentes manières. Mon père décédé, né juif, n’est pas mentionné comme étant mon père dans ma ketouba. Même moi, née de père juif, j’ai abandonné beaucoup de mes relations avec ma famille juive paternelle pour devenir orthodoxe. Je ne peux plus passer des vacances avec ma famille, je ne peux pas manger leur nourriture. Immédiatement après ma conversion, je me suis mariée et ai intégré une famille merveilleuse avec laquelle je peux faire tout cela, mais je ne m’assoirai plus jamais à la table de Pessa’h de ma tante ni n’entendrai plus mon oncle se plaindre de la longueur de la Haggada, et cela m’attriste beaucoup.

Les juifs entrant dans ce people en tant qu’adultes seuls, comme je l’ai fait, ont encore bien moins que cela. Ils passent des Shabbat seuls, ils quémandent pour être invités lors des fêtes, ils reçoivent les pires recommandations de chidoukh comme partenaires potentiels, pour autant qu’ils en reçoivent. Une avocate en droit des sociétés ne mérite pas d’être constamment assortie avec un concierge simplement parce qu’il se trouve qu’il s’agit d’un autre converti noir (oui, cela est arrivé à une amie à plusieurs reprises).

Il n’y a pas d’organisation aux Etats-Unis ou en Israël (à ma connaissance) dont l’unique mission est de soutenir l’acclimatation des convertis au sein de la communauté juive après leur conversion. Une part de l’argent dépensé dans le kirouv (« rapprochement » des juifs non-religieux en vue de leur faire redécouvrir leur héritage) pourrait être utilisée pour un projet d’une telle nature. Un converti peut ne pas être né juif, mais nous sommes maintenant des Juifs ayant besoin d’aide et de soutien.

10. Nous ne devrions pas perpétuellement vivre dans la peur du statut de notre conversion. Je ne devrais pas avoir peur que les actions d’un des rabbins de mon Beit Din pourraient signifier que ma conversion ne soit soudainement plus universellement respectée à un moment donné dans le futur. Après le choc, mon premier instinct, en entendant les reportages sur les inconvenances du rabbin Freundel, a été la peur. La peur pour mon statut, la peur de ce que cela pourrait signifier pour ma fille et mon enfant non encore né. Je vis une vie orthodoxe depuis le moment où j’ai émergé du mikvé. Je ne devrais pas avoir peur de savoir comment les actions d’autres personnes que je ne contrôle pas (mais qui, à un moment, avaient énormément de contrôle sur moi) pourraient m’affecter ou affecter mes enfants. Je n’ai aucune indication que ma conversion est, d’une manière ou d’une autre, menacée en ce moment-même et j’ai demandé autour de moi de nombreuses fois pour vérifier si tel pourrait être le cas (je veux clarifier cela pour d’autres personnes converties par Freundel). Cependant, je vis dans le monde réel où j’ai vu cela se produire déjà bien trop souvent.

http://www.modernorthodox.fr/droitsconvertis/

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