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Une poudrière

Une poudrière (info # 011802/16)[Analyse]

Par Jean Tsadik © MetulaNewsAgency

 

Il existe plus de quatre-vingt-cinq pour cent de probabilité pour qu’Israël ait attaqué et détruit, la nuit dernière, une base gouvernementale syrienne et ses entrepôts situés sur la montagne d’al Mané, à une dizaine de kilomètres en plein sud de Damas, et à quarante kilomètres des premières positions de Tsahal dans le Golan.

 

Le porte-parole de l’Armée israélienne ne confirmant ou n’infirmant jamais ce genre d’informations, nous devons nous baser sur des sources alternatives pour tenter d’établir leur plausibilité.

 

Il en existe trois sérieuses sur cet incident : un communiqué de l'Observatoire Syrien des Droits de l'Homme, un habitant du Jabal (arab. montagne) al Mané ayant affirmé à l'AFP "avoir été témoin d'un bombardement et avoir vu une épaisse fumée", et un autre Syrien, vivant dans une banlieue du sud de Damas, qui a rapporté par téléphone au chef de la Ména libanaise, Michaël Béhé, avoir entendu plusieurs fortes explosions, suivies de hautes flammes et d’une colonne de fumée, au pied du Jabal et à faible distance de la ville d’al Kishwah.

 

En fait, trois missiles hébreux, dont on ignore s’ils ont été largués à partir d’avions ou tirés depuis une base du Golan, ont très probablement frappé et détruit cet objectif. Que contenait-il ? On suppose qu’il s’agissait de missiles terre-terre destinés à des opérations imminentes contre la frontière israélienne par les successeurs de Kuntar et les Iraniens.

 

En feuilletant nos archives, nous nous sommes rappelés qu’un Scud, un missile balistique de conception soviétique du temps de la Guerre Froide, avait été tiré sur le nord de la Syrie par les gouvernementaux, début septembre dernier, à partir de la position visée la nuit dernière.

 

La base en question se trouve aussi sur l’axe routier Damas-Deraa, qui sert à l’acheminement des troupes de l’Axe du mal en direction du Sud. Leur progression est rendue possible par des bombardements de l’aviation russe ; il y a trois jours, à al Harek, dans la province de Deraa, précisément, ils ont fait cinq morts et des dizaines de blessés parmi les civils.

 

Or Israël préfère largement le voisinage de l’Armée Syrienne Libre (ASL) sur le Golan à la présence des soldats d’Assad, accompagnés des Pasdaran iraniens et des Hezbollani libanais. En dépit de la participation d’une cinquantaine de formations islamistes aux côtés de l’ASL, et de la quasi-disparition de cette dernière des fronts principaux de la Guerre Civile, dans le Golan et sur la frontière jordanienne, c’est elle qui tient toujours les rênes du "Front du Sud".

 

Ce maintien résulte des bonnes relations prévalant entre cette organisation non-islamiste et l’Etat hébreu, qui s’efforce de lui faire parvenir les effets qui lui sont nécessaires pour tenir en respect aussi bien ses adversaires chiites que ses "alliés" sunnites.

 

Il se pourrait, dès lors, que la frappe de cette nuit ait eu pour but d’alléger la pression gouvernementale sur le "Front Sud", ou, de réaliser à la fois cet objectif et celui d’empêcher l’Axe du mal de se réorganiser de manière offensive à proximité de notre frontière.

 

Toujours est-il que, ce matin, l’activité de l’Armée de l’air à l’étoile de David était très audible au-dessus du Doigt de la Galilée ; on s’inquiète aussi un peu de savoir que les appareils de Poutine s’en allant bombarder Deraa ont sûrement croisé ceux du Khe’l Avir en train de pilonner al Mané.

 

On a un peu l’impression que chacun "fait son marché" en Syrie, sans se soucier des activités des forces des autres puissances qui se partagent le ciel, avec tous les dangers inhérents à ces opérations anarchiques, parce que non-coordonnées, de chasseurs-bombardiers bourrés de bombes et bardés de missiles.

 

Encore qu’au Sud, il existe une sorte d’entente entre l’aviation russe et le Khe’l Avir. J’écris "une sorte", car on ne peut jamais se fier aux paroles d’amitié d’un dirigeant russe. Pendant que nous nous coordonnions avec eux, ils livraient aux Iraniens leur première batterie antiaérienne S-300, et des canons à guidage laser au Hezbollah pour les combats en Syrie, ainsi que des missiles antiaériens pour le Liban, qui vont nécessiter de notre part une attention accrue.

 

On peut me rétorquer que cela reste moins grave que la livraison de chars Abrams flambant neufs par Washington au Hezbollah, et que M. Obama n’a toujours pas répondu à la question que nous avons posée : comment ces exemplaires du MBT américain – leur char de combat principal, des jouets de soixante tonnes chacun – sont parvenus dans les mains des miliciens chiites libanais. 

 

Ces observations nous ramènent à une constatation d’ensemble concernant l’état actuel de la Guerre Civile Syrienne : nous nageons en plein embrouillement, et cette chienlit est de plus en plus explosive. Pour preuve, cette double déflagration qui a touché hier le cœur d’Ankara et qui a fait au moins une trentaine de tués et un nombre non précisé de blessés.

 

A en croire les responsables turcs, une voiture piégée aurait servi lors de cet attentat qu’ils attribuent à l’organisation kurde turque du PKK et à son pygmalion syrien des YPG. A nous de préciser qu’Erdogan livre, depuis des mois, une guerre sans merci aux membres du PKK réfugiés en Irak, et qu’il dirige une répression sanglante contre la population et les partisans de la région kurde turque dans le sud-est du pays.

 

De plus, cela fait désormais cinq jours que son artillerie bombarde les positions des YPG, les Unités de Protection du Peuple kurde, dans l’ouest du Rojava. Ankara veut à tout prix empêcher les forces kurdes de s’emparer de la dernière portion de territoire syrien qui, le long de la frontière turque, sépare encore le canton kurde d’Afrin de celui de Kobané à l’Est.

 

En dépit de leurs bombardements, la tâche des Ottomans est compliquée, car, profitant au maximum des raids aériens russes contre les rebelles islamiques, les YPG enlèvent un point d’appui après l’autre entre Afrin et l’Euphrate.

 

Pour parvenir à leurs fins, il ne reste plus aux Kurdes, en pratique, qu’à conquérir Azaz, à cinq kilomètres de la frontière turque, Jarabulus, sur l’Euphrate, et Marea, toutes trois encore tenues par la "Rébellion", un terme qui cache diverses factions islamistes proches d’al Nosra.

 

A Marea, la Rébellion islamiste est totalement encerclée, à l’Ouest par les Kurdes, à l’Est, par l’Etat Islamique. Des négociations sont en cours en vue de la reddition de la cité et de l’intégration des combattants les moins islamisés dans les FDS, les Forces Démocratiques Syriennes, une alliance dirigée par les YPG et comptant dans ses rangs des chrétiens syriaques ainsi que des villageois arabes du Rojava notamment.

 

Pour Erdogan, la perte par les combattants sunnites de la zone située entre les deux "cantons kurdes" serait considérée comme une véritable catastrophe ; ce, pour deux raisons : la première réside en ce qu’Azaz, à cinq kilomètres de la Turquie, est la plaque tournante des activités d’Ankara en Syrie. C’est par Azaz que transitent les armes, les munitions, les hommes et le ravitaillement destinés à l’Etat Islamique et à d’autres organisations bénéficiant des faveurs d’Erdogan. C’est également par Azaz que transitent les camions de brut exploité par ISIS, qui viennent enrichir la famille du président turc.

 

L’autre raison tient au fait que si cette zone passait aux mains des Kurdes, ceux-ci contrôleraient pratiquement toute la frontière entre la Syrie et la Turquie. Non seulement les alliés sunnites d’Ankara se verraient ainsi totalement isolés, mais surtout, le Rojava autonome pourrait rejoindre la région elle aussi autonome des Kurdes iraquiens, de même que les Kurdes turcs qui vivent tout le long des 550km de ladite frontière, et créer un puissant Etat non islamiste, riche en pétrole, dont la puissance deviendrait redoutable. Aux Kurdes de Syrie, de Turquie et d’Iraq pourraient par la suite venir s’ajouter ceux d’Iran, évidemment oppressés par le régime raciste de Téhéran.

 

C’est pour ces raisons qu’Erdogan exhorte les islamistes à tenir Azaz (du centre de laquelle les Kurdes ne sont plus séparés que par cinq kilomètres) et Marea à tout prix. Il vient d’ailleurs d’y envoyer hier (mercredi) 500 combattants sunnites, y compris des mercenaires européens, qu’il a armés, entraînés, nourris et stipendiés.

 

Ce demi-millier suit un premier contingent de 350 hommes qui avaient traversé la frontière à Kilis, le 14 février dernier.

 

Pour les Saoudiens qui sont en train de faire alliance avec les Turcs, les Kurdes n’ont pas d’importance ; ce qui les préoccupe au plus haut point, c’est la progression des chiites et de leurs alliés iraniens et russes sur tous les fronts.

 

En dépit de leurs dissensions idéologiques avec l’Etat Islamique, ce dernier est sunnite et il fait barrage aux chiites, c’est donc un partenaire qu’il faut aider par les temps difficiles que traversent les grands pays sunnites. Car le cauchemar de Riad consiste, en plus de sa propre minorité chiite – 6 millions sur 30 millions d’habitants – d’avoir à faire face à l’Iran, son pire ennemi, à l’Irak, lui aussi gouverné par les chiites, aux Syriens, alliés des mêmes chiites, et aux chiites yéménites, avec lesquels il est déjà en guerre.

 

C’est plus que le royaume ne peut supporter sans réagir ; il se sent cette fois menacé et n’a pas hésité à envoyer ses avions sur l’aéroport turc d’Incirlik, qu’utilisent déjà les appareils turcs et américains.

 

Erdogan et le Roi Salmane envisagent à haute voix d’intervenir au sol, officiellement afin de combattre ISIS, ce qui est le seul motif politiquement correct que l’on puisse invoquer pour intervenir en Syrie.

 

En vérité, ce serait pour défendre toutes les organisations sunnites que Turcs et Saoudiens prendraient les armes, afin de leur offrir un parapluie face aux frappes russes et de leur permettre de stabiliser le front en cessant de reculer.

 

Sémantiquement, cela ne devrait poser aucun problème, puisque la guerre contre le Califat est également le motif argué par Poutine pour justifier sa participation à la Guerre Civile. Sauf qu’il ment lui aussi, et que, dans les faits, ses aviateurs écrasent sous les bombes tous ceux qui pourraient mettre en péril la pérennité du régime de Bachar al Assad. C’est-à-dire tout le monde à part les alaouites, sans se préoccuper d’épargner les femmes et les enfants.

 

On ose à peine imaginer le tollé que cela aurait soulevé si les Israéliens s’étaient comportés à Gaza comme les pilotes russes, et même comme les pilotes français et américains sur Raqqa. Il y a des jours où le terme "proportionnalité" me fait sourire. Il est vrai qu’Israël est un petit pays, peuplé principalement de Juifs, et qu’il ne dispose pas d’un droit de veto au Conseil de Sécurité.

 

A en croire Recep Tayyip Erdogan, ce qui n’est pas notre cas, rassurez-vous, la Guerre Civile Syrienne aurait déjà causé 500 000 décès. Pour l’ONU, on en serait à environ 270 000, et pour notre spécialiste, Michaël Béhé, 360 000. Quoi qu’il en soit, si l’on entend saisir la signification des mots « massacre » et « génocide », il convient de comparer ces chiffres aux 2 000 morts annoncés à Gaza par le Hamas à l’issue de sa dernière offensive à la roquette contre les civils israéliens.

 

Le problème des Turcs et des Saoudiens participe de ce que, dès qu’ils mettront un pied en Syrie, ils savent que l’aviation de Poutine n’hésitera pas une minute avant de les prendre pour cibles. Les deux alliés sunnites possèdent certes une aviation, mais ils tergiversent – et nous les en félicitons – avant que d’engager leurs appareils face à ceux du tzarevitch. Une guerre contre la Russie n’est jamais une mince affaire.

 

Ce qui leur plairait serait un faux pas du maître du Kremlin, à l’instar d’une attaque aérienne des Soukhoï contre les positions de l’artillerie turque autour de Kilis. Théoriquement, cela contraindrait l’OTAN, dont la Turquie est membre, à se porter militairement à son secours. Dans les faits toutefois, Erdogan risque d’être déçu.

 

En tout cas, c’est la tactique qu’il a choisie ; pour parvenir à ses fins, il n’a de cesse, de même que tous ses ministres, de provoquer, d’invectiver Moscou et de le menacer de lui faire la guerre. A ce petit jeu, Poutine répond oralement, mais on doute que les sunnites puissent l’amener à prononcer oui, non, noir ou blanc contre sa volonté. Les équilibristes, à l’instar du président russe, connaissent parfaitement les lois de la pesanteur.     

 

Aussi, tant que les bombardements turcs sur le Rojava n’empêcheront pas les Kurdes d’avancer, que les soldats qu’Ankara envoie en Syrie ne seront pas turcs et que ses avions garderont la liberté de les décimer à leur guise, Poutine n’aura pas de raison de faire donner du canon contre Erdogan. Et ce dernier connaît les limites à ne pas dépasser.

 

Reste les Américains, les seuls, avec leurs alliés, à s’attaquer réellement à ISIS, mais si poussivement… Chaque jour, le président turc les enjoint de choisir entre lui et les Kurdes, ce qui embarrasse au plus haut point la Maison Blanche, qui, visiblement, ne sait pas exactement ce qu’elle fait dans ce conflit et quels sont les buts qu’elle poursuit.

 

Sur le terrain, l’Army ne fait confiance qu’aux Kurdes, grâce auxquels elle a remporté quelques beaux succès aux dépens de l’Etat Islamique. Récemment, les militaires U.S se sont même aménagés un aéroport militaire à l’intérieur de la Syrie, dans une zone du Rojava tenue par leurs alliés des YPG.

 

Une région qui, si on les écoute, pourrait prochainement tomber sous le feu des Turco-saoudiens, et que les Américains iraient sans doute défendre en décollant du même aéroport d’Incirlik. C’est débile, à moins que ce ne soit complètement idiot. Mieux vaudrait régler cela à coups de poings au bar de l’aéroport !

 

La confusion induite par les politiciens de l’Administration Obama, comme à leur habitude, absolument pas en phase avec leur armée et avec la réalité, peut se lire en filigrane dans ce communiqué attribué à Marc Toner, le porte-parole de M. Kerry à propos de l’allié kurde :

 

"Nous les considérons comme une force de combat efficace, mais nous avons aussi été clairs en cela que nous ne voulons pas qu’ils entreprennent des opérations ou qu’ils contrôlent un territoire, ce qui créerait des tensions soit avec la Turquie, soit avec d’autres groupes dans la région". Toner a ajouté que les "USA considéraient que les actions des YPG dans la région étaient contreproductives quant à l’effort global visant à vaincre DAESH".

 

Les YPG se trouvent actuellement à une quarantaine de kilomètres de la capitale de DAESH, Raqqa. Ils y sont parvenus grâce au soutien aérien spécifique des bombardiers américains, aux armes et aux équipements que l’Amérique leur a fournis, à l’entraînement qu’elle leur a octroyé et surtout, aux ordres qu’elle leur a donnés.

 

Or ces opérations commandées par Washington seraient "contreproductives quant à l’effort global visant à vaincre DAESH" ?

 

A la place des Kurdes, je me hâterais de changer d’allié, car celui qui s’exprime en ces termes ne sera pas à leurs côtés au cas où les Turcs, seconde armée la plus puissante de l’OTAN, décideraient de pénétrer en Syrie pour les génocider. Quant aux Européens, ils sont à ce point insignifiants et mercantilisés, qu’il est préférable de ne pas en parler.

 

Personne ne désire que la Guerre Civile Syrienne ne dégénère en conflit régional – même si c’est déjà fait – et encore moins en une nouvelle guerre mondiale. Reste que cela peut advenir à cause d’une simple erreur, d’une réaction inadéquate d’un officier de terrain qui effectuerait une mauvaise appréciation face à une provocation du camp adverse.

 

Nous sommes en plein milieu de la continuation du conflit opposant depuis des siècles les sunnites aux chiites, avec des Kurdes, nationalistes, qui aimeraient tirer leur épingle du jeu. Les autres, ceux qui ne sont pas concernés par cet affrontement ne devraient pas y participer. Mais ils en ont décidé autrement, en fonction de ce qu’ils considèrent représenter leurs intérêts. Reste qu’avec des dirigeants politiques aussi délirants et imbus de leurs personnes, des dirigeants, hormis Madame Merkel, dont je ne me souvienne pas que le monde en ait connu de moins avisés et de plus dangereux, une étincelle pourrait allumer un feu que tous les sapeurs-pompiers du monde ne parviendraient pas à circonscrire.

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