Une proposition que Kim Jong Un ne pouvait pas refuser (011406/18) [Analyse]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
A la veille de la rencontre de Singapour, je disais sur une radio bruxelloise qu’elle pouvait se solder par trois résultats possibles, par ordre ascendant de succès : une poignée de main doublée d’une promesse de maintenir le contact, un début de dialogue concret, ou un accord de principe prévoyant la dénucléarisation de la Corée du Nord.
La dénucléarisation de Pyongyang constituant le seul sujet d’intérêt de l’initiative américaine, l’unique objectif – mais combien important - de Donald Trump. L’avenir de la péninsule coréenne en dépend, mais aussi la quiétude du Japon, de Singapour, du Sud-Est asiatique, et, à peine à plus long terme, l’ensemble de la Planète.
Coexister avec la dictature la plus hermétique de la Terre possédant la capacité de construire des bombes atomiques et développant des missiles pour les transporter, constitue à tous les points de vue le danger le plus urgent à résoudre pour la sécurité de l’humanité.
Outre le danger représenté par la bombe coréenne en elle-même, il est également nécessaire de considérer ses sous-produits, à l’instar de la diffusion de ces technologies en direction d’autres tyrannies. Dans cette observation, il faut souligner que ce sous-péril n’a pas attendu la mise au point de missiles intercontinentaux par le régime de Kim Jong Un, que tous les missiles iraniens sont des avatars de ceux qu’il a déjà développés, et que le réacteur nucléaire détruit par les Israéliens à Deïr Ez-Zor en Syrie, était lui aussi issu de la même origine et conçu et construit par les ingénieurs de Kim. L’exportation de savoir-faire nucléaire constituait l’une des sources essentielles de revenus à l’exportation de la République Populaire Démocratique de Corée.
Au vu de ce qui précède, la signature de l’ "accord de principe" à Singapour doit objectivement être perçue comme un évènement porteur de perspectives stratégiques majeures, de nature à modifier fondamentalement l’état des menaces pesant sur l’humanité, en les réduisant dans des proportions historiques.
Dans cette perspective, il aurait été maladroit, pour ne pas dire contre-productif, de se montrer plus précis dans le document préliminaire. C’est pour cette raison que je n’avais pas évoqué l’hypothèse de l’adoption d’un traité détaillé la veille de la rencontre. La formulation : "(…) la RPDC s'engage à travailler à une complète dénucléarisation de la péninsule coréenne" est parfaite à cet égard et permet de passer rapidement à la phase suivante.
Car pour parvenir à la dénucléarisation de la Corée du Nord, il faut d’abord déterminer avec précision ce qu’elle possède en matière nucléaire, où se situent ses installations et ses stocks divers, puis, comment, quand et par qui tout cela sera détruit, et enfin, qui sera responsable de la vérification de l’élimination des armes, des laboratoires, des sites de test, des entrepôts et des usines de ces équipements et matériels.
Faute de détenir les réponses précises à ces interrogations, on aurait dû exprimer génériquement dans un traité que Pyongyang s’engageait à détruire l’ensemble de ces objets. Et on laissait de la sorte à Kim Jong Un le soin de déterminer le mode opératoire afin d’y parvenir, ou l’on se dirigeait vers une guerre interminable d’interprétations qui aurait pu durer des années et menacer l’existence même de l’accord.
Maintenant, au contraire, il va falloir qu’un processus précis soit négocié, et l’on va ainsi savoir très rapidement si le dictateur est fiable dans la réalisation des engagements qu’il a pris. S’il est fiable, il va fournir les informations indispensables rapidement, de manière précise et sans faire d’histoires.
Or contrairement à ce qui s’est passé lors de la négociation de l’exécrable accord avec l’Iran, Donald Trump n’a pris pour l’instant aucun engagement envers son interlocuteur, et il maintient en activité la totalité des sanctions économiques. Et ce, non pas jusqu’à une éventuelle date quelle qu’elle soit, non plus que jusqu’à une échéance quelconque dans le processus dont j’ai évoqué les grandes lignes précédemment, mais jusqu’à ce que le gouvernement U.S. considère que les conditions suffisantes ont été remplies pour que la RPDC cesse définitivement de constituer une menace pour le monde.
Les sanctions ne sont pas "réversibles", comme dans le cas de l’Iran, elles sont intactes et maintenues jusqu’à nouvel avis.
Autre avantage, Kim n’a qu’un seul interlocuteur, ce qui permet à l’Administration Trump de n’avoir de comptes à rendre à personne, particulièrement pas à la Russie et à la Chine, qui ont des intérêts divergents, mais uniquement au législateur américain.
Donald Trump a certes accepté de surseoir aux exercices militaires que l’Armée américaine était censée entreprendre prochainement, conjointement avec celle de Corée du Sud. Trump fait ainsi montre de sérieux en relation avec le préambule de l’accord, qui provisionne que : "Le Président Trump s'est engagé à fournir des garanties de sécurité à la RPDC et le président Kim Jong Un a réaffirmé son engagement ferme et indéfectible à une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne".
Dans les faits, cette concession n’a aucune importance ; les USA continuent à maintenir un contingent de 35 000 hommes dans la péninsule, et surtout, une présence aéro-maritime massive à proximité de ses côtes, qui représente, de manière inchangée, la force principale de dissuasion face au million deux-cent-cinquante-mille soldats de Kim, et à ses dix millions de réservistes.
Ce n’est pas la suppression d’un exercice qui va changer quelque chose à cet équilibre, ce, d’autant plus que l’on peut estimer que les mesures de surveillance des activités militaires et nucléaires du Nord ne seront jamais plus intenses que durant la prochaine phase de négociations.
C’est l’une des raisons pour lesquelles les deux parties ont décidé que la réalisation du mémorandum d’accord débutera "très rapidement". C’est dans l’intérêt des deux camps, particulièrement de celui du dictateur, qui n’a pas envie que l’Amérique change d’avis.
Ce, d’autant plus que pour participer au sommet de Singapour, il a été contraint d’effectuer un certain nombre d’actes préliminaires témoignant de sa bonne volonté et de son sérieux. Là aussi, contrairement à l’Iran, qui ne subissait aucune pression militaire en parallèle des négociations avec les 5+1, l’une des raisons principales de parvenir à une accord, plus importante encore que l’éventualité de la levée des sanctions économiques, a été, pour la junte nord-coréenne, la pression et les menaces militaires constantes appliquées par Washington.
Et lorsque Kim a tenté de se soustraire à l’une de ces préconditions – probablement pour tester les Américains – posées par l’excellent Mike Pompeo lors de ses deux déplacements à Pyongyang, Donald Trump a décommandé sans hésiter la réunion prévue à Singapour. Celle-ci n’a été reprogrammée que lorsque l’engagement de la RPDC a été adéquatement tenu, en contact avec le Président du Sud, Moon Jae-in, et non avec des diplomates U.S.
Cela a évidemment constitué un avertissement cinglant de la part de l’Administration étasunienne pour la suite des évènements. Trump n’est pas Obama, qui se pliait à toutes les conditions des ayatollahs, y compris l’interdiction faite aux inspecteurs de l’AIEA d’analyser le site de Parchin et d’obtenir l’accès à la documentation de toutes les activités perses antérieures à l’accord, mêmes si ces engagements figurent noir sur blanc dans icelui.
Sous l’ère Trump, on sent bien qu’à la moindre incartade de Pyongyang, on reviendra à la situation ante, y compris la menace d’intervenir militairement afin de mettre un terme de façon brutale à la népotie des Kim. Cette menace est encore plus efficace après la réalisation par le régime du Nord des préconditions américaines, notamment la destruction du plus grand complexe nucléaire du pays et celle du site d’expérimentation des moteurs de fusées. En fait, des experts en armement comme Jean Tsadik considèrent que la RPDC a déjà perdu environ un tiers de son potentiel nucléaire avant même la mise en chantier de l’accord de Singapour.
Dans la dynamique qui prévaut, on se demande comment Kim Jong Un pourrait se dédire de l’engagement qu’il a pris et redevenir l’Etat terroriste par excellence. Ce qui nous inquiète, à Métula, c’est le moment où il se rendra compte qu’avec le désenclavement de son pays, les jours de la dictature absolue créée par son grand-père Kim Il Sung seront comptés. D’ailleurs, sans vouloir éventer un secret, ils le sont déjà : les Américains lui ont fait une proposition, comme on dit dans la Mafia, qu’il ne pouvait pas refuser.
C’était soit céder la place à l’issue d’un processus harmonieux, soit s’exposer à une confrontation militaire avec l’Oncle Sam. Or pour toute personne qui tient à sa peau, la première option est préférable. Reste que la Corée n’a pas besoin d’un dictateur. La meilleure option serait pour tout le monde que, dans quelques années – mais cela peut aller en fait très vite -, il accepte de s’exiler avec sa famille proche, par exemple en Chine, avec quelques-uns des milliards que sa famille a dérobés au peuple coréen. Mais c’est de la musique d’avenir.
Pour le moment, on s’attend à l’ouverture des négociations la semaine prochaine ou peut-être la suivante. Dans un second temps, il s’agira de démanteler les infrastructures nucléaires, et cela coûte beaucoup d’argent que la RPDC n’a pas. Donald Trump a déjà prévenu que ce n’est pas le contribuable américain qui paiera la note, mais ceux du Japon et de Corée du Sud, les premiers bénéficiaires du processus en cours, qui ont les moyens de le faire. Et cela nous semble normal, les Etats-Unis n’ont pas à être indéfiniment la vache à lait du monde. Comme ils n’ont pas à payer 85 pour cent du budget de l’OTAN, et leurs voitures n’ont pas à être soumises à une taxe à l’importation en Europe de 10 pour cent, alors qu’elle est de 2.5 pour cent pour les Mercedes et les BMW importées aux USA. Il n’y a pas de raison, mais c’est le sujet d’un article en préparation par un spécialiste en économie, alors n’empiétons pas sur son domaine.
La partie en vue de la dénucléarisation de la péninsule coréenne n’est pas encore gagnée, mais elle a bien démarré. Elle ne manquera pas d’avoir des effets sur les autres principaux foyers conflictuels de la Planète, je pense évidemment à l’Iran en particulier.
Si Donald Trump gagne son pari en Extrême-Orient, il se présentera en Hercule sur le parvis des autres régimes despotiques et il sera difficile à esquiver. D’ailleurs, on perçoit déjà des changements d’attitude conséquents à Téhéran, avant même l’institution des nouvelles sanctions.
C’est l’effet d’un président U.S. qui a conscience de la gigantesque puissance de l’Amérique, et qui sait en jouer habilement, passant de la diplomatie à l’économie, sans omettre la dissuasion militaire. Ce n’était pas le cas avec le précédent, qui n’avait pas fait évoluer la résolution des conflits mondiaux d’un seul pouce. On doit même constater que la situation dans ce domaine avait partout empiré.
Reste qu’en Iran, plus de deux cents sociétés étrangères ont déjà plié boutique, dont une vingtaine de grosses boîtes. Au titre desquelles on peut citer Boeing, Airbus, Peugeot, le transporteur maritime Maerk, qui acheminait une grosse partie du brut perse, les grandes sociétés allemandes, etc.
La contre-dissuasion de l’U.E n’a pas fonctionné, elle a d’ailleurs procédé d’une démarche ridicule : Airbus va-t-il se voir exclure du marché américain pour rester en Iran ?
Il n’y a pas que le domaine économique qui est concerné, nos amis atomiciens ont observé qu’aucune centrifugeuse perse ne s’était remise à tourner en dépit de la dénonciation par Donald Trump de l’accord existant. Comme si les ayatollahs craignaient d’exciter le grand Satan. On aboutit à une situation cocasse : réinstauration de sanctions, plus dures qu’auparavant, mais maintien des engagements de la théocratie chiite. A quoi servait l’accord ?
Autre sujet d’intérêt et non des moindres : l’Iran évoque cette semaine la possibilité d’un retrait de ses troupes de Syrie ; Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, du rapatriement de ses miliciens. Encore plus étrange : depuis le début des négociations entre Téhéran et Jérusalem à Amman, cela fait plus de deux semaines, on n’a fait état d’aucun raid du Khe’l Avir sur une base iranienne en Syrie. Avant cela, ils se succédaient au rythme d’au moins deux par semaine.
Fayçal H., le chef de notre bureau d’Amman, affirme, péremptoire, que les négociations ne se sont pas arrêtées, et il est d’ordinaire bien informé. Pour le moment, à l’en croire, Téhéran se serait engagé à ne pas réparer ni réapprovisionner ses installations détruites, à ne pas envoyer plus d’hommes en Syrie, à s’abstenir de toute activité hostile à l’Etat hébreu, et à ne pas participer à l’offensive de l’Armée gouvernementale dans le Golan. Les engagements des ayatollahs incluent le Hezbollah. D’ailleurs, l’offensive en question n’a pas lieu.
En échange, Israël s’abstiendrait de frapper des objectifs iraniens en Syrie. S’il n’y a pas d’accord, c’est en tout cas la situation que l’on observe sur le terrain. Et le retrait des Iraniens de Syrie pourrait faire l’objet de négociations secrètes impliquant Mike Pompeo et englobant les autres exigences américaines. Parce que, considéré avec objectivité, il s’agit également d’une proposition que l’Iran ne peut pas refuser. Et les ayatollahs ne sont pas suicidaires, on l’a déjà remarqué.
Pour terminer, que dire des réactions des "libéraux" américains et de leurs media ? Qu’à les écouter et à les lire, c’est à croire qu’ils auraient préféré une nouvelle Guerre de Corée au succès du sommet de Singapour ? Ils se plaignent que l’accord ne soit que préliminaire, on a expliqué pourquoi c’est absolument nécessaire. Ils prétendent que le document signé ne mentionne pas le problème des droits de l’homme en Corée ; pourquoi, celui bâclé par Obama avec les ayatollahs a amélioré de quelque manière que ce soit les conditions de vie de la population iranienne ? Obama a dû payer aux mollahs une rançon de 400 millions de dollars en cash, après la négociation et la signature du traité et en dehors de celui-ci, pour la libération des otages américains emprisonnés en Iran ; alors que Trump a obtenu – gratuitement et sans contrepartie - l’élargissement des Américains détenus en Corée avant même le début des négociations de l’accord final.
Les "libéraux" reprochent au président américain d’avoir rencontré un tyran en lui prodiguant ainsi une légitimité internationale. J’étais persuadé pour ma part que le problème de la société des humains avec Kim Jong Un résidait dans sa puissance nucléaire et non dans sa reconnaissance internationale. Et comment trouver un arrangement avec un ennemi sans lui parler ?
Et pour finir, Obama et Kerry n’ont pas réduit d’une seule centrifugeuse le potentiel iranien d’enrichissement de l’uranium, alors que je suis prêt à parier qu’après la dénucléarisation définitive de la RPDC, il ne restera aucune trace de son infrastructure atomique.
Au-delà de la politique, il y a l’intérêt du monde. Les Démocrates américains feraient bien de s’en souvenir s’ils ne veulent pas se retrouver à l’état de reliques. Parce que, sans être impliqué en politique et après avoir accueilli la victoire électorale Donald Trump avec la plus grande prudence, j’ai l’impression que nous assistons à la naissance du trumpisme. A moins que ce soit celle du plus grand stratège homme d’Etat depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Mais ce que Lindon Johnson affirma un jour s’applique parfaitement à Donald Trump : "Si un matin je traversais le Potomac en marchant sur l’eau, les titres de la presse l’après-midi seraient : le président ne sait pas nager !".
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