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Vu de Paris : une guerre imperdable

Vu de Paris : une guerre imperdable(info # 011011/15)[Analyse]

Par Sébastien Castellion© MetulaNewsAgency

 

L’attaque de Daesh contre Paris, le 13 novembre dernier, est passée assez près pour que je sente le vent du boulet. Ma sœur habite à 300 mètres du Bataclan. Depuis une semaine, le restaurant situé directement sous ses fenêtres est fermé : le jeune patron, Romain Feuillade, a été abattu sur la terrasse de la Belle Equipe, rue de Charonne. Une des camarades de classe de ma nièce a perdu sa mère.

 

Depuis une semaine, comme des centaines de milliers de Parisiens, je suis allé sur les lieux, j’ai écouté les conversations et analysé le plus grand nombre possible d’informations disponibles. A l’issue de ces analyses, je ne peux être qu’optimiste – pas nécessairement à court terme, mais pour les prochaines années et les prochaines décennies.

 

Nous sommes en guerre contre un ennemi dont les moyens sont suffisants pour de nouvelles attaques. Mais la disproportion entre les moyens de l’ennemi et les nôtres lui interdit toute perspective de victoire. La réaction des Français, depuis une semaine, a démontré que le seul facteur qui pourrait nous faire perdre – un effondrement de la confiance dans notre propre civilisation – est totalement improbable.

 

Que nous soyons en guerre est évident. La bonne nouvelle est que ni le gouvernement, ni la presse, ni aucun homme politique tant soit peu sérieux n’a cherché à le nier ou à inventer un euphémisme pour contourner la réalité (comme l’avaient fait, par exemple, les Israéliens en appelant « Intifada » la guerre déclenchée par Arafat en 2000).

 

Mes concitoyens savent parfaitement qui est l’ennemi : le djihadisme, une école fondamentaliste et millénariste de l’islam, qui croit que l’époque de son triomphe est enfin arrivée. Ils savent aussi qu’il serait maladroit de désigner l’islam comme ennemi, et peu pratique d’utiliser une définition trop longue. D’autres musulmans, en effet, font et doivent continuer à faire partie de nos alliés dans cette guerre : pays d’origine de certains terroristes (le Maroc a fourni des renseignements essentiels pour éliminer, mercredi, une équipe de Daesh qui préparait une nouvelle action), agents des renseignements français infiltrés dans les réseaux, policiers et soldats de confession musulmane. Donc, on se rabat sur l’expression « terroristes » pour désigner l’ennemi. Ce n’est pas parfaitement rigoureux du point de vue de la pure logique, mais chacun sait parfaitement que nous ne parlons pas de terroristes tamouls ou bouddhistes.

 

Cet ennemi, malgré les opérations policières réussies de la semaine – à la date de dimanche matin 793 perquisitions, 107 interpellations, 90 personnes en garde à vue, 174 armes saisies, 64 découvertes de produits stupéfiants, saisie de 250 000 euros, 164 assignations à résidence prononcées – garde assez d’actifs de guerre pour repartir à l’attaque. Le Premier ministre Manuel Valls a déclaré qu’une attaque bactériologique ou chimique est possible, une déclaration qu’il n’aurait jamais faite sans des renseignements précis. Les moyens de surveillance des services français sont encore insuffisants pour arrêter toutes les tentatives d’attentats. L’élimination de terroristes ne suffit pas à faire disparaître les vocations : celles-ci ne peuvent se tarir que lentement, au fur et à mesure que les candidats possibles prennent conscience que la victoire n’est pas atteignable. Au-delà des actifs situés en France, des réseaux internationaux, plus difficiles à surveiller, contribuent à aggraver le risque.

 

Pour toutes ces raisons, il y aura de nouvelles attaques. Chacun le sait : c’est même l’un des principaux faits qui définissent l’état de guerre. Mais ce n’est pas parce que l’on sait que les attaques vont se poursuivre que l’on doit se décourager.

 

La première chose à faire quand on analyse une guerre est de comparer les moyens dont disposent les deux camps.

 

Les terroristes ont, au grand maximum, quelques milliers de combattants prêts à agir en France. Ces combattants ont un entraînement de qualité médiocre, même si certains ont connu le combat. Le comportement des attaquants du 13 novembre (qui devaient faire partie des meilleurs combattants disponibles) était frappant d’improvisation et d’inefficacité. Trois terroristes se sont autodétruits au Stade de France en ne faisant qu’une victime ; les tireurs lâchés autour de la rue de Charonne ont gaspillé des centaines de munitions par l’imprécision de leurs tirs. Ce manque de professionnalisme est manifeste dans leur communication. Abdelhamid Abaaoud, l’organisateur des attaques du 13 novembre, a multiplié les vidéos postées sur Internet avant de se faire déchiqueter par les grenades du RAID cinq jours plus tard. Ce goût de la publicité était la meilleure manière de fournir des informations aux services de renseignement du monde entier pour le localiser.

 

Ils ne peuvent agir que par petites équipes, de 10 à 20 tout au plus. La coordination d’attaques de grande envergure est rigoureusement inenvisageable : l’écrasante supériorité de l’Etat français et de ses alliés dans la surveillance des communications interdit aux terroristes l’usage du téléphone ou des communications électroniques dans la planification des opérations.

 

Ils ont des armes de poing, des Kalachnikovs, des explosifs et peut-être des armes chimiques. Les quantités de ces armes sont limitées à la fois par la surveillance et par la nécessité d’utiliser, pour les stocker, des lieux civils de faible capacité.

 

Ils disposent d’un réseau international d’alliés qui peuvent les alimenter en argent et en armes ; mais les flux, là encore, sont contrôlés, ce qui limite leur intensité et entraîne beaucoup de pertes en ligne.

 

Enfin, ils peuvent s’appuyer sur un réseau de soutien dans la population musulmane française. Mais même dans les quartiers les plus abandonnés par les forces de l’ordre, ils ont trop d’ennemis pour agir à visage découvert, car ils seraient immédiatement dénoncés. L’obligation de clandestinité limite leur capacité d’agir. Elle entraîne aussi une déperdition du nombre des combattants disponibles pour l’action. Chaque fois qu’un terroriste imprudent ne respecte pas les règles de clandestinité, il est arrêté ; bien souvent, il fournit ensuite des informations qui permettent à la police de neutraliser plusieurs autres combattants potentiels.

 

Face à ces moyens de l’ennemi, la France, comme les autres Etats engagés dans la guerre, dispose :

 

  • D’une armée et d’une police militarisée hyper-entraînées, d’un professionnalisme à toute épreuve. Le RAID, la BRI, et le GIGN sont entraînés à la fois à l’élimination de l’ennemi à distance, par sniper, et au combat au corps à corps contre des ennemis mieux armés qu’eux. Alors qu’ils acceptent de prendre des risques extrêmes, ils n’enregistrent des pertes que très exceptionnellement ;

 

  • D’un stock d’armes infiniment supérieur, en qualité et en quantité, à celui des terroristes ;

  • D’un budget militaire plusieurs dizaines de fois supérieur à celui des terroristes ;

  • D’une excellente surveillance des communications par téléphone et par Internet ;

  • Du soutien unanime de la population dans la plus grande partie du territoire, et d’un réseau fourni d’informateurs même dans les zones plus hostiles ;

  • D’un réseau d’alliances étatiques internationales qui regroupe la quasi-totalité des armées modernes et bien entraînées de la planète.

 

Il suffit de comparer ces deux colonnes pour prédire avec une quasi-certitude l’issue de cette guerre. Le camp le moins riche, le moins bien équipé, le moins bien entraîné et le moins soutenu nationalement et internationalement ne peut pas gagner. Nous ne pouvons pas perdre.

 

Il n’y a qu’une hypothèse dans laquelle un ennemi aussi inférieur pourrait envisager de gagner la guerre : celle où l’autre camp, malgré sa supériorité matérielle, se laisserait paralyser par la peur ou par un manque de confiance dans la justesse de sa propre cause. Or, toute personne qui a passé la semaine dernière en France sait que ce ne sera pas le cas. A travers le brouillard des différentes réactions médiatiques, les faits suivants permettent de conclure avec certitude que les Français n’ont pas peur et sont convaincus de la supériorité de leur civilisation sur celle de leur adversaire.

 

Tout d’abord, aucun homme politique – pas un seul, de l’extrême gauche à l’extrême-droite – n’a suggéré qu’il fallait prendre en compte le point de vue de l’ennemi. Certains intellectuels l’ont fait, ce qui n’a aucune importance. Les intellectuels sont, par construction, attirés par les points de vue qui les font remarquer et les distinguent du commun du mortel ; ils ne paient aucun prix pour leurs erreurs et ont besoin de publicité.

 

Seules les déclarations des hommes politiques reflètent le pays : ils ont besoin, pour poursuivre leur carrière, de comprendre l’état d’esprit de la population et de ne pas trop s’en écarter. L’unanimité absolue que l’on a vue en France traduit nécessairement une quasi-unanimité de l’opinion pour continuer le combat. Le contraste avec l’Israël de la seconde Intifada, où a toujours existé parmi les élus un « camp de la paix » (c’est-à-dire de la capitulation), même très minoritaire, est édifiant.

 

Ensuite, un changement de ton est immédiatement intervenu dans le traitement, par les media écrits français, de la question du Moyen-Orient. Les articles analysant la réponse israélienne au terrorisme se sont multipliés ; ils ne contiennent même plus la phrase rituelle de condamnation des constructions en Judée-Samarie ou de sympathie avec les Palestiniens qui semblait un exercice obligé. Des inflexions apparaissent même, de manière plus étonnante, dans l’audiovisuel : aujourd’hui dimanche 22, l’assassinat à Gush Etzion de la jeune Hadar Buchris vient d’être décrit exactement dans ces termes sur France Info (« une israélienne assassinée, son attaquant abattu ») [lorsqu’un évènement similaire se produit en France, l’ "attaquant" est appelé "terroriste". Ndlr.] sans les habituels artifices oratoires ou confusions entre cause et effet.

 

Enfin, les manifestations de foule qui ont eu lieu à Paris depuis une semaine se sont faites, non autour de thèmes vagues et généreux (comme la marche du 11 janvier dernier à laquelle, pour cette raison, je n’avais pas participé) mais autour de deux thèmes bien plus clairs : la défense de l’identité française et le refus de la peur. Nous avons arboré des drapeaux et chanté la Marseillaise ; nous avons bu de la bière en terrasse et nous sommes délibérément placés dans les endroits publics les plus faciles à atteindre. Ce n’est pas le comportement d’un peuple prêt à se rendre.

 

La guerre sera longue et il y aura de nouvelles attaques. La France le sait. Mais les armées des nombreux pays à qui les djihadistes ont déclaré la guerre vont, dans les prochaines années, tuer bien plus d’ennemis que nous ne souffrirons de pertes. La destruction des actifs ennemis laminera, peu à peu, la croyance actuelle des djihadistes en une victoire possible. Le nombre des vocations diminuera progressivement, jusqu’à ce que le monde retrouve un semblant de normalité. Les djihadistes vont être détruits. Nous vaincrons.

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