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YUVAL NOAH HARARI, L’HISTORIEN DU FUTUR

YUVAL NOAH HARARI, L’HISTORIEN DU FUTUR

 

 

L’universitaire israélien, auteur du best-seller "Sapiens, une brève histoire de l’humanité", est devenu un phénomène d’édition mondial.

En cette fin du mois de juillet, il fait une chaleur moite insupportable, du trottoir de Tel-Aviv jusqu’au dernier étage de l’Hotel Cinema, où Yuval Noah Harari a pris place pour assurer la promotion de son nouveau livre, 21 leçons pour le XXIe siècle (Albin Michel, 420 p., 23 €, à paraître le 2 octobre).

Une équipe de télévision japonaise quitte tout juste l’auteur de Sapiens, une brève histoire de l’humanité (Albin Michel, 2015) – qui sera porté à l’écran par le réalisateur américain Ridley Scott et le cinéaste britannique Asif Kapadia – et Homo Deus, une brève histoire de l’avenir (Albin Michel, 2017).

Un entretien avec le philosophe du futur ressemble à une course difficile pour les non-pratiquants, un mélange de cent mètres et de marathon. On a beau lire, se préparer, bachoter, sortir de sa trousse des crayons de couleur bien affûtés et alignés, ça décolle à la verticale. Heureusement, la pythie est affable, patiente et bien disposée.

Ecrivain mondial. Que signifie ce statut ? Une renommée, une influence, un nom qui devient une marque. Dans le cas de Yuval Noah Harari, on peut ajouter que ce statut se mesure aussi au prestige de ceux qui se chargent de la recension de ses ouvrages. Le 4 septembre, dans les colonnes du New York Times, Bill Gates lui-même a pris la plume pour dire tout le bien qu’il pense de cet historien israélien insaisissable, qui réécrit le passé et dessine l’avenir en cherchant des lignes de cohérence ou de fracture. Ses pourfendeurs sont souvent les spécialistes pointus d’un domaine que l’auteur ne fait que survoler, trop occupé à créer des passerelles et décloisonner. La vulgarisation implique, parfois, des raccourcis, mais elle entraîne plus de monde que le cénacle savant.

Des outils pour penser le monde qui vient

Dans le New York Times, le patron de Microsoft exprime plusieurs réserves sur le nouveau livre de Yuval Noah Harari mais il salue l’apport de ce penseur atypique. « Ses trois livres se confrontent sous différentes formes à la même question : dans les décennies et les siècles à venir, qu’est-ce qui donnera du sens à nos vies ?, écrit Bill Gates. Jusqu’à présent, l’histoire humaine a été mue par un désir de vivre des vies plus longues, en meilleure santé, plus heureuses. Si la science parvient au bout du compte à accorder ce rêve à la plupart des gens, et qu’un grand nombre de gens ne doivent plus travailler afin que chacun soit nourri et vêtu, quelle raison aurons-nous de nous lever le matin ? »

S’interroger sur le sens de la vie, certes. Mais d’abord, mettre de l’ordre dans nos angoisses et nos errances. On ajoutera volontiers, si le milliardaire américain autorise un appendice, que la vocation première du livre de Yuval Noah Harari est de réduire notre incompréhension face au monde actuel et de l’empêcher de croître sous l’effet des bonds technologiques monumentaux que l’humanité est en train d’accomplir. Ces bonds ne sont ni bons ni mauvais en soi, explique l’auteur : ils sont porteurs d’espérances mais aussi de dangers s’ils ne sont pas correctement encadrés.

L’ouvrage est composé de chapitres hétéroclites, qui s’attachent à poser de façon pédagogique les grandes questions axquelles devront répondre nos sociétés développées. Crise écologique, fragilité des démocraties libérales, émergence des « fake news », avènement du big data, de l’intelligence artificielle et des biotechnologies : Yuval Noah Harari essaie de fournir aux décideurs et aux citoyens des outils pour penser le monde qui vient, et saisir en termes adéquats celui qui nous entoure.

On n’est pas obligé de prendre à la lettre toutes les prédictions, ni de se sentir concerné par son long éloge des vertus de la méditation, qu’il pratique avec assiduité. On est aussi en droit de ne pas frissonner d’aise à l’annonce de l’invention de la viande artificielle, conçue en laboratoire.

En revanche, on doit reconnaître que Yuval Noah Harari a un talent rare pour distinguer l’essentiel de l’accessoire, à l’heure où, note-t-il, la foi dans les récits anciens s’éteint et que d’autres tardent à émerger. Dans la partie la plus stimulante du livre, Yuval Noah Harari pose un diagnostic cru sur la crise du modèle occidental. « Le système politique libéral a été façonné au cours de l’ère industrielle pour gérer un monde de machines à vapeur, de raffineries de pétrole et de postes de télévision, raconte-t-il. Il a du mal à faire face aux révolutions en cours de la technologie de l’information et de la biotechnologie. »

Un mari mais pas de smartphone

Dans une décennie ou deux, affirme l’historien, adviendra un monde où l’homme pourra être piraté et manipulé comme une machine. Comment vivre si un régime ou une entreprise sans frontières vous connaissent finalement mieux que vous et cernent avec précision vos désirs et vos peurs, vos habitudes et vos faiblesses ? La soumission aux algorithmes dessine un monde inquiétant, où les notions de liberté et de libre arbitre seront radicalement remises en cause.

D’où l’importance d’une régulation de la collecte et de la conservation des données numériques. Yuval Noah Harari n’a d’ailleurs pas de smartphone, contrairement à son mari et à son assistante. « Non pas par peur de la surveillance, mais de la distraction, sourit-il. Les gens vraiment importants n’ont pas de smartphone. Il en faut un quand on travaille pour quelqu’un. » Etant son propre patron, Yuval Noah Harari n’a pas ce souci.

Ne détestant pas la provocation, qu’il juge féconde si elle bouscule les lecteurs dans leurs certitudes, l’auteur évoque volontiers l’évolution de son pays. Il minimise ainsi l’apport du judaïsme, dont « la vraie grande influence est finalement d’avoir donné naissance au christianisme », indique-t-il.

« Pouvez-vous nommer un seul chef-d’œuvre qui eut été inspiré par le Talmud ? Moi non. Au cœur du judaïsme, aujourd’hui, se trouvent l’étude du Talmud, la fréquentation de la yeshiva [école religieuse], les rabbins, tout ce qui n’existait pas du temps de la Bible, pas plus que les pratiques et les cérémonies en cours actuellement. Mais les gens exagèrent aussi l’importance du christianisme en disant que toute l’humanité repose sur les dix commandements. C’est pire qu’absurde, c’est presque du racisme. D’autres excellents systèmes éthiques ont existé en Inde, en Australie ou aux Etats-Unis, sans lien avec le système judéo-chrétien. » Ecrivain mondial veut donc aussi dire décentré.

Source : Le Monde

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