Zemmour : « Je suis imprégné du christianisme »
propos recueillis par Gérard Leclerc
Comme vous l’abordez dans votre livre, j’ose vous poser la question de votre rapport personnel au christianisme et à votre judéïté. Vous insistez sur le côté rituel juif, et vous vous dites de culture catholique. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Il faut comprendre d’abord que le judaïsme n’est pas le christianisme. C’est-à-dire qu’il repose avant tout sur des rites. C’est une orthopraxie, quand le catholicisme est une orthodoxie, fondée sur le contenu de la foi. Je pense aussi que le judaïsme a été refondé. À partir du moment où les Romains ont détruit le Temple, en l’an 70 ap. J-C, les Juifs ont reconstruit une religion qui reposait sur l’étude du texte et sur les rituels. Talmud d’un côté, et rituels familiaux de l’autre. C’était pour défendre la famille, et réguler le temps. J’ai été élevé dans cette tradition-là. Mes parents étaient traditionalistes, mon père était très pratiquant. D’ailleurs on dit « pratiquant ». Chez les Juifs on ne parle pas d’avoir la foi.
À partir de là, je suis en France, je suis Français. Mes parents adulent la France, ils lui portent une véritable vénération, et mes grands-parents aussi. Rien d’original chez les Juifs d’Algérie. Alors que ceux de Tunisie ou du Maroc se moquent du patriotisme passionné de leurs coreligionnaires d’Algérie.
Ensuite, pour devenir français, il faut s’imprégner du catholicisme. Jadis, quand la nation reposait sur la religion, on se convertissait à la foi catholique, de gré ou de force. Aujourd’hui cela repose sur la culture, l’histoire, le passé – ce sont les mots de Renan. On s’imprègne donc de ces valeurs chrétiennes. Par exemple, de la beauté des églises. C’est concret. De l’universalisme chrétien aussi, de la pompe de l’Église, de la laïcité née dans l’Église, de cette histoire, de cette compassion pour les faibles. Même si je m’en méfie…
Je suis donc un homme de l’Ancien Testament qui a reçu une culture du Nouveau. Sur l’existence de Dieu je suis dubitatif, je n’en sais rien. N’ayant pas été élevé dans le catholicisme, sans la foi il m’est difficile d’adhérer au Credo. Les rites de mon enfance, c’est autre chose. Quand je veux y replonger, évoquer mes parents défunts, je vais à la synagogue. En revanche, je sens bien que toute ma culture, c’est le christianisme, j’en suis imprégné.
Avez-vous approfondi la question de l’ambiguïté de l’amour ?
Je comprends très bien les critiques de Nietzsche sur la religion chrétienne qui vont en ce sens. Il y a une ambivalence, c’est le « en même temps » macronien. C’est la grandeur de la foi catholique de se pencher vers les faibles, évidemment ! C’est ce qu’on appellerait le social aujourd’hui, la solidarité, la fraternité. Et en même temps, je maintiens que ça peut être une catastrophe quand il n’y a plus que cela. Richelieu le dit, je cite son testament dans mon livre. De Gaulle se réfère à Richelieu. Tous deux appartiennent au même genre : une éthique chrétienne très stricte, la morale, l’amour de l’autre… dans le privé. Mais dans le public, ne comptent que les intérêts de la France et de l’État. De Gaulle écrit dans Le fil de l’épée : « La perfection évangélique ne conduit pas à l’empire. »
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