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Au Moyen-Orient : L’impossible et le possible.
Par Leo Keller
 

L’encre n’est pas encore séchée et l’on a vu tant d’accords sub specie aeternitas échouer sur des détails que l’on croyait de peu d’importance. Ainsi la tentative Bachir Gemayel et Israël.

L’accord conclu hier soir 13 Aout 2020 sous les auspices de Trump entre Netanyahu et le Prince Mohammed Bin Zayed des UAE n’est pas le premier.
Les accords et traités signés avec l’Egypte et la Jordanie revêtaient une charge émotionnelle nettement plus importante et leur géographie les rendait plus palpables, plus concrets.
Signés à chaud, leur impact fut immédiat, plus porteur de conséquences.
L’accord signé le 13 Aout n’en demeure pas moins- au-delà du symbole- capital.
Que l’Iran, en soit le principal inspirateur est incontestable. Plus intéressant est que l’Arabie Saoudite soit absent de la scène.

Les significations
Nous savons avec Clausewitz que l’on met fin à un conflit de trois façons :
– écrasement total de l’adversaire
– intervention d’une tierce partie
– fatigue des parties au conflit

Jusqu’à présent aucune de ces conditions n’a pu être parfaitement remplie jusqu’au bout et pour des multiples raisons.
Le texte de l’accord, et ce n’est pas anodin, commence par la phrase : « Israël Agrees To Suspend Claim of Sovereignty Over West Bank » « sovereignty over areas outlined in the President’s Vision for Peace”

Du côté arabe c’est la reconnaissance d’Israël avec l’ouverture d’ambassade et la panoplie complète de relations apaisées.
Il y a d’autres clauses qui sont de factures classiques.
Reconnaissons-le, ce sont là deux avancées majeures même si d’autres pays arabes ont de telles relations avec Israël.
Cet accord a une vraie vertu. Il signifie, urbi et orbi, que tant Israël que les Palestiniens et /ou Arabes n’ont la possibilité de réaliser leurs rêves, la possibilité de vivre un passé fantasmé, troqué et imbécile.
Cet accord précisément parce qu’il dévoile l’impossible démontre que le possible encore impensé il y a seulement quelques mois peut à nouveau être pensé.
Ce n’est pas rien, ce n’est pas tout.
Précisément parce que cet accord ne règle vraiment rien sur le fond il est profondément utile.
Les accords, comme les individus, vivent et meurent. Ils se fortifient comme ils deviennent obsolètes.
Ils meurent aussi. L’on aura donc bien garde, à ce sujet, de négliger le fait que l’Egypte et la Jordanie, pays de la première ligne « refroidissent « et gèlent très fortement leurs liens diplomatiques avec Israël précisément à cause du blocage palestinien et du problème de l’annexion des territoires occupés.
Ce n’est pas tout, mais ce n’est pas rien.

Cet accord relègue du côté israélien les revendications historico- religieuses et il relègue mêmement aux oubliettes de l’Histoire et de la haine, les aspirations palestiniennes et arabes.
Ce n’est pas tout, c’est juste beaucoup.
Les deux parties ont –enfin- fini par comprendre simultanément- le mot est important- qu’elles ne pouvaient dicter leur volonté à l’autre, qu’elles ne pouvaient imposer erga omnes leurs seuls intérêts.
C’est le premier obstacle de ce steeple-chase qui en regorge. Mais il commande à tous les autres.
C’est enfin la traduction diplomatique sur le terrain du dilemme de la sécurité : le maximum de sécurité pour l’état A entraine le maximum d’insécurité pour l’état B.

Pour une fois Kairos a triomphé d’Hubris. Ayons l’élégance de le reconnaître même s’il est encore trop tôt pour sabrer le champagne.
Un seul lit à deux places ? Bien sûr que non. Tout au plus deux lits séparés dont les conjoints ont appris à se parler.
Pour la première fois la prophétie de Jacob Talmon, énoncée en 1967, est battue en brèche : « La victoire a propagé l’ivresse de la force, elle a balayé tout sentiment de mesure, la force prenant l’aspect de la toute-puissance, de la réponse à tout «

L’autre avantage de cet accord est qu’il autorise et facilite un refroidissement de la défiance entre les parties au conflit. Les représentations nourrissent les conflits ; leur affadissement les atténuent et les affaiblissent.
Parce qu’il n’y avait ni conflit ni dispute territoriale entre les UAE et Israël (ne l’oublions quand même pas) cet accord libère les représentations et stéréotypes haineux des deux côtés.
A ce trébuchet, cet accord est donc aussi important que les précédents traités.

Le fond du problème demeure. Il vient juste d’être anesthésié ce qui permet d’envisager une convalescence.

Certes des arrière- pensées demeurent. De mémoire, le Cardinal de Retz écrivit que les accords ne valent que par les arrière-pensées et ne peuvent naître que par les malentendus.
Napoléon disait: « If you want to take Vienna, then take Vienna.”

Netanyahu a enfin compris qu’il ne pouvait ni prendre Vienna, ni vaincre les Palestiniens, ni annexer leur territoire.
Les Palestiniens, quant à eux, commencent enfin à comprendre que leur vieux rêve de rejeter les Juifs à la mer n’a aucune chance de voir le jour.
Les Israéliens- au moins pour une partie de leur population, sont fatigués de poursuivre des chimères religieuses et historiques.
Les gouvernements arabes fatigués, déçus et lassés d’investir à fonds et résultats perdus auprès de Palestiniens refusant d’entrer dans l’Histoire au-delà des revendications justes et légitimes, mais les soutenant quand même tant la rue est puissante.
Les conditions sont donc enfin réunies pour que Prométhée voie son calvaire terminé.

Cet accord permet également aux trois signataires de revendiquer la victoire.
C’est important et c’est presque tout. Car il leur permet de ne pas perdre la face et donc d’emporter l’adhésion de leurs populations.

En fait, vu de ces colonnes, j’aurais tendance à dire qu’à côté de victoires indéniables il y a aussi – et c’est heureux ainsi- une défaite pour chacun des protagonistes. Car un traité sans perdants n’est pas un bon traité.

Pour Netanyahu qu’il ait voulu réellement ou sur le tard seulement l’annexion c’est une vraie concession douloureuse. Si les mots ont un sens et les promesses électorales aussi, toute son idéologie et d’une fraction importante et décisive de la droite israélienne et de son électorat, il s’agit tout simplement de renoncer à l’idée de recouvrer la souveraineté pleine et entière des territoires que la Bible leur avait assignés.
Pour preuve les discussions acidulées pour la formation du gouvernement de coalition.
Netanyahu a d’ailleurs tenté de reformuler le texte de l’accord en disant que cette suspension n’était que provisoire. Trump l’a immédiatement recadré en disant que « the annexation is off the table ! »
Le mot d’ordre du Likud était : il est erroné de parler d’annexion, nous récupérons juste notre terre ancestrale. Nous rentrons à la maison.
Pour les UAE, c’est la reconnaissance que leur salut stratégique viendra d’Israël face à l’Iran. On a connu source de fierté plus éloquente !
Pour Trump : quel aveu de son indigence intellectuelle : Reconnaitre que trois ans de gestation d’un accord en pure perte.
Mais sachons précier cet accord.
Car cet accord met fin à l’hostilité quand bien même il ne met pas fin aux hostilités.
Kissinger dit un jour en Mai 73 à l’inamovible Gromyko « qu’il ne peut y avoir de paix au Moyen-Orient car une des deux parties, Israël, est cynique et l’autre hystérique. »

Platon avait raison même contre Kissinger lorsqu’il affirma : » Dieu voulant réconcilier les deux ennemis et ne pouvant y réussir les y attacha tous deux par leurs extrémités. »

Laissons le mot de la fin à Margaret Atwood « Wars happen because the ones who start them think they can win.”
Cet accord met fin aux espoirs de tous les écervelés.
Les hommes seraient-ils donc devenus plus intelligents au Moyen-Orient !

Leo Keller

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