La connexion indo-israélienne, par David Bensoussan
Les relations entre Israël et l’Inde ont connu un essor extraordinaire au cours des deux dernières décennies. Pourtant, ces relations furent longtemps au point mort auparavant.
L’angle mort de Gandhi
La préoccupation majeure de Mahatma Gandhi fut la concorde des communautés musulmanes et hindoues sur le continent indien et cette préoccupation prévalut sur toute autre considération.
Déjà en 1938, il avança que la Palestine appartenait aux Arabes de la même manière que l’Angleterre appartient aux Anglais et la France aux Français. Durant la guerre israélo-arabe de 1948, Gandhi conseilla la non-violence aux Juifs, mais il omit de la conseiller aux pays arabes… Espérait-il peut-être que son appel ne soit entendu seulement que par les Juifs ?
Mahatma Gandhi fut aidé par des proches collaborateurs juifs dans sa lutte contre le racisme en Afrique du Sud, parmi lesquels le journaliste Henry Polak, l’architecte Hermann Kallenbach, et la sténographe Sonia Schlesin. Toutefois, il n’a jamais manifesté d’empathie pour le judaïsme ou Israël.
Tant l’Inde qu’Israël étaient engagés contre l’Angleterre dans la lutte anticoloniale. En 1948, Gandhi s’était opposé à la partition de la Palestine en un état juif et en un état arabe, tout comme il ne souhaitait pas la partition du continent indien en état musulman, le Pakistan, et un état à majorité hindoue, l’Inde. Ce fut aussi la position défendue par Nehru, malgré les bons offices du savant Albert Einstein.
Nehru répondit à ce dernier que lorsque la politique internationale entre en conflit avec la politique nationale, cette dernière doit avoir préséance et par ailleurs, il ne voulait pas offenser les pays arabes. Le délégué indien à l’ONU répéta : « pour nous, un vote en faveur des Juifs est un vote contre les Musulmans qui constituent une population importante en Inde (soit 35 millions d’âmes en 1951 et plus de 180 millions aujourd’hui) qui ne peut donc être ignorée. »
L’Inde reconnut l’État d’Israël de facto et de jure en 1950, mais les relations diplomatiques ne furent pas établies pour autant. Nehru admit cependant en 1958 que : « Israël est une réalité … Je ne dirais pas que c’est une réalité négative. » Il entretint une correspondance privée avec le Premier ministre israélien David Ben Gourion. Lors des incidents frontaliers avec la Chine en 1962, Nehru demanda à recevoir des armes dans des bateaux ne battant pas de pavillon israélien. « Pas de drapeau, pas d’armes ! » fut la réponse de Ben Gourion et Nehru se plia.
En 1964, durant le mandat de la première ministre Indira Gandhi (fille de Nehru), la position unilatérale de l’Inde n’était guère opportune, se contentant de seriner les slogans soviétiques hostiles à Israël, voulant que ce pays soit un proxy néo-impérialiste de l’Amérique. Dans les années 80, l’Inde était le leader des pays non-alignés, mais se positionnait néanmoins dans le camp soviétique alors que le Pakistan se rangeait du côté du camp occidental. Tout changea après le démembrement de l’empire soviétique et l’Inde établit des relations diplomatiques avec Israël en 1992.
Modi entre en scène
Sous l’impulsion de Narendra Modi, leader du parti nationaliste Bharatiya Janata depuis 2014, l’Inde est passée du 142e rang au 77e rang en 2019 du point de vue de la facilité à faire des affaires selon la Banque mondiale. L’Inde est un pays de plus de 1,3 milliard d’habitants et il sera bientôt le pays le plus peuplé des pays du monde. L’Inde a comme atout une infrastructure de centres de recherche des plus sophistiqués.
En 2017, Modi visita Israël, et vanta le partenariat stratégique prévalant entre son pays et Israël. Le Pakistan était une puissance nucléaire très proche de l’Arabie saoudite, pays hostile à Israël. Par ailleurs, les deux pays combattaient l’islam radical. La coopération antiterroriste était déjà à un stade avancé (en 2008, l’attentat terroriste à Mumbai avait fait 195 victimes dont 9 Israéliens).
Il fut demandé à Israël de moderniser les flottilles d’avions Mig-21 et de tanks T-72 russes. L’Inde s’équipa d’un radar israélien sophistiqué, d’équipements de surveillance, de drones, de missiles antitanks et de missiles pour la marine indienne (valeur de plusieurs milliards de dollars).
Israéliens et Indiens se sont découvert une grande affinité dans de nombreux domaines et notamment ceux de l’agriculture et de la qualité de l’eau. En 2018, des fermiers indiens ont suivi des formations dans 25 centres d’excellence israéliens en Inde même. Par ailleurs, des dizaines de milliers d’Indiens visitent Israël chaque année. Enfin, le Premier ministre israélien fut littéralement encensé lors de sa visite officielle en Inde en 2018.
Le rapprochement de l’Inde avec Israël a été des plus étroits et, contrairement aux attentes, le vote musulman en faveur de Modi s’est accru de 50% en 2019, consolidant ainsi la majorité absolue de son parti. Durant un congrès de Start-up Grind tenu au mois de novembre 2020 à Dubaï en vue de réseauter d’importantes compagnies d’affaires, de nombreuses ententes se sont dessinées entre des compagnies israéliennes, indiennes et émiraties dans le domaine de la santé et de la sécurité alimentaire.
Nouvelles réalités et nouvelles perspectives
Le commerce avec les pays membres de l‘Organisation de coopération islamique compte pour 30% du commerce de l’Inde. Plus de la moitié de cette proportion est transigée avec les pays du Golfe et moins de 15% avec l’Iran la Turquie, le Pakistan et la Malaisie. Ces données économiques traduisent aussi des réalités politiques. Sous la présidence d’Erdogan, la Turquie a défendu haut et fort la position du Pakistan en regard du statut du Cachemire.
L’Inde s’est désinvestie du projet de construction du port iranien de Chahbahar dans le Golfe d’Oman et les sanctions économiques américaines contre l’Iran ne sont pas étrangères à cette décision. Des voix radicales se sont fait entendre en Malaisie après que le président Macron ait critiqué le séparatisme islamiste dans son pays.
L’ex-premier ministre Mahathir Mohamad a déclaré : « Les musulmans ont le droit d’être en colère et de tuer des millions de Français pour les massacres du passé. » Enfin, le Pakistan qui avait refusé d’envoyer des troupes au Yémen en 2015 pour combattre les Houtis à la demande de l’Arabie s’inquiète aujourd’hui du rapprochement entre l’Inde et l’Arabie saoudite.
De son côté, l’Inde s’inquiète du tant du rapprochement du Pakistan et de la Chine qui y a investi des dizaines de milliards de dollars dans le cadre de la nouvelle route de la soie Belt and Road Initiative que des visées chinoises sur des territoires frontaliers du Ladakh.
Les relations bilatérales israélo-indiennes couvrent aujourd’hui un très grand nombre de domaines et leurs avantages n’échappent pas au Pakistan. Des hypothèses de rapprochement réservées y sont émises. Les discours pro-islamiste et anti-israélien continuent de prévaloir au Pakistan, mais la réalité de la coopération indo-israélienne et le dégel actuel avec les pays arabes sunnites laissent entrevoir des conséquences importantes découlant des accords d’Abraham normalisant les relations entre Israël et un nombre grandissant de pays arabo-musulmans.