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La communauté juive du Maroc contée par Serge Berdugo

Mohamed Jaouad EL KANABI

 

 

Serge Berdugo, Secrétaire général du Conseil de la communauté israélite du Maroc, Président de la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain et ambassadeur itinérant, entre autres éminences, a participé d’un remarquable exposé « Un panorama de la Communauté Juive du Maroc » au webinaire international organisé par le Centre Ta’aruf affilié à la Rabita Mohammedia des Oulémas, et ce, quatre jours durant, sous le thème : «Préserver et transmettre la mémoire pour ancrer l’Altérité ».

L’évènement en partenariat avec la Fondation Mémoires pour l’Avenir (FMA) et Archives du Maroc et avec le soutien de l’ambassade des Etats-Unis au Maroc, a offert l’occasion de réfléchir à la problématique de la mémoire, la repenser, la préserver mais également la transmettre aux nouvelles générations.

Quoi de mieux alors pour cet exercice que de se centrer sur ce mythique monastère bénédictin de Toumliline du nom d’une source dans les hauteurs d’Azrou, qui pendant seize ans, de 1952 à 1968, fut un lieu de vivre-ensemble, de partage et de savoir, multiconfessionnel. Dans cette période cruciale de l’histoire du Maroc, on y recueillit enfants orphelins ou issus de milieux pauvres et autres. Ils y ont bénéficié d’une excellente éducation. Pendant toute une décennie de 1956 à 1966, le monastère organisa des rencontres internationales pendant l’estivage. Le lieu ferma, mais sa mémoire est demeurée vivante.

Construire une réflexion globale sur le rôle de la mémoire en tant qu’élément central permettant l’ouverture à l’altérité, notamment spirituelle, à travers le cas d’école « Toumliline », afin de  rappeler à travers ce colloque, qu’il est essentiel de préserver la mémoire de façon générale et de la transmettre aux nouvelles générations.

On retiendra du parterre des personnalités éminentes, quelques déclarations fortes de sens et d’histoire à l’image de celle d’Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l’Homme: « l’expérience de Toumliline offre un cas d’école à méditer et un modèle d’inspiration sur comment développer un modèle non-institutionnel de dialogue interculturel dans un espace libre où s’est construite une mémoire collective, où est valorisé non seulement le débat pluriel mais surtout la célébration commune des croyances et des idées de tous. C’est ainsi qu’à Toumliline, a pu se construire, de la manière la plus naturelle et la plus authentique, et même la plus marocaine, une mémoire qu’on peut qualifier d’universelle ».

André Azoulay, conseiller du Roi Mohammed VI, résumera l’idée de la préservation de la mémoire et de sa transmission en une seule phrase, « Si nous ne nous souvenons pas de notre histoire, qui s’en souviendra pour nous ? Nous avons tous besoin du passé pour construire notre futur » et de rappeler que « C’est à Bayt Dakira et depuis Bayt Dakira que nos mémoires mêlées et nos histoires additionnées disent aux autres la proximité, l’intimité et l’exaltante complicité qu’Islam et Judaïsme ont vécues, forgées et ciselées pendant plus de deux siècles de lumière à Essaouira ».

Quant à Salim ben Mohammed Al-Malik, directeur général de l’ISESCO, il affirmera que « le Royaume du Maroc est un modèle en matière de préservation des coutumes et traditions, notamment celles de la communauté juive ».

Et ce n’est surtout pas Serge Berdugo, qui dira le contraire lui qui dans son exposé a évoqué l’expérience singulière de la communauté juive du Maroc dans sa quête pour la préservation de son patrimoine et de la transmission de la mémoire juive du Maroc aux nouvelles générations pour la construction d’une citoyenneté ouverte et plurielle.

L’ancien ministre du tourisme du Maroc a entamé son exposé avec le mot « Zakhor » ou souviens-toi en hébreu qui selon, Serge Berdugo ,est « le respect par les Juifs de cette injonction biblique qui a fait du peuple juif celui de la mémoire ».

Ce respect était pour nous, poursuivra Berdugo, « une obligation morale qui relève de notre dignité du respect dû à nos ancêtres et par-dessus tout, à nos enfants à qui nous devons léguer les signes du passé juif. Cette sauvegarde n’était pas à l’évidence destinée à quelques milliers de juifs de la communauté du Maroc mais bien un hommage rendu à la mémoire des siècles et la perpétuation des traces de leur histoire comme partie intégrante du patrimoine matériel et immatériel du Royaume du Maroc. Transmettre, alors les valeurs d’une civilisation d’exception est un art de vivre ensemble, entre fidèles de deux religions différentes dans le respect et la tolérance ».

La communauté juive du Maroc a toujours été et reste la plus nombreuse de tous les pays arabes, nous dit encore le président de la Fondation du Patrimoine culturel judéo-marocain. « Malgré les migrations, les sévères migrations, elle est l’une des plus anciennes implantées dans le pays dans l’environnement berbère avant même l’arrivée des Arabes et de l’Islam. A partir du XVe siècle, le judaïsme berbère marocain allait intégrer les Juifs d’Andalousie. La mémoire juive marocaine est donc plurielle et intègre des sources multiples qui ont fini par s’harmoniser au fil des siècles sans perdre leur authenticité. Cela a été un véritable challenge de respecter les apports de chacune des composantes de ce judaïsme si particulier », souligne-t-il.

Du point de vue démographique les communautés juives marocaines comptent près d’un million de personnes dans le monde, avec près de huit-cent-mille personnes en Israël. Berdugo commentera: « Partout, elles constituent des branches actives et dynamique dans leurs pays d’accueil en France, Canada, Espagne où elles ont contribué à redynamiser les institutions communautaires. Partout elles continuent à donner et à former des Rabbins à de très nombreuses communautés dans le monde. Ces identités perpétuent un système de valeurs puisées dans la civilisation marocaine et dans ses traditions propres ».

Et de souligner: « Dans ce contexte la communauté juive du Maroc va déployer des efforts soutenus pour continuer à faire vivre une communauté matricielle du judaïsme marocain car le risque est grand de le voir disparaître du pays comme société vivante presque par inadvertance et sans que le Maroc en eût décidé ainsi ». Serge Berdugo estime que ce n’est pas au reste numérique qu’il faut l’apprécier mais bien à la place qui est la sienne sur sa terre natale aux racines auxquelles elle reste si attachée et aux questions qu’elle continue de poser et aux espoirs qu’elle continue de véhiculer.

Du patrimoine immatériel du judaïsme marocain Serge Berdugo dira qu’il est considérable, tant en matières savantes, juridique et théologique, poétique, musicale et mystique que dans la culture profane, littéraire et linguistique. De la musique, Berdugo indiquera « que de chemin parcouru depuis le concert historique des ‘’Chants de Traverse’’ en 1999, qui ont réuni des milliers de spectateurs venus goûter les mélodies du répertoire judéo-marocain, interprété par deux chanteuses, une musulmane et une juive en hébreu et en arabe. Depuis de prestigieux festivals et autres ont remis au goût du jour des trésors de chants populaires enfouis dans la mémoire collective sans que l’on sache qui des Juifs ou des Musulmans les ont interprétés en premier dans le temps ».

Dans le domaine de l’enseignement explique Berdugo, « nos établissements affichent de brillants résultats au baccalauréat français (100% de réussite) et comptent 30% d’élèves musulmans qui apprennent l’hébreu et où les relations entre élèves sont plus que satisfaisantes ».

Enfin, conclut l’ambassadeur itinérant, « nous comptons en coopération avec le ministère de la culture inscrire au patrimoine immatériel de l’humanité la fête juive marocaine de la Mimouna, c’est une très belle fête qui symbolise le partage, la tolérance, le vivre ensemble entre Juifs et Musulmans au Maroc. Elle est célébrée par un million de Juifs marocains dans le monde et a fini par s’imposer en tant que fête nationale en Israël ».

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