Lectures de Jean-Pierre Allali - Prague de leur fenêtre, par Daniel Cohen
Natif du Sahara, l’éditeur et auteur Daniel Cohen a une véritable passion pour Prague, la capitale tchèque. Prague et sa place Venceslas, ses églises et son pont Charles sur la Vltava, Prague et ses synagogues, notamment la célèbre Vieille-Nouvelle dans le quartier juif de Josefov, Prague et son cimetière juif chargé d’histoire…
Prague est au centre du nouveau roman de Daniel Cohen même s’il se permet, ici et là des incursions dans diverses autres villes : Venise, Paris, Berlin, Vienne, Leipzig, Vérone, Budapest…Et, beaucoup plus loin, à New York, à Jérusalem et Tel Aviv.
L’auteur nous fait découvrir, dans les années trente qui, hélas, verront déferler la haine meurtrière des nazis, l’étonnante Nafala Weill-Breslau, princesse Waller von Schwarzenberg, Elle, Elle, elle, son fils, Nal, alias Werfried Ansgar et leur amie Pauline Lamballe-Violet.. Sans oublier l’époux de Nafala, le prince Richard Waller von Schwarzenberg, diplomate, souvent en mission, loin des siens.
Nafala, demi-Juive, est donc une Mischling ! Elle portait bien d’autres prénoms : Edeltraut, Isolde, Eva, Josepha. Nafala avait fini par l’emporter mais était-elle Nafala ou Néfila (Chute en hébreu) ou encore Nafla (Elle est tombée). ?
Agnostique, in fine « Nafala avait su du judaïsme bien plus que son fils ne l'eût soupçonné ». On est en droit de se demander : « Qui était-elle ?...Juive allemande ? Juive tchèque ? Chrétienne abâtardie ? »
Dans son magnifique palais Palliardi, Nafala, femme de culture et de goût, écrivaine et poétesse à ses heures, amatrice éclairée de peintures, amoureuse de la langue allemande, hôtesse délicate, reçoit tout ce que Prague compte de beau monde : écrivains, artistes, diplomates.
« Le dimanche, Albert Einstein déjeunait parfois au palais Palliardi, invité d’un M. Weill-Breslau à l’affût de ce qui venait d’Allemagne. Le physicien se mettait ensuite au piano, jouant Mozart avec une compétence reconnue… »
Reçue et honorée à travers le monde, elle fréquente nombre de célébrités. Ainsi, à Paris, elle rencontre Saint John Perse, aux côtés du président du Conseil, Léon Blum et de son épouse Héléna Thérèse Peyrera, belle-sœur de Paul Dukas.
Nous sommes dans les années trente qui vont voir le nazisme allemand dévaster l’Europe. Un jour, le magnifique palais Palliardi, réquisitionné par le Reichsproteckor von Neurath, deviendra le palais Silence, le palais Fantôme, le palais Dément. Peut-être, finalement, un palais rêvé !!
Lorsqu’il apparaîtra, aux yeux de tous, que la belle vie à Prague est en voie de disparition et que la communauté juive est promise à une mort inéluctable, Nafala donnera une grande fête, une sorte de baroud d’honneur et de pied de nez fait à l’envahisseur.
« À l’aide de son secrétariat, de ses cuisiniers, Elle avait fait des prouesses pour que le Grand Rabbinat de Prague, les associations de Juifs de langue allemande et de langue tchèque, présentes dans la capitale, travaillent de conserve et lui permettent de convier une centaine de personnes. Elle avait insisté pour que la nourriture offerte soit conforme aux règles de la cacherout… ». Il y avait là le Grand rabbin de Prague, Gustav Sicher, le docteur Ernst Cantor, président de l'Union des communautés juives d’origine allemande et du Haut Conseil des Juifs de Tchécoslovaquie ou encore le rabbin Isidor Hirsch de la synagogue Karlin. Des Juifs religieux et des Juifs du Kippour. Des Juifs athées aussi. Et de nombreux non-Juifs.
Entre admiration, amour et haine, les relations entre Nafala et Nal sont parfois difficiles à cerner.
Et puis, après la Guerre, réalisant sa judéité jusqu’ici enfouie, Nal décide de mettre en avant la « Loi du Retour » et de s’installer en Israël.’ C’est à Jérusalem qu’il réapprit à aimer la musique ». Nafala, c’est sûr, n’aurait jamais franchi ce pas !
« La ville l’agaçait. Pourtant, disait-on, elle vibrait ». Et « il aima les premières années de son installation ». Nal va vivre le temps de la guerre des Six-Jours « qui infléchira les mentalités d’une nation d’ouvriers et d’agriculteurs »
« Un jour on conjectura sur l’idée de jouer Wagner à Jérusalem. Il en fut révulsé ».
« Il ne souhaitait pas expliquer pourquoi il ne retournerait plus jamais à Prague quand bien même les nazis, vaincus, s’en iraient »
Cet ouvrage imposant se distingue par une fantaisie graphique continue : utilisation occasionnelle de majuscule et d’italiques, pages miniaturisées…
Une lecture pas toujours aisée mais un ensemble finalement passionnant
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Orizons. Mai 2020. 764 pages. 29 €.