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Nissim Samuel Kakon. « Je remercie mes parents de m’avoir fait naître au Maroc ».

 

Natif d’Essaouira -Mogador-, Nissim-Samuel Kakon nous parle de son premier livre « Itinéraire d’un juif franco-marocain » Tome 1, paru aux éditions Auteurs du monde. Un ouvrage autobiographique où l’humour est omniprésent, et où l’auteur profondément attaché à son pays d’origine, apporte un témoignage d’émigration et d’intégration réussies d’un Juif marocain parti de sa ville natale au Maroc, pour la France dans les années 1960.

 Entretien réalisé par kawtar Firdaous

Comment a germé l’idée pour l’écriture de votre livre ?

L’idée ne m’est pas venue, elle s’est imposée à moi.  Le sentiment que tout homme a un jour le devoir de faire un bilan. Mais pour cela, il faut qu’il y ait une vraie rupture. L’âge est un curseur intéressant car il est des choses que nous ne pouvons plus repousser faute de temps qui nous est, à partir d’un certain moment, compté. En France, je n’aurai jamais pu écrire ce livre alors que les histoires sont essentiellement françaises.  Comme une sensation de ne plus être utile à rien et compris par personne.  Cela précipite la décision et le départ.

 

C’est un peu une déclaration d’amour pour votre pays d’origine, le Maroc ?

Parfaitement. C’est un peu cet amour d’enfance que l’on retrouve, souvent par hasard, bien des années plus tard et qui se révèle être l’authentique, le vrai. Alors on se dit qu’il n’est pas trop tard.  Et c’est un ravissement car l’idée n’est pas que l’on a raté quelque chose, mais l’on remercie le ciel de nous avoir épargné de le manquer in Fine. La fin étant ce qu’il y a, à mon sens, de plus important à réussir dans la vie, le timing était parfait. Je remercie mes parents tous les jours de m’avoir fait naître au Maroc.

 

Et votre pays d’accueil ? La France ?

Il y va des personnes comme des pays. Et l’on sent à un moment que le charme est totalement rompu et qu’il ne reste que des désagréments à éprouver.  C’est ce qui m’est arrivé avec la France. Une forme de coma affectif brutal.

 

Vous avez vécu plusieurs années en France avant de décider de revenir vous installer au Maroc (Agadir). Pourquoi ce choix ?

La France qui nous a accueilli voilà 65 ans, n’a plus rien à voir avec la France d’aujourd’hui. Cela n’exclut évidemment pas les remerciements que j’exprime à ce pays qui nous a beaucoup donné. C’était alors un pays moderne où les possibilités semblaient immenses ; un pays qui affichait sa personnalité et sa modernité courante, laquelle semblait ne pas connaître de limites.

C’est aujourd’hui un pays qui doute, engoncé dans de nombreuses contradictions, quelque peu désabusé, voyant des pays qui lui étaient longtemps inféodés voir inférieurs, prendre de l’assurance et parfois le doubler.  Néanmoins, la mélancolie française reste toujours celle des gens repus. Cela reste un pays riche et doté de grandes possibilités.

 

Vous êtes né à Essaouira, une ville connue dans le monde pour être un exemple de tolérance et du vivre ensemble entre plusieurs communautés de religions différentes (Festival des Andalousies Atlantiques, Festival Printemps des Alizés…). Comment voyez-vous cela ?

Je m’émerveille devant ce qu’est Essaouira aujourd’hui. C’est un exemple pour le monde. Lors d’un débat auquel j’avais assisté, lequel prenait place en marge du Festival des Andalousies Atlantiques, je m’étais émerveillé de la franchise des débatteurs qui évoquaient cash tous les sujets. Ce fût un ravissement devant tant d’intelligence et de fraternité. Je pensais que les idées qui étaient échangés alors avaient seules la force d’aider à résoudre des problèmes récurrents qui polluent la vie de millions de personnes depuis des dizaines d’années.  Essaouira peut représenter le laboratoire où se fabriquera la société multiculturelle et multi cultuelle idéale.  C’est une immense grâce du ciel que d’être né à cet endroit que je ne savais pas situer sur une carte pendant de longues années passées en France.

 

Deux personnages tour à tour emblématiques et récurrents traversent votre confession intime avec force : votre mère et le Maroc.

Si l’on peut identifier le Maroc à un personnage alors oui parfaitement. Mais, en fait ma mère et le Maroc c’est un peu la même chose. Le premier Ma Mère, que Dieu ait son âme, que je remercie au passage et tous les jours de m’avoir fait naître au Maroc, est la matrice qui a œuvré pour ma naissance. Et le Maroc, c’est la terre dans laquelle j’ai été pétri et qui me parle chaque fois que je la foule. Et, il en sera ainsi jusqu’au jour où je la rejoindrai pour me réamalgamer à elle, lui rendre de manière ultime le prêt qu’elle m’a fait d’une partie d’elle-même.

Nous ne sommes pas simplement nés sur une terre, mais nous sommes surtout et avant tout fait d’une terre à l’image d’Adam (qui signifie « terre – sang » au sens littéral « Adama-Dam » Et le jour où le dialogue entre nous et la terre que l’on foule se rompt, il nous faut vite la quitter et rejoindre notre terre d’extraction pour rétablir d’urgence un dialogue.

 

Croyez-vous au pouvoir de l’Art pour changer les choses là où le politique échoue ?

Malraux disait que « L’art c’est ce qui reste après la mort ». Outre que cette phrase est très belle, elle est parfaitement vraie.  L’art étant la plus belle preuve de ce que l’homme est seul capable, à travers lui, de créer cette forme de « Réalité augmentée » de la création divine. En quelque sorte de la compléter, de la parfaire. Mais je ne crois pas que l’art puisse changer ce que le politique échoue à réaliser.  L’art a la force de s’opposer mais n’a pas la capacité de gérer sans se dévoyer.

 

Vous avez travaillé à Air France avant de fonder votre entreprise. Pourquoi avoir bifurquer vers l’écriture ?

L’écriture ne suit pas la pente qui vous conduit après l’entreprise à moins d’écrire un traité d’économie. L’écriture ne peut jamais se substituer à l’entreprise ou plutôt au désir d’entreprendre. L’écriture c’est un choc qui vous y mène, ça n’est pas le besoin de gagner de l’argent qui peut en être le support.  Aujourd’hui, je continue d’entreprendre et l’écriture constitue une véritable respiration pour me permettre de continuer à entreprendre. Il n’y a pas de substitution de l’un par l’autre. Les deux se complètent parfaitement et l’un aide l’autre à le supporter.

 

Que pensez-vous du rapprochement Maroc-Israël ?

Je ne pensais pas assister à une pareille merveille de mon vivant. Cela confirme la pertinence, l’intelligence et la formidable capacité projective de notre souverain Mohammed VI, que Dieu l’assiste et le protège.  Je pense néanmoins que cela constituera un vrai choc car les deux pays sont radicalement différents. Connaissant les deux systèmes au plan culturel et économique, je suis persuadé que les deux pays ont énormément à s’apporter. Le Maroc donnera une profondeur à Israël qui en manque et Israël apportera son inégalable savoir-faire dans de multiples domaines dont le Maroc a terriblement besoin pour résorber certains de ses problèmes fondamentaux. Il faudra de la patience mais il va y avoir de l’ambiance. Et j’ai comme la sensation qu’avec ce rapprochement, le Maroc a allumé un gros moteur qui va faire de lui un pays qui va vraiment compter dans un avenir proche. La seule chose qui menacera le Maroc dorénavant, c’est la jalousie de beaucoup de pays qui n’ont pas eu le courage d’admettre que de nouvelles réalités ont émergées et que l’on ne peut impunément, sans insulter l’avenir, continuer à les ignorer.

 

Qu’est-ce que ce rapprochement pourrait changer pour les artistes d’origine juive ou pas ?

On ne compte plus depuis longtemps les artistes juifs qui ont façonnés les différentes disciplines artistiques au Maroc comme la musique, la peinture, la littérature etc…Bien souvent, on ignore d’ailleurs leur judéité. C’est normal, c’est un seul peuple. D’autant plus que les artistes Juifs ont souvent un caractère universel et n’ont pas eu en principe de frontières lorsque la force de leur art s’est avéré. L’art participe beaucoup à effacer les différences sociologiques. Evidemment dans le cadre d’un tel rapprochement, sur le plan formel, la diffusion d’un art est grandement facilitée.

 

Pourquoi avez-vous consacré un Tome 2 à ce récit intime tour à tour drôle et philosophique qui se nourrit de votre identité franco-marocaine et évoque votre retour au royaume chérifien ?

Le Tome 2 n’est pas exclusivement consacré au retour au Maroc. On y trouve des résurgences de ce malentendu que j’ai vécu avec la France à qui je dois beaucoup néanmoins mais que j’ai quitté avant qu’elle ne reprenne tout ce qu’elle m’avait si gentiment donné. Tout cela est confus. Le seul résultat tangible au cœur de toute cette histoire, c’est qu’il m’a fallu un peu plus de cinquante ans pour découvrir, hébété, que j’étais Marocain après avoir sciemment voulu l’ignorer. Et pour finir, j’ai enfin compris le caractère mosaïque dans lequel ce concept s’épanouit et dont je suis une composante à part entière.

 

 Des projets ?

Bien sûr, beaucoup de projets. Il y aura la sortie imminente d’un livre de cuisine en forme de bande dessinée qui associera Philosophie, Histoires et Recettes. C’est mon frère Joseph, Juif du Maroc né à Essaouira qui en a écrit les textes et inspiré les recettes. C’est une jeune femme née à Casablanca et vivant en Israël actuellement qui en a fait l’illustration. Donc 3 marocains de confession Juive qui vont sortir un livre de cuisine sous une forme totalement inédite.

A côté de cela, j’aide à la promotion d’un Souk à Agadir pour le faire accéder au commerce numérique. Je développe également en partenariat avec des amis une ligne de produits cosmétiques exclusivement marocains à base d’huile d’argan et de la merveilleuse herboristerie du Maroc.

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