La double vie de Jérémie
Agence France-Presse
Katia DOLMADJIAN
BNEI BRAK - Dans sa maison de Bnei Brak, fief ultra-orthodoxe près de Tel-Aviv, Jérémie Berrebi n'a pas internet et ses huit enfants n'ont jamais vu la télé. Il est pourtant un «serial entrepreneur» aux commandes d'un fonds d'investissement qui brasse des millions.
«Les gens me prennent pour un fou en permanence», s'amuse ce jeune homme volubile de 33 ans, kippa sur la tête et smartphone à portée de main.
«J'ai commencé à bosser à 16 ans et j'ai fondé ma première start-up à 19 ans. En 2009, j'étais actionnaire d'une vingtaine d'entreprises car j'adore m'associer à des projets», explique-t-il à des journalistes français à Tel-Aviv.
Début 2010, Jérémie lance avec un autre Français, Xavier Niel, patron d'Iliad (Free), un fonds d'investissement --Kima Ventures-- avec l'objectif d'investir dix millions d'euros en deux ans dans 100 start-up, spécialisées dans internet, le mobile, les médias ou encore les jeux vidéo.
«Aujourd'hui, un peu plus d'un an plus tard, Kima Ventures est une véritable holding qui a 94 boîtes à son actif. On investit sur tous les continents et nous recevons une dizaines de projets par jour. J'ai les pleins pouvoirs sur le fonds. Je gère tout seul et Xavier Niel me donne son feu vert. Ou pas», se flatte M. Berrebi.
Kima Ventures investit une moyenne de 100 000 euros par start-up pour l'aider à se développer, et prend entre 3% et 33% de son capital.
«Mais il n'est pas question d'investir dans le porno, le casino ou les jeux», insiste-t-il.
Le judaïsme: un mode de vie
Et d'évoquer lui-même sa «double vie»: «Je suis pratiquant depuis toujours et je fais des études talmudiques. On peut dire que j'ai le niveau d'un rabin français pour ce qui est des connaissances», se targue-t-il.
«Monté» en Israël en 2004 avec femme et enfants --il en a aujourd'hui huit, dont l'aîné a 9 ans--, Jérémie Berrebi s'est installé cinq ans plus tard à Bnei Brak, «qu'on appelle la ville (juive) la plus orthodoxe du monde».
«Nous n'avons pas d'ordinateur à la maison, pas d'internet, pas de télévision, j'ai juste un smartphone. On a le droit d'avoir un téléphone pour les besoins de son métier, même s'il existe aussi des téléphones casher qui ne permettent pas l'accès à internet», explique le jeune homme.
«On croit que le judaïsme c'est du folklore. Mais pas du tout. Au contraire, c'est très réglementé et ces règles s'appliquent à moi», martèle-t-il.
«Je me suis spécialisé dans le droit commercial au sein du judaïsme. Le judaïsme, ce n'est pas une religion mais un mode de vie, un idéal de vie pour moi, un mode d'emploi pour bien vivre en société», résume Jérémie.
Ce juif orthodoxe explique consacrer «certaines heures à ses enfants, d'autres à l'étude religieuse et le reste au travail».
Sa profonde religion et ses préceptes stricts le gênent-ils dans son activité professionnelle? «Certes, je ne peux pas serrer la main d'une femme, ni bien sûr rester seul dans une pièce avec celle qui n'est ni ma mère, ni ma femme ou ma fille. Cela choque des gens, c'est vrai, c'est un problème, mais c'est le seul problème que j'ai», se rassure-t-il.
Dans sa vie privée, Jérémie affirme «ne manquer de rien».
«On n'a absolument pas besoin de loisirs. Nous avons une énorme bibliothèque et mes enfants lisent deux livres par jour, c'est un autre univers. Et on n'est pas du tout dans un mode "ermite"».