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"Nous ne devons tuer que l’infidèle, pas le Dhimmi"

Ainsi donc, en cette belle journée de début juin 1830 un certain Jacob Tolédano était fort irrité. Il devait livrer un gros médaillon en or au fils d’un cheik de grande tente, dont les quartiers se trouvaient assez loin de la ville, et il ne savait pas comment s’y rendre.  L’âne qui lui permettait habituellement de se déplacer était mort la veille au soir et il n’avait ni eu le temps de le remplacer ni d’autres moyens de locomotion. Certes il y avait bien le cheval des voisins qui servait à transporter de lourdes marchandises, mais il lui était interdit, comme à tous les juifs, de l’utiliser. A pied, il en aurait eu pour plusieurs heures, or il était attendu de façon impérative en fin de matinée chez le cheik. Comment faire! 

Il se trouvait face à un dilemme. Reporter ou abandonner sa livraison avec le risque de voir sa réputation de commerçant sérieux entamée ou enfreindre la loi et emprunter le cheval. Avec crainte et une certaine appréhension il opta pour la seconde solution et monta sur le cheval. Se hisser sur un tel animal n’était pas plus compliqué que s’asseoir sur un âne. Il arriva sans encombre à bon port, tout en prenant la précaution de laisser le quadrupède à une certaine distance de la maison du cheik, il valait mieux ne pas attirer l’attention sur lui. Tout se passa bien, personne ne remarqua son stratagème.

Soulagé, sur le chemin du retour, il put découvrir des sensations qu’il ne connaissait pas : goûter le plaisir de chevaucher une monture noble, lui qui jusque là ne s’était laissé porter que par des ânes. Il happait l’air à pleins poumons avec une impression d’invulnérabilité absolue. Il imagina quelques instants être le maître des lieux, parcourant ses terres pour en mesurer les richesses. Il arriva un peu plus tard au bord d’un oued et laissa souffler le quadrupède. Malheureusement il revint à la triste réalité du moment lorsqu’il observa, sans malice, un groupe d’Arabes qui le dévisageaient de façon sévère. Ces derniers l’obligèrent à descendre de sa monture et lui donnèrent des coups de bâtons en l’insultant, lui le juif, qui s’était permis de monter à cheval.

Il tenta de se justifier en expliquant que c’était la première fois qu’il prenait un cheval, qu’en fait il voulait honorer dans les temps la commande du cheik Abdah qui vivait tout à côté. Rien n’y fit, le manant devait payer son impudence. Un des agresseurs, plus enragé que les autres, s’acharna sur la pauvre victime. Jacob supplia ses bourreaux, c’était peine perdu. La vie avait si peu de valeur pour ces gens là. Pauvre Jacob! Sa dernière heure était arrivée. C’est alors que la providence mit sur son chemin un arabe jeune, petit, barbu, au langage châtié, qui descendit de cheval et ordonna aux assaillants d’arrêter le massacre. « Assez, ce juif a eu sa leçon. Nous ne devons tuer que l’infidèle mais pas le dhimmi. »…« Qui est tu » questionna, arrogeant, celui qui semblait être le meneur… « Je suis Abdelkader, fils du Cheikh Mohieddine ».

Qui ne connaissait pas le Cheikh Mohieddine, le chef religieux de la confrérie soufie des Qadiriyya, respecté et apprécié pour sa sagesse. Son fils Abdelkader était lui aussi craint et respecté. Un jour il lui succèderait, il avait reçu pour ce faire une parfaite éducation religieuse à Oran dans l'école de Si Ahmad ben Khodia.  Avec son père, Abdelkader avait effectué en 1828 un pèlerinage à La Mecque dont il était encore tout imprégné. Il était très pieux, séduisant et d’une grande rigueur. Son intelligence remarquable et son éloquence, fleurie à la mode arabe, faisait grande impression sur son entourage.

Les malandrins stoppèrent leur forfaiture. On ne discute pas l’ordre d’un  homme qui côtoie le divin. Jacob remercia Abdelkader et s’éclipsa en abandonnant le cheval. De retour, il expliqua à son frère l’épreuve qu’il venait de subir:

« Pauvre Jacob, comment as-tu pu commettre une telle faute. Tu sais bien qu’il nous est interdit de monter à cheval. Nous sommes des dhimmi, l’aurais-tu oublié? »… «  Bien sur que non, d’autant qu’une telle mésaventure est déjà arrivée à un de nos ancêtres. Je l’ai lu dans le livre de la famille. En fait,  j’étais tellement préoccupé par cette livraison et inquiet de ne pas pouvoir l’assumer que j ai oublié cet interdit. Voila. Heureusement qu’il y avait cet homme, cet Abdelkader, il m’a sauvé la vie. Il y a donc des arabes justes et bons. »

« On parle beaucoup de ce jeune garçon, il a un peu plus de vingt ans. Il a grandi dans le village d’El Guet'na,  situé sur l’Oued el Hammam, tout près de Mascara. Il s’est montré sous un bon jour devant toi, c’est bien,  mais je sais qu’ils sont parfois, dans sa tribu, très cruels. Ils ont coupé en deux, au niveau du tronc,  plusieurs hommes avec lesquels ils avaient un lourd différent. Il faut donc rester sur tes gardes et ne pas te faire trop d’illusions. N’oublie pas, nous ne sommes que des dhimmis pour eux et ils nous méprisent trop pour respecter réellement ce que nous sommes. »

 

Extrait de 10 commandements, de Didier Nébot.

*Éditions Erick Bonnier. 504 pages. 22 €.

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