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La voie périlleuse de la conversion des musulmans au christianisme

par Daniel Pipes

En 2008, Joel Rosenberg écrivait : « Au cours des trente dernières années, et plus particulièrement durant ces sept à dix dernières années, le nombre de musulmans ayant adhéré à la foi en Jésus-Christ est plus important qu'à aucun autre moment de l'histoire de l'humanité » et depuis lors, le rythme n'a fait que s'intensifier. En 2016, Uwe Siemon-Netto confirmait qu'« un phénomène mondial est en cours : les musulmans se convertissent en masse à diverses confessions chrétiennes dans toutes les régions du monde ». Les missionnaires chrétiens ont même inventé un nom et une abréviation pour les désigner : les Muslim-background believers (croyants d'origine musulmane), abrégé en MBB.

À quoi ce phénomène est-il dû, quelle en est l'ampleur et avec quelles conséquences ?

Contexte

De tout temps, les conversions ont pratiquement toutes concerné des chrétiens devenus musulmans, et non l'inverse. Depuis 1400 ans, l'islam est l'« Hôtel California » des religions (« Vous pouvez arriver à tout moment mais vous ne pouvez jamais repartir ») car il interdit à ses adeptes de se déclarer athées ou membres d'une autre religion, ce qui du point de vue islamique revient au même. Cette attitude remonte aux origines de la religion (un hadith reprend cette parole de Mahomet : « Quiconque change de religion, tuez-le ») et à l'idée selon laquelle quitter l'Islam revient à rejoindre l'ennemi, une attitude qui équivaut à une trahison. De plus, le fait de vivre en vrai musulman comporte une dimension sociale puissante par laquelle le musulman contribue au maintien d'une communauté solidaire.

Mohammad Ali Taheri, fondateur du Mysticisme Inter-universel (Erfan-e Halghe), une version new age de l'Islam fondée en Iran.
En conséquence, les musulmans apostats sont partout confrontés au rejet de leur famille, à l'exclusion sociale et à la perte de leur emploi. En outre, dans les pays à majorité musulmane, leurs gouvernements sont en droit de les persécuter, les emprisonner, les torturer et les tuer. De tout temps, les musulmans sceptiques sont donc restés en grande majorité dans les limites imposées par l'islam. Les adeptes de nouvelles religions dérivées de l'islam (Druzes, Nosayri/Alaouites, Alévis, Babis et Bahaïs) en font de même au début et conservent longtemps une relation trouble avec lui. Ce schéma demeure valable aujourd'hui avec, à titre d'exemple, le Mysticisme Inter-universel (Erfan-e Halghe), une version new-age de l'islam fondée en Iran par Mohammad Ali Taheri.

En conséquence, au cours de l'Histoire, seul un petit nombre de musulmans sont devenus chrétiens. Selon une comptabilité établie par l'historien de l'Église David Garrison, les mouvements de conversion de musulmans vers le christianisme sont au nombre de 5 avant le XXe siècle et de 69 durant les seules 12 premières années du XXIe. Parmi les 5 premiers mouvements, certains se sont produits sous la contrainte ou dans l'espoir d'obtenir quelque avantage. Parmi eux, les plus importants concernaient les Morisques dans l'Espagne du XVIe siècle, pressés de se convertir par leurs maîtres catholiques. En de rares occasions, des communautés entières se sont converties par intérêt comme je l'ai expliqué précédemment :

    Dans la Russie du XVIIe siècle, une loi interdisant aux non-chrétiens de posséder des serfs a conduit à la conversion de riches Tatars, y compris les ancêtres de sommités telles que le musicien Sergueï Rachmaninov, le poète et historien Nicolas Karamzine et le romancier Ivan Tourgueniev. Vers 1700, certaines familles puissantes parmi les musulmans sunnites du Liban se sont converties au christianisme en vue d'accroître leur position sur le plan politique.

En 1831-1841, la domination égyptienne en Syrie fut une époque de conscription de masse où « chaque musulman syrien qui répondait aux conditions était recruté dans l'armée égyptienne ». Yvette Talhamy explique :

    La population locale n'acceptait pas cette situation. ... Alors que certains Syriens choisissaient de fuir le pays ou de se mutiler pour éviter la conscription, d'autres se tournaient vers les missionnaires et déclaraient leur volonté de professer le christianisme car, moyennant le paiement d'une taxe, les chrétiens étaient exemptés de la conscription. Les missionnaires protestants américains furent submergés de demandes d'acceptation des Druzes, entre autres, au sein de leur Église.

(Malheureusement pour les convertis, ce stratagème échoua car ils furent enrôlés « indépendamment de la nature réelle ou feinte de leur conversion. »)

Cette réticence a survécu jusqu'à récemment. En visite au Soudan en février 1972, j'étais en compagnie d'un missionnaire américain vivant à Khartoum depuis vingt ans, et qui enseignait et célébrait discrètement les offices dominicaux. Or pendant tout ce temps, il n'a gagné que cinq convertis, soit un tous les quatre ans. De même, dans un livre de 1984, Ten Muslims Meet Christ [Dix musulmans rencontrent le Christ] un missionnaire américain raconte l'histoire des maigres résultats engrangés par la mission en Iran.
 

Le nombre de convertis

On sait qu'il est difficile d'évaluer le nombre de MBB en raison de leur discrétion voire, de leur dissimulation. Et pourtant, il existe des estimations pour le moins surprenantes. Ainsi Duane Alexander Miller et Patrick Johnstone estiment le nombre total de MBB en 2010 à près de 10 millions, ce qui représente par rapport aux moins de 200.000 convertis cinquante ans plus tôt, une multiplication par 50. Les rapports de conversions massives de musulmans au christianisme proviennent de régions aussi diverses que l'Algérie, l'Albanie, la Syrie et le Kurdistan. Les pays comptant le plus grand nombre d'autochtones sont l'Algérie (380.000), l'Éthiopie (400.000), l'Iran (500.000 contre seulement 500 en 1979), le Nigéria (600.000) et l'Indonésie avec un nombre ahurissant de 6.500.000 (en raison de circonstances très particulières). Selon Andrew van der Bijl et Al Janssen, il y a « même des chrétiens à Médine et à La Mecque ».

En Égypte, selon une information que j'ai reçue d'une source copte, « un grand nombre de musulmans se sont convertis au christianisme après le soulèvement de 2011 et l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans. L'Église copte a qualifié le président islamiste Mohamed Morsi de « grand évangéliste » et a cessé de compter les convertis. Allez dans n'importe quelle église et vous y trouverez presque à coup sûr d'anciens musulmans, particulièrement des femmes. »

Plus fort encore, dans une interview devenue virale qu'il a accordée en décembre 2000 à la chaîne de télé Al Jazeera, le directeur du Phare des compagnons libyens pour les sciences de la charia (الشرعية للعلوم الصحابة منارة, Manarat as-Sahaba li'l-'Ulum ash-Shar' iya), Ahmad al-Qat'ani, a déclaré sans fournir de preuve que, chaque année, ce sont 6 millions de musulmans qui se convertissent au christianisme. Il a indiqué que la proportion de la population musulmane d'Afrique était passée de plus de la moitié à seulement un tiers et a évoqué la perspective d'une disparition de l'islam de l'Afrique subsaharienne. Peut-être a-t-il exagéré dans le but de récolter des fonds mais les chiffres qu'il a fournis ont connu une large diffusion.

Le très révérend Dr Guli Francis-Dehqani, évêque anglican de Chelmsford, en Angleterre.
On trouve également des MBB en Occident. Les États-Unis sont de loin leur principal pays d'accueil (450.000). En Europe, on les trouve surtout en Bulgarie (45.000). Depuis 2014, la cathédrale de Liverpool accueille une célébration hebdomadaire en langue persane (appelée « Sepas ») dirigée par un diacre d'origine musulmane. L'évêque anglican de Chelmsford, en Angleterre, est née en Iran et est la fille d'un converti. À Berlin, les conversions musulmanes ont fait passer la congrégation Evangelisch-Lutherischen Dreieinigkeits-Gemeinde de 150 à près de 700 membres en seulement deux ans. De nouvelles institutions ont été fondées comme le Pars Theological Center à Londres, qui existe depuis 2010 « pour équiper et mobiliser l'Église iranienne en formant une nouvelle génération de ministres aptes à diriger l'Église et à transformer le monde persanophone pour la gloire de Dieu. »

De ces chiffres approximatifs et contradictoires on peut déduire que personne n'a une idée précise du nombre de musulmans convertis au christianisme mais que l'ampleur du phénomène est grande, ce qui réjouit les chrétiens. Enthousiaste, Joel Rosenberg déclare que « l'Église est vraiment ressuscitée sur les terres qui l'ont vu naître ».
Pourquoi les musulmans deviennent chrétiens

Duane Miller observe que « les convertis de l'Islam au Christ sont souvent éloignés de l'islam autant qu'ils sont attirés par le Christ ou le christianisme. » Si on ne considère ici que les facteurs qui poussent les musulmans spécifiquement vers le christianisme, on constate que la liste est longue.

Les rêves et les visions, en particulier de Jésus, attirent probablement environ un quart des MBB. Mike Ansari, un Iranien converti, indique que de nombreuses personnes « ont en fait des rêves et des visions à propos d'un homme brillant vêtu de blanc bien avant que nous ne leur parlions de Jésus ». Dabrina Bet Tamraz note que les convertis iraniens se demandent souvent les uns aux autres : « Avez-vous vu l'homme vêtu de blanc, avez-vous vu Jésus ? » Au Pakistan, le chef d'une église presbytérienne a constaté que les imams afghans parcouraient des centaines de kilomètres pour venir étudier la Bible avec lui. Lorsqu'on lui a demandé ce qui les avait motivés, le ministre a répondu : « Ce sont les rêves ! Le Christ leur est apparu dans leur sommeil et leur a enjoint de venir ici pour entendre la vérité. » Au Colorado, le pasteur George Naeem qui donne des cours en arabe sur la radio et Internet rapporte que « pratiquement tous [ses élèves] sont venus à la suite de rêves. »

Michael Stollwerk (qui ne souffle pas dans le cor des Alpes).
Michael Stollwerk raconte ce qui lui est arrivé un jour, après un office célébré à la cathédrale de Wetzlar au nord de Francfort : « Je me tenais à la sortie, dans ma tenue de célébrant, en train de saluer les fidèles, quand une femme voilée s'est approchée de moi. J'ai tâtonné dans ma poche pour trouver mon portefeuille, pensant qu'il s'agissait d'une mendiante. « Non, non, a-t-elle dit, j'ai seulement une question : êtes-vous l'imam ici ? » J'ai répondu : « Eh bien, d'une certaine manière, oui, je suis le pasteur. » Elle a poursuivi : « Dans ce cas, vous êtes la bonne personne. Dieu m'a commandé dans un rêve d'aller à la grande église sur la Grand-Place et de demander la vérité à l'imam ». » Elle a été baptisée quelques mois plus tard. Siemon-Netto, qui raconte ces histoires, poursuit :

    Ensuite, j'ai entendu le même genre d'histoire de la part d'un théologien luthérien chez qui des imams se rendaient, en Égypte, au milieu de la nuit par une porte dérobée, dans le même but. J'ai entendu une histoire similaire de la part d'un missionnaire catholique qui avait travaillé en Algérie, d'un baptiste dont les visiteurs surprises lui avaient dit que le Christ leur était apparu dans leurs tentes en Arabie Saoudite. Un prêtre anglican a parlé de centaines de femmes persanes qui s'étaient mises, à la suite de rêves, à assister à des cours clandestins d'étude de la Bible à Téhéran. À Berlin, le pasteur Gottfried Martens a estimé qu'au moins les deux tiers de ses convertis persans et afghans avaient suivi les instructions d'un « personnage de lumière » se présentant lui-même comme le Jésus de la Bible chrétienne et non comme le « Isa » du Coran.

Nabeel Qureshi, un MBB pakistanais, a expliqué ce procédé commun en se référant à l'islam : « Les rêves sont le seul moyen par lequel le musulman moyen espère entendre Dieu de façon directe. »

Les musulmans suffisamment ouverts d'esprit pour lire la Bible ont tendance à être impressionnés par le contraste qu'elle présente avec le Coran, en particulier l'accent qu'elle met sur l'amour. Wasef explique : « Quand ils lisent la Bible, [ça] les change tout de suite. C'est mieux que n'importe quel discours ou débat. Quand je m'assois pour parler avec [les musulmans], tout ce que je dis vient de la Bible. »

Il existe chez les musulmans un sentiment répandu qui est même étayé par des études scientifiques financées par des musulmans et selon lequel les chrétiens se comportent mieux que les musulmans et, paradoxalement, de manière plus islamique. Dans une interview de 2014 vue plus de 400.000 fois sur YouTube, une femme complètement masquée et qui se donne le nom de Shadya Sabir Hussein déclare publiquement à la télévision égyptienne qu'elle « déteste l'islam » et qu'elle envisage de devenir chrétienne à cause de tous les meurtres commis par des musulmans. Un universitaire irakien a constaté que les problèmes en Irak ont amené « beaucoup de nos jeunes à se convertir au christianisme, après avoir qualifié l'islam de religion terroriste ». La crise algérienne des années 1990 a eu un impact similaire : tous ces morts au nom de l'islam ont conduit beaucoup de gens à déclarer que « le christianisme c'est la vie, l'islam c'est la mort ».

Par sa brutalité effrénée, l'État islamique en Irak et en Syrie (EI) a renforcé cette tendance. Omar, administrateur d'une Église protestante, témoigne que « la plupart des frères ici se sont convertis ou sont venus à l'église à la suite de ce que l'EI leur avait fait à eux et à leurs familles ». En 2016, Jasim, un mécanicien, a été emprisonné par l'EI pendant six mois parce qu'il ne connaissait pas les notions élémentaires de l'islam. Durant cette période, l'EI l'a contraint à lire le Coran et l'a torturé : « Après avoir vu de mes propres yeux leur brutalité, j'ai commencé à être sceptique quant à ma croyance. » En visitant une église, « il ne m'a pas fallu longtemps pour découvrir que le christianisme était la religion que je cherchais. »

Les questions relatives à la paix et la violence occupent une place importante dans les histoires de conversion. Mark Durie m'informe : « D'après mon expérience, de nombreux musulmans de pays à majorité musulmane sont tout à fait traumatisés et la paix intérieure est un thème constant. » Le ministre iranien du Renseignement, Mahmoud Alavi, l'a confirmé en citant les motivations des convertis : « Nous recherchons une religion qui pourrait nous apporter la tranquillité d'esprit. » Sadegh, devenu Johannes, a commencé à douter de sa foi alors qu'il étudiait à l'université en Iran : « J'ai découvert que l'histoire de l'Islam était complètement différente de celle qu'on nous avait enseignée à l'école. Peut-être, pensais-je, était-ce une religion qui a commencé par la violence ? Or, une religion qui a commencé par la violence ne peut pas conduire les gens à la liberté et à l'amour. Jésus-Christ a dit 'ceux qui utilisent l'épée périront par l'épée.' Cela m'a vraiment fait changer d'avis. »

Le contact personnel avec des chrétiens qui vivent dans la droiture joue fréquemment un rôle dans les histoires de conversion. Mohammad Eghtedarian est resté six jours chez un prêtre qui a saisi l'opportunité pour lui poser la question qui a changé sa vie : « Avez-vous la paix et la liberté en Islam ? »

Viennent ensuite les raisons pratiques de la conversion. Le retard qu'accusent l'Islam et les musulmans par rapport au reste du monde incite certains musulmans à vouloir aller de l'avant en adhérant au christianisme, une démarche qui leur donne l'impression de rejoindre le camp de la modernité.

Enfin, la conversion peut être entreprise dans l'espoir d'un gain matériel. Le Daily Telegraph de Londres rapporte qu'au Liban, certains « Rice Christians » [« chrétiens de riz », en référence aux personnes pauvres des pays de mission, notamment asiatiques, qui se convertissent pour pouvoir obtenir de la nourriture de la part d'associations chrétiennes, NdT] « disent s'être convertis pour bénéficier de l'aide généreuse distribuée par des œuvres caritatives chrétiennes ». Le quotidien raconte aussi l'histoire d'Ibrahim Ali, un Syrien tombé dans la pauvreté et à qui l'Église anglicane de Dieu située dans un faubourg de Beyrouth a offert « un lit, deux repas chauds par jour et une petite allocation mensuelle, à condition qu'il accepte d'assister à leurs sessions hebdomadaires d'étude de la Bible. » Ali explique qu'à l'instar d'autres personnes, il s'est converti pour des raisons pratiques.
Observations

Le Père Zakariya Botros.
Trois réflexions sur le processus de conversion. Premièrement, bien que certains porte-parole chrétiens (Zakariya Botros, Jay Smith et David Wood) critiquent l'islam, cela n'a qu'une utilité limitée pour attirer les musulmans. Jill Nelson paraphrase Wasef : « Les débats publics entre musulmans et chrétiens ne sont pas des outils efficaces pour le ministère et, en règle générale, la littérature chrétienne s'avère elle aussi inefficace... Les déclarations comme celles qui ont été tenues par d'éminents dirigeants évangéliques qualifiant l'islam de "mauvais" et critiquant Mahomet ont également tendance à éloigner les musulmans du christianisme. » Victor Atallah de la Middle East Reformed Fellowship abonde dans le même sens : « Nous devons faire attention à ne pas stigmatiser Mahomet mais nous devons également veiller à ne pas l'excuser. »

Deuxièmement, les actions missionnaires traditionnelles des Occidentaux telles que l'éducation et le soin aux malades, jouent un rôle étonnamment mineur dans les conversions. Des émissions de radio et de télévision, dont certaines fondées et dirigées par des MBB, les ont largement remplacées, notamment Radio Monte Carlo, SAT-7 International, METV, High Adventure Ministries, Voice of Christ Media et Middle East Reformed Fellowship. Un journal algérien a expliqué le rôle de ces stations en Kabylie, la région d'Algérie comptant la plus grande densité de Berbères (ou Amazighs) :

    Les fidèles que nous avons rencontrés nous ont confirmé que l'information avait, à leurs yeux, un rôle important dans la défense des doctrines chrétiennes. Comme Saïd – qui a avoué écouter beaucoup Radio Monte Carlo et particulièrement ses émissions populaires en amazigh. Quant à Slimane, il déclare que « 80 % des raisons qui m'ont amené au christianisme venaient de Radio Monte Carlo ». Il existe également d'autres stations de radio telles que « Miracle Channel » (SAT-7) et la plupart des fidèles ont confirmé qu'ils écoutent ces stations qui diffusent le message chrétien à travers le monde.

Les stations spécifiques à un pays, telles qu'Aghapy TV pour l'Égypte ou Elam Ministries, Iran Alive Ministries, Mohabat TV et Nejat TV pour l'Iran, ont également un impact substantiel. Ansari explique à propos de Mohabat TV : « Il semble qu'environ 16 millions d'Iraniens au cours des 12 derniers mois ont regardé un ou plusieurs de nos programmes sur la télévision par satellite et également sur leurs appareils mobiles. Cela correspond à environ 20 % de la population iranienne. »

Troisièmement, si les missionnaires étrangers ont fourni l'étincelle initiale, ce sont les MBB qui œuvrent en grande partie à l'évangélisation actuelle des musulmans. Dans sa région d'origine, le christianisme a retrouvé son dynamisme parmi les croyants.
Fraudes à la conversion

Certains musulmans se convertissent pour des raisons tactiques et pratiques notamment pour faciliter leur émigration vers l'Occident. Un pasteur de l'Église de Dieu, Said Deeb, cite des musulmans prêts à tout lui disant : « Baptisez-moi et je croirai en celui qui m'aidera à partir d'ici. » La radio publique nationale reprend les mots de Åžebnem KöÅŸer Akçapar de l'université Koç d'Istanbul en disant que « seuls certains des réfugiés sont de véritables convertis. Les autres invoquent la persécution religieuse comme un moyen pour se rendre en Occident. » Aiman Mazyek, chef du Zentralrat der Muslime [Conseil central des musulmans] en Allemagne, réagit avec beaucoup de scepticisme quant au nombre croissant de musulmans convertis au christianisme.

En Occident, la conversion présente deux avantages. Elle peut faciliter l'autorisation de séjour car les gouvernements (qu'importe leur neutralité théorique) favorisent parfois les migrants chrétiens et elle rend le rapatriement plus difficile en mettant les migrants en danger de persécution chez eux pour avoir abandonné l'Islam. Comme le souligne Volker Kauder, un dirigeant de l'Union démocrate-chrétienne : « Une fois que quelqu'un a renoncé à l'islam, qu'il se soit ou non sincèrement converti au christianisme, il peut être poursuivi pour apostasie. Lorsqu'il s'agit de persécution politique, ceux qui persécutent ne se soucient pas de l'authenticité d'une conversion. »

Flyers en persan et en allemand sur les bancs de l'Evangelische-Lutherische Dreieinigkeitskirche à Berlin, septembre 2016. © Daniel Pipes.
En conséquence, les motivations spirituelles s'avèrent douteuses chez plus d'un converti. Rick Robinson de l'Église pentecôtiste unie de Turquie accepte que nombre de ses fidèles ne viennent pas à lui comme des croyants tout à fait sincères : « Il pourrait même y en avoir qui entreprennent ces démarches en vue simplement d'obtenir le statut de réfugié. » Gottfried Martens, le pasteur persanophone de l'Evangelisch-Lutherische Dreieinigkeitskirche à Berlin, reconnaît ne pas pouvoir distinguer entre les convertis authentiques et les convertis pour raisons tactiques : « Je sais qu'il y a – encore et toujours – des gens qui viennent ici parce qu'ils nourrissent une sorte d'espoir concernant leur demande d'asile. » Vesam Heydari, un membre de cette église confesse que « la majorité des Iraniens vivant ici ne se convertissent pas par conviction. Ce qu'ils veulent, c'est tout simplement rester en Allemagne. » La congrégation du révérend Hugo Gevers à Leipzig est composée pour un tiers d'anciens musulmans iraniens. Il admet que « dans certains cas, nous avons été profondément déçus. Nous les avons soutenus pendant des années, tout au long de leur procédure, jusqu'à ce qu'ils obtiennent une réponse positive et se séparent de nous le jour-même. » Cependant, il fait remarquer que le nombre de conversions totalement simulées est faible surtout depuis que les pasteurs ont adopté des protocoles destinés à identifier les simulateurs.

Plus largement, il ne faut pas surestimer le nombre de fraudeurs. Martens de Berlin observe qu'« il y a en ce moment en Iran un véritable réveil chrétien aux dimensions assez importantes. Les gens qui viennent chez nous ont déjà eu des contacts avec des églises de maison et ont dû fuir à cause de cela ».
Accusations musulmanes

Joel Rosenberg observe que, face à « cette progression du christianisme » qui les inquiète, « les dirigeants musulmans deviennent nerveux et dépités ». Focalisés sur les fausses conversions, ils accusent tous les convertis de changer de religion par intérêt personnel, qu'il s'agisse d'obtenir un financement, un travail ou un visa. Cette façon de voir les choses présente l'avantage commode de discréditer les MBB tout en s'exonérant de toute responsabilité. De telles accusations sont particulièrement courantes en des lieux comme le nord de l'Irak et l'Algérie, où les conversions de Kurdes et de Berbères sont particulièrement élevées.

Peu de temps après l'invasion de l'Irak menée par les États-Unis en 2003, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, Abdullah al-Turki, a averti que des « organisations non musulmanes » (c'est-à-dire des missionnaires chrétiens) étaient entrées en Irak « pour entreprendre leurs activités sous couvert d'aide humanitaire » et a mis en garde contre « les dangers qu'elles représentent pour les musulmans ». Ahmed al-Shafie de l'Association des universitaires musulmans de Souleimaniye, en Irak, a dénoncé un prétendu afflux clandestin de missionnaires chrétiens : « Nous condamnons fermement cet acte scandaleux commis contre l'islam et les musulmans et qui démontre la présence de petites mains agissant dans l'ombre et selon des agendas étrangers en vue de détruire la société de ce pays. » Une autre personnalité musulmane de Souleimaniye a réitéré cette accusation en 2007 : « Les missionnaires exploitent la situation économique difficile que connaissent ces régions où les jeunes sont au chômage et presque déprimés. Dans certains cas, les jeunes veulent aller à l'étranger et [la conversion au christianisme] est un moyen facile de réaliser leur rêve car ils peuvent dire qu'ils sont menacés et qu'ils ont besoin d'un endroit où ils seront en sécurité. »

Mohamed Aissa, membre du ministère algérien des Affaires religieuses.
En 2006, un responsable du ministère algérien des Affaires religieuses, Mohamed Aissa, a affirmé que les missionnaires chrétiens séduisent les musulmans locaux avec ce genre d'offres et « profitent du désarroi des jeunes pour les convertir ». (Il a également noté que « de nombreux jeunes se sont repentis et sont retournés à l'islam. ») La même année, le gouvernement algérien a fait adopter une loi condamnant toute personne qui « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion » à une peine de 2 à 5 ans de prison et à une amende de 5000 à 10.000 €. En vertu de cette loi, deux musulmans convertis au christianisme ont été condamnés en 2008 à deux ans de prison et 5000 € d'amende pour « prosélytisme et exercice illégal du culte non musulman ».

La vie en tant que chrétien

Gagner des MBB constitue la moitié de la bataille. Les amener à rester chrétiens en constitue l'autre moitié. Une étude menée par Julia Sianturi sur les personnes retournées à l'islam en Indonésie a révélé plusieurs facteurs motivant leurs actions :

    Un fort attachement à leur famille et de profondes racines islamiques semblent être les principales causes de leur décision de retourner à l'islam. La discrimination de la communauté environnante et la divinité de Jésus pourraient avoir une certaine influence dans leur prise de décision. Et leur déception envers l'éthique pastorale soulève une inquiétude en raison de ses effets sur la manière dont les MBB perçoivent l'Église et le christianisme.

Ces difficultés sont si grandes qu'Andrew van der Bijl et Al Janssen reconnaissent qu'« au moins la moitié des musulmans convertis [au christianisme] retournent à l'islam ». Pour faire face à ce problème, Duane Miller a écrit un livre proposant des idées en vue d'obtenir un nombre sans précédent de MBB au moyen « d'une nouvelle maison accueillante ».

Les convertis qui demeurent chrétiens sont confrontés à plusieurs choix difficiles :

1. Passer leur conversion sous silence en gardant un secret absolu et en continuant à vivre sous l'apparence et les habitudes de musulmans. Nelson observe que nombreux sont ceux qui portent encore « des vêtements musulmans traditionnels pour éviter les conséquences de leur conversion ». Dans certains cas, ils conservent même la multitude de coutumes et rituels islamiques. Mais ceux qui adoptent cette attitude souffrent d'une profonde solitude et d'un sentiment d'échec moral. La pression peut devenir insupportable.

2. Annoncer son changement de religion (ou se confier à un proche ou à un ami qui, indigné par la nouvelle, trahit la confiance du converti), ce qui amène les MBB à voir leur vie chamboulée. Ils subissent des pressions incessantes et parfois violentes de la part de la famille, de la société et des autorités, un sentiment d'isolement et la perte de leurs revenus. Ils ne peuvent pas abandonner leur identité musulmane. Ils peuvent être soumis de force à un traitement pour maladie mentale. Lorsqu'un seul des deux conjoints se convertit, le mariage peut être rompu et le contact avec les enfants perdu. Dans les pays à majorité musulmane, les autorités refusent généralement de reconnaître les conversions hors de l'islam, piégeant légalement les MBB en tant que musulmans. Les femmes converties qui ne peuvent épouser que des coreligionnaires musulmans, étant donné que leur carte d'identité les renseigne comme musulmanes, sont limitées dans leur possibilité d'épouser des hommes MBB. Paradoxalement, les chrétiens de naissance évitent les MBB et les églises établies les rejettent, craignant d'être accusés d'avoir participé à leur conversion et d'être châtiés en conséquence. Comme l'a dit un prêtre en des termes cruels, les convertis « doivent garder le silence sur leur croyance en notre Seigneur, sinon nous en pâtirons tous ».

3. Déménager dans une autre ville pour prendre un nouveau départ comme des chrétiens de naissance signifie abandonner la famille, nouer de nouvelles relations sociales et gagner sa vie tranquillement tout en vivant constamment dans la crainte d'être reconnu ou dénoncé.

4. Émigrer vers des pays à majorité non musulmane, solution idéale en apparence mais en apparence seulement. Au-delà des contraintes liées à l'organisation d'une nouvelle vie, en général avec l'apprentissage d'une nouvelle langue, la pression islamique peut continuer sans relâche même là-bas. Certains MBB craignent toujours les autorités de leur pays d'origine et vivent donc dans « une atmosphère plombée par une suspicion quasi-généralisée ». Un converti observe que « l'une des personnes présentes à l'intérieur de l'église pourrait être l'un d'entre eux. » En conséquence, « les réfugiés veillent à garder leurs distances les uns par rapport aux autres et ne révèlent jamais d'informations sur leur situation ou sur les détails de leur vie dans leur pays d'origine ». Les femmes quant à elles, sont confrontées à des problèmes particuliers. Comme le note le European Centre for Law and Justice (Centre européen pour le droit et la justice) à propos de la France, « une part significative des femmes converties sont menacées d'être mariées de force, envoyées dans le pays d'origine de leurs parents ou encore séquestrées aussi longtemps qu'elles ne reviendraient pas à l'islam. Dans des cas peu fréquents mais de moins en moins rares, les convertis sont lynchés, voire tués par des islamistes. » Ainsi se perpétuent la peur et la solitude.

Conclusion

Les conversions volontaires et réelles de musulmans au christianisme constituent une nouveauté historique, une nouveauté qui modifie une situation très ancienne de déséquilibre dans laquelle l'Islam a presque tout le temps ravi des croyants au christianisme. Ce revirement pourrait avoir d'importantes répercussions sur l'image que les musulmans ont d'eux-mêmes et de leur religion. La confiance traditionnelle produite par les conversions à sens unique ne tient plus. Y aura-t-il autre chose pour la remplacer, ou cette vulnérabilité sapera-t-elle la confiance des musulmans ? Les implications sont profondes.

Quant aux conversions au christianisme, elles s'inscrivent dans un mouvement plus large d'éloignement par rapport à l'islam, un mouvement qui comporte également la conversion à d'autres religions (en particulier le zoroastrisme chez les Kurdes et l'hindouisme chez les Indiens mais aussi le judaïsme et le bouddhisme qui attirent des convertis) ainsi que l'adoption du déisme et de l'athéisme. L'ensemble de ces tendances similaires constitue un phénomène rarement observé mais significatif qui contrecarre un autre phénomène abondamment commenté, celui de la poussée islamique de ces cinquante dernières années. En effet, le mouvement de conversion pourrait même réduire cette poussée à néant.

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