Juifs marocains aux Pays-Bas : entre l’étoile verte et bleue
C’est un sujet qui revient avec persistance dans les médias et chez les hommes politiques néerlandais : les jeunes Marocains qui insultent ou menacent des Juifs aux Pays-Bas. En particulier Geert Wilders et son Parti pour la liberté PVV demandent que de sévères mesures soient prises contre "la terreur que les Marocains exercent dans la rue". Comment est-ce d’être à la fois Juif et Marocain aux Pays-Bas ? "Mon fils n’ose pas dire que je viens du Maroc."
Jannie Schipper et Mohammed Amezian, Hilversum
Victor Bohbot, 56 ans, a vu changer l’atmosphère au fil des ans. "Quand je suis arrivé ici, en 1974, les Pays-Bas étaient pro-israéliens, dit-il. En tant que soldat dans l’armée israélienne, j’avais rencontré des chauffeurs de camion qui étaient venus en Israël comme volontaires."
Jusqu’à une date récente, Victor gérait des restaurants dans plusieurs villes des Pays-Bas : Amsterdam, Deventer et Bussum. En 1984, il retourne "définitivement" en Israël avec sa famille. Mais quatre ans plus tard, ils sont de nouveau aux Pays-Bas. "C’est difficile. Qu’est-ce que vous êtes ? Pour les Néerlandais, je reste un étranger, mais je ne suis pas non plus un vrai Israélien ou Marocain."
Détour
Dans la rue, l’étoile de David que Victor porte autour du coup suscite de nombreuses réactions. "Tout récemment encore j’étais dehors. Voilà qu’arrive un groupe de garçons de 14 ou 15 ans." Victor les salue alors en marocain et ils font aussitôt machine arrière. "Quand ils voient que je parle l’arabe, il n’y a plus aucun problème. Mais le regard qu’ils me jettent…" Ces dernières années, selon Victor, de nombreux Juifs marocains vivant en France ont émigré en Israël. "Il y a bien plus d’incidents en France. Les gens ne se sentent pas en sécurité. Je connais quelqu’un qui fait la navette toutes les semaines. Il a envoyé sa famille vivre en Israël mais lui-même travaille encore à Paris."
Victor Bohbot ne pense pas que les choses en arriveront là aux Pays-Bas. "La communauté juive néerlandaise est bien plus petite et moins visible", poursuit-il. S’il ne laisse jamais, pour des raisons de sécurité, son étoile de David à la maison, par contre il ne met sa kippa qu’en entrant dans la synagogue. "Ça ne sert à rien de provoquer. Quand je vois arriver un problème, je préfère faire un détour. Mon frère trouve cela lâche, il répond à tous ceux qui osent lui faire une remarque."
"Je suis l’un d’eux"
Jacob al-Malagh, un garagiste juif marocain de 47 ans, a beaucoup affaire à des Néerlandais d’origine marocaine. "70% de mes clients sont des Marocains, dit-il. Je fais du commerce avec des Marocains, il y a des Marocains qui travaillent pour moi." Il rencontre les membres de la petite communauté juive marocaine – de 50 à 100 membres – à la synagogue et les jours de fête.
Selon Jacob, ses liens avec Israël n’ont jamais posé aucun problème durant les 26 années qu’il a vécu aux Pays-Bas. "Les Marocains me considèrent comme l’un d’eux." Et les Néerlandais ? "Les uns comme Israélien, les autres comme Marocain, Juif ou Hollandais, poursuit Jacob. Ça m’est égal."
Mauvaise réputation
Les hommes politiques comme Geert Wilders ne font qu’accroître le problème, pensent Victor et Jacob. "Wilders a des idées extrêmes. Il n’est pas du tout pro-israélien, il ne vise que la politique intérieure", poursuit Victor. Quant à Jacob, il reste loin de la politique : "Dès que quelqu’un se met à parler de Juifs ou d’Arabes ou de musulmans, je dis : Désolé, mais je ne m’en mêle. Ce que font les autres, c’est leur problème. Je vis aux Pays-Bas et je veux vivre en paix avec tout le monde."
Victor remarque que son fils et sa fille ne veulent rien savoir de la patrie de leurs parents. "Mon fils n’ose pas dire que son père est Marocain. Les Marocains qui vivent aux Pays-Bas ont une mauvaise réputation, il ne veut pas en faire partie. Mais je n’oublie jamais d’où je viens. Comme disait mon grand-père : si on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas non plus où l’on va."