Les hypothèses infinies. Journal (1936-1962), par Albert Memmi
Jean-Pierre Allali
Spécialiste reconnu de la littérature judéo-maghrébine, Guy Dugas a, pendant de longues années, entretenu des relations très amicales avec Albert Memmi. Il fut l’un des rares à avoir accès aux archives très personnelles du « Franz Fanon juif de la Tunisie », notamment à son « garde-manger » où il entassait les documents les plus divers et les brouillons à ne pas jeter.
Le journal dont il nous propose la première partie (1936-1962), est véritablement monumental : 85 ans de notes, de réflexions, de souvenirs… Il a été conservé tel quel avec les ratures, l’orthographe, la ponctuation et les manques caractéristiques de ce genre de document. Il intéressera en premier lieu les chercheurs, mais aussi tous les amateurs de la littérature judéo-tunisienne.
Tout sur Memmi ou presque. Pour ne pas oublier un grand parmi les grands.
Né à Tunis le 15 décembre 1920, au 4, impasse Tronja dans le quartier juif de la Hara, Albert Memmi s’est éteint à Paris, le 22 mai 2020. Il allait avoir cent ans.
Fils de François Memmi, bourrelier, et de Marguerite Sarfati, il a passé son enfance et son adolescence dans son pays natal avant de s’installer à Paris.
Considéré à juste titre comme le plus grand écrivain juif contemporain d’Afrique du Nord, il aura incontestablement marqué son époque.
Juif et Arabe, romancier et essayiste, Tunisien et Français, Albert Memmi nous a offert, au fil des ans, de savoureux romans comme La statue de sel (Éditions Corréa, 1953 puis Gallimard, 1963 et Folio, 1972), préfacé par Albert Camus, Agar (Éditions Corréa, 1955 puis Gallimard, 1983 et Folio, 1991) ou Le Pharaon (Éditions Julliard, 1988), et s’il s’est essayé à la poésie avec Le Mirliton du Ciel ( Éditions Julliard, 1990) et Les coplas du jeune homme amoureux (Éditions Alain Gorius, 2013), l’essentiel de son œuvre se concentre sur ses portraits, désormais objets d’enseignement et de recherche dans de nombreuses universités d’Afrique du Nord, du tiers monde, d’Europe et d’Amérique.
Albert Memmi, qui, par extraordinaire, a fait partie du Bureau de recrutement des travailleurs juifs quand l’obligation a été faite par les Allemands à la communauté juive de fournir des contingents de travailleurs forcés, a connu tous les rouages du système. Puis, il a décidé de partir de lui-même dans un camp pour partager la destinée misérable des hommes pris dans l’enfer des camps de travail.
Lorsque les gendarmes frappent à la porte des Memmi, c’est par chance, l’ouvrier italien de François Memmi qui leur ouvre la porte. Les gendarmes repartent en s’excusant. Albert a gagné une nuit mais, le lendemain, par solidarité, il décide de faire son sac et de rejoindre ses compagnons de misère.
Albert Memmi a été récompensé par de nombreux prix. En 2004, l’Académie Française lui a décerné le Grand Prix de la Francophonie.
Témoin privilégié de son temps, Albert Memmi aura été un grand, un très grand, une force de la destinée.
Cette première partie de son journal intime, « une édition génétique et critique » complète agréablement ce que l’on savait de lui. On attend avec intérêt la seconde partie (1963-2016).
Jean-Pierre Allali
(*) Édition établie et annotée par Guy Dugas. CNRS ÉDITIONS. Janvier 2021. 1440 pages. 45 €.