Dix plaies pour dix commandements
Mon grand-père et maître zatsal [il s’agit du ‘Hiddouché haRim] enseignait : « Si l’Egypte a été frappée de dix plaies, ce fut dans le but de retirer l’écorce et l’ombre qui entouraient alors les dix paroles (Assara Maamarim) par lesquelles le monde fut créé et de métamorphoser celles ci en dix injonctions (Assara Diberot) ». Dans ce monde-ci en effet, nous est caché le fait que le fondement de son existence lui vient des lettres de la Torah elles-mêmes avec lesquelles il fut créé. Tel est le sens de la Michna (Pirké Avot, chapitre 5, Michna 1) qui enseigne : « ‘D.ieu a créé le monde en dix paroles (…) afin de punir les scélérats qui détruisent le monde créé en dix paroles et de récompenser les justes qui soutiennent un monde créé en dix paroles’ ». S’il est dit que les Justes (Tsadikim) soutiennent le monde, c’est dans la mesure où ils sont les seuls à connaître la valeur réelle de ce monde. En effet, attachés à la racine cachée de l’existence d’où tire son origine notre monde créé en dix paroles, ils sont capables d’en dévoiler la raison profonde.
Voilà pourquoi nos Patriarches (Avot) parvinrent à dévoiler la Présence divine au coeur même de la création. Inversement, s’il est dit que les méchants « détruisent le monde », c’est précisément parce qu’ils n’accordent leur créance qu’aux forces de la nature seulement, qu’ils s’arrêtent à la dimension dévoilée du monde, et qu’en ce sens, ils n’y voient que les limites (MéTSaRiM de même racine que le nom MiTSRaïM). Car dans son essence même, la nature constitue l’expression voilée de la Parole divine, ainsi que mon grand-père l’a dit quand il a expliqué que le monde (Olam) porte ce nom en vertu du fait qu’il cache (Elem) ce qui est censé s’y dévoiler.
Cependant, une fois le dévoilement de la Présence divine effectué [comme c’est le cas lors des plaies d’Egypte, mais d’une manière plus radicale encore, lors du don de la Torah-Ndlr.], aucune pensée étrangère n’est plus alors capable de l’atteindre, ni de le réduire. C’est pour cette raison que la Torah porte le nom de liberté (‘Hérout) [dans le verset « L’écriture était gravée sur les Tables (‘Harout al haLou’hot), Chémot 32, 16 – que nos Sages interprètent : « Ne lis pas ‘gravée’, mais ‘libre’ ! Car tu ne trouveras pas d’homme plus libre que celui qui se consacre à la Torah », (Pirké Avot, chapitre 6, Michna 2)-Ndlr]. Elle est l’expression du Nom divin Lui-même. Tel est le sens fondamental des miracles qui provoquèrent la Sortie d’Egypte.
En effet, du fait qu’ils constituent un bouleversement de la nature, ces miracles eurent pour fonction d’ouvrir aux enfants d’Israël la porte d’une nouvelle perception du monde. Au point où l’on peut dire que chacune des dix plaies fit en quelque sorte, sauter l’écorce naturelle qui masquait alors le dévoilement de la signification profonde de chacune des dix Paroles ayant servi à la création du monde.
Les plaies d’Egypte révélèrent en ce sens comment ces dix Paroles [c’est-à-dire les lois naturelles dans la perception limitée qui nous en était donnée alors-Ndlr] constituent en leur essence « dix injonctions » et dix commandements. Les paroles (Dibour) de D.ieu se dévoilant alors dans leur essence comme autant d’orientations (Hanagot) du monde [sous-entendu : que D.ieu impose au monde dans le but de l’amener à sa perfection, c’est-à-dire à cette haute dimension métaphysique qui est la sienne-Ndlr].
Des règles de conduite
C’est en ce sens que nous devons comprendre le Zohar (Paracha Vaèt’hanan, page 269/a) quand il commente le verset du Chéma Israël « VéDibarta Bam BéChivtékha (…) ouVeLekhtékha BaDérekh (…) [Tu en parleras quand tu seras assis dans ta maison, et lorsque tu marcheras en chemin, à ton coucher et à ton lever] », (Devarim, 6, 7) : « ‘VéDibarta Bam’ : si le verset était venu nous enseigner que nous devons parler de Torah, écrit-il en effet, il aurait dû dire : ‘Tédaber’. Quel est donc la signification de l’expression ‘VéDibarta’ ? [sous entendu : tes paroles seront des paroles de Torah- Ndlr]. Cela vient nous faire comprendre que nous devons diriger toutes actions en vertu des paroles de la Torah [au point où il faudrait lire l’expression « VéDibarta Bam » ainsi : « Et ton être ne sera que paroles de Torah »-Ndlr] ». Car il convient à l’homme juif d’orienter (Manhig) toutes ses actions conformément à la Parole de D.ieu, à Son Unité et à l’amour qu’il Lui porte afin qu’elles soient toutes effectuées en Son Nom (léChem Chamaïm). Telle est la valeur profonde du sacrifice de soi (Méssirout Néfech) qui caractérise les Justes : elle nous permet de nous extraire des chemins normatifs de la nature et de nous ouvrir la voie à la liberté dont nous avons parlé précédemment. Voilà pourquoi nous récitons en ouverture de la prière du soir le passage « Acher biDvaro Maariv Aravim [C’est par Sa parole qu’il fait advenir le crépuscule] ». Car la royauté céleste (Malkhout Chamaïm) exige de nous qu’en contrepartie de la confiance (Emouna) que nous plaçons en D.ieu, nous soyons aussi capables de révéler la Présence divine dans toute sa splendeur, alors même qu’elle nous semble voilée (Ester), et ce, au coeur même de la confusion (Irouv) la plus totale. Ainsi, quand bien même l’exil aurait-il pour conséquence de masquer la vérité – ainsi que l’explique le Zohar sur la Paracha Vaéra, page25/b, quand il dit que lors de notre esclavage en Egypte, c’est la puissance de la parole elle-même qui était en exil, soulignant l’idée que met en avant Moché Rabbénou lorsqu’il déclare « Je ne suis pas un homme éloquent », (Chémot, 4, 10), « Je suis bègue », (Chémot, 6, 12) –, les paroles de Torah nous dévoilent le sens réel des choses.
Comme il est dit : « Et D.ieu prononça toutes ces paroles… », (Chémot, 20, 1). Puisque lors du don de la Torah, c’est l’essence profonde de la Parole qui se dévoila au peuple d’Israël [dévoilement rendu possible grâce aux dix plaies de la sortie d’Egypte comme métamorphose des paroles divines (Maamarim) qui servirent à l’oeuvre de la création en dix injonctions (Diberot) au mont Sinaï- Ndlr]…
Adaptation Française par YEHUDA RÜCK - Chiourim