Une année sans fin L’édito de Riss. Charlie Hebdo
L’année 2022 sera-t-elle aussi ennuyeuse que 2021 ? La fabrique de l’information est un métier qui dépend beaucoup de ses fournisseurs. Les viticulteurs sont dépendants du climat et de l’ensoleillement ; les bouchers sont dépendants du prix de la viande ; les céréaliers sont dépendants des cours du blé sur le marché international ; et les journalistes sont dépendants de la production mondiale d’évènements dignes d’intérêt. Y aura-t-il suffisamment de guerres, de conflits, d’attentats et de souffrances pour alimenter les pages des gazettes et les chaînes d’info en continu pendant un an ?
Ces derniers temps, l’Ukraine a failli tenir ces promesses, avec des centaines de chars russes agglutinés à sa frontière, augurant un beau conflit régional moulé à la louche. Et voilà qu’on apprend que Poutine, ce poltron, retire ses troupes, officiellement mobilisées pour une petite manœuvre de rien du tout. Il y a bien la Chine qui pourrait nous concocter une guerre à l’ancienne, contre Taiwan ou Hongkong. Une guerre d’autant plus appréciable qu’elle aurait lieu loin de chez nous, et que le Pacifique offre de très beaux paysages, avec ces coquetiers et ses plages de sable blanc, idylliques pour faire débarquer des marines en direct pour Fox News, avec, à l’arrière-plan, la silhouette majestueuse d’un volcan éteint en guise de décor pour une attaque au napalm, au premier plan, devant les caméras du monde entier.
L’Amérique du Sud, c’est plus ce que c’était.
Fini les généraux des dictatures des années 1970, élégants dans leurs beaux uniformes impeccablement repassés, tout droit sortis de Tintin et les Picaros. Aujourd’hui, l’Amérique du Sud n’a rien d’autre à offrir au journal de 20h que des présidents falots, comme Maduro et son petit ventre de fonctionnaire à la retraite, où Bolsonaro avec sa gueule de vendeur de bagnoles d’occasion. La prestance d’un Pinochet ou d’un Videla appartient définitivement au passé. La cruauté de notre époque n’est plus aussi stylée que celle des années 1970. Des États-Unis, il ne faut rien attendre. Recroquevillée sur elle- même, l’Amérique a piteusement quitté l’Afghanistan, alors qu’elle n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle envoie ses teen-agers boutonneux sauter sur des mines dans la jungle du Vietnam, au son des hélicoptères, des Rolling Stones et des Animals. Notre époque n’a produit aucun conflit esthétiquement original. Où sont passées nos guerres en prime time d’antan ?
Il reste alors les épidémies. Mais on s’en lasse bien vite et on aimerait déjà passer à autre chose. Quelques catastrophes naturelles auraient le mérite de nous rappeler l’urgence climatique, mais il y a peu de chances pour que le JT y consacre plus de cinq minutes, de peur qu’on zappe vers une chaîne concurrente pour y regarder les Marseillais à Dubaï.
Même une bonne vieille élection présidentielle n’est pas sûre de passionner les foules, car une fois sorti le petit lapin blanc du chapeau du magicien, le public risque de s’en désintéresser très rapidement.
Faut-il pour autant se plaindre de cette routine ennuyeuse. Car elle possède une qualité non négligeable. L’ennui, c’est la paix. Et la paix, c’est l’ennui. A part quelques problèmes économiques, comme l’inflation ou le chômage, qui, rassurez-vous, ne seront jamais réglés, on se convainc que tout est normal dans cette époque si satisfaite d’elle-même. La période des fêtes est une sorte de paroxysme de cette impression cotonneuse que plus rien ne peut nous atteindre. Chaque année finit et commence de la même manière, comme un jour sans fin. On mange et on boit comme des gorets pendant dix jours, en se disant que c’était le but ultime de l’année écoulée.
C’est le souvenir que j’ai conservé des derniers jours de décembre 2014. Entre Noël et le Nouvel An, on baignait dans le luxe de ne rien avoir à faire d’autre que de regarder les jours de notre vie s’écouler inutilement.
De retour au journal, je croisais dans la rue Franck Brinsolaro, qui protégeait Charb, et lui demandai s’il n’avait pas fait trop de excès pendant les fêtes. Il me répondit en souriant par une phrase dont j’ai oublié l’exacte formulation, mais qui indiquait qu’il avait été raisonnable.
Que pouvait il nous arriver de pire qu’une indigestion ou une crise de foie, en ce début d’année 2015 ? C’était le matin mercredi 7 janvier. On avait tous bien profité des fêtes.
Il ne nous restait plus qu’à bien profiter de l’année qui commençait.
Riss