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Le mouvement Loubavitch en Russie. Trop proche de Poutine?

Depuis le début de l’ère Poutine, le judaïsme hassidique du mouvement Loubavitch a connu un essor sans précédent en Russie. Mais l’invasion de l’Ukraine risque de coûter cher à ce puissant courant religieux, écrit le quotidien israélien “Ha’Aretz”.

Avec le rétablissement de la liberté de culte, les années qui ont suivi l’effondrement de l’Union soviétique, et en particulier les deux décennies de l’ère Poutine, ont été marquées par un développement sans précédent du judaïsme religieux en Russie. “Tout le monde sait que de nombreux Juifs figurent parmi les oligarques gravitant autour de Poutine et du Kremlin, le saint des saints”, rappelle Lev Stesin dans le journal israélien Ha’Aretz.

“Mais d’autres Juifs, religieux ceux-là, font également partie des intimes de Vladimir Poutine”, parmi lesquels Berel Lazar, le grand rabbin de Russie, et Alexander Boroda, président de la Fédération des communautés juives de Russie, “un organisme dont l’administrateur le plus influent n’est autre que l’oligarque Roman Abramovitch”.
Un mouvement né en Biélorussie au XVIIIe siècle.

Ces Juifs religieux appartiennent tous au hassidisme des Loubavitch, également connu sous l’acronyme du mouvement, le Habad, réputé pour son prosélytisme auprès des Juifs non religieux.

Né en Biélorussie tsariste à la fin du XVIIIe siècle, l’immense mouvement que constituent aujourd’hui les Loubavitch doit son nom yiddish au shtetl (village majoritairement juif) de Lioubavitchi. Après la révolution d’Octobre et la prise de pouvoir par les bolcheviques, Lioubavitchi fut détaché de la Biélorussie et rattaché à la Russie soviétique, faisant des Loubavitch le seul mouvement hassidique en Russie, avant que ce dernier ne finisse par être interdit et réprimé par le régime communiste. Jusqu’à la dislocation de l’URSS.

Le rabbin Nahman et le hassidisme.

Au XVIIIe siècle, le judaïsme européen connaît un véritable mouvement de renouveau en Europe de l’Est. Selon certaines sources, ce phénomène serait né en réaction aux grands pogroms de la deuxième moitié du XVIIe siècle en Pologne et en Ukraine. Le mot “hassidisme” viendrait de l’hébreu hassidout, qui signifie “piété”. Dans le cadre de ce renouveau, les rabbins de chaque communauté prennent une importance particulière. Le fondateur du hassidisme, le rabbin Israël ben Eliezer (1698-1760), n’est autre que l’arrière-grand-père du rabbin Nahman dit “de Bratslav” (1772-1810). Après un voyage en Israël en 1799, ce dernier revient en Ukraine, où il diffuse ses enseignements (dont il ne subsiste aucune trace écrite). Le hassidisme tel qu’il était prôné par son fondateur et son descendant associe ferveur, enthousiasme, joie, message d’amour et piété, mais aussi étude des “secrets de la Torah”. Le rabbin Nahman se passionne en outre pour la médecine, assistant à des conférences sur la question à Lemberg (aujourd’hui Lviv). Atteint de tuberculose, il meurt en 1810 et est inhumé à Ouman, ainsi qu’il l’avait souhaité, pour être plus près des milliers de Juifs massacrés sur place lors d’une insurrection ukrainienne en 1768. Le hassidisme est aujourd’hui un des piliers incontournables de l’orthodoxie juive.

“Depuis le début du XIXe siècle, le respect dû au régime en place est une dimension importante de l’idéologie des Loubavitch”, explique Lev Stesin. Ainsi, lors de l’invasion de la Russie par Napoléon, “son guide spirituel jugea que le type de liberté proposé aux Juifs par la France était plus dangereux pour l’âme juive que l’oppression tsariste”.

Trois quarts de siècle plus tard, l’effondrement de l’URSS et le rétablissement de la liberté de culte ont représenté une grande chance pour les Loubavitch. Leur guide de l’époque, Menahem Mendel Schneerson, a ordonné à ses fidèles de revenir en Russie et d’y restaurer le Habad. Sous la conduite de Berel Lazar, ils ont “relevé le défi en convertissant des dizaines de milliers de Juifs non religieux au judaïsme, dans sa version hassidique s’entend, et en créant des communautés jusque dans les endroits les plus reculés de la Russie, de Mourmansk à Vladivostok”.

Le Habad “timide” face à l’invasion de l’Ukraine.

Dans ce succès impressionnant, Vladimir Poutine, “sans doute influencé comme beaucoup de ses compatriotes par la caricature du Juif aux pouvoirs immenses et aux réseaux illimités, a pesé de tout son poids en fournissant au Habad un soutien politique et financier”, à condition de ne pas se mêler de… politique, ni de critiquer le régime en place. Pour Lev Stesin, il ne s’agit de rien d’autre que d’un “pacte faustien”.

Seulement, la guerre en Ukraine pourrait être fatale aux dirigeants russes du Habad, ses bailleurs de fonds étrangers risquant désormais d’être frappés par les sanctions internationales. En outre, “de nombreux Juifs hassidiques, ukrainiens bien sûr mais aussi occidentaux, risquent de ne pas oublier l’opposition plus que timide de Berel Lazar à l’invasion russe et encore moins les ‘inquiétudes’ exprimées par Alexander Boroda quant à ‘l’influence du nazisme’ en Ukraine”.

Bien que mondial, le Habad reste une organisation occidentale installée à Crown Heights, un quartier de Brooklyn, rappelle Lev Stesin. “C’est de là que provient la majeure partie du financement des Loubavitch russes. Ces derniers ne pourront pas survivre longtemps en tant que secte coupée de son cœur new-yorkais.”

Courrier international

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