Le Mois du patrimoine juif est une période douce-amère pour les Juifs du Canada
Alors que le Canada célèbre son Mois du patrimoine juif en mai, la communauté juive du pays a des raisons de se sentir à la fois reconnaissante et mal à l’aise. Cette ambivalence reflète ce qui est, à bien des égards, l’histoire de deux réalités, évoquant la célèbre phrase de Charles Dickens : « C’était le meilleur des temps, c’était le pire des temps.
Certes, le Canada démocratique, avec son multiculturalisme et son accueil des minorités, est sans doute l’un des meilleurs pays où vivre en tant que juif. Ce n’est pas pour rien qu’il abrite l’une des rares communautés juives en dehors d’Israël à croître en nombre. Les 400 000 Juifs du Canada représentent la troisième plus grande communauté de la diaspora au monde, après les États-Unis et la France. Si les tendances actuelles se poursuivent, elle dépassera son homologue français et deviendra la deuxième plus grande communauté juive en dehors d’Israël dans les 15 prochaines années. Assez bon pour une communauté qui a subi une discrimination ouverte et généralisée jusque dans les années 1950.
Aujourd’hui, les Juifs canadiens sont reconnaissants de vivre dans un pays qui est fier de sa diversité et où les gouvernements à tous les niveaux partagent un engagement à combattre l’antisémitisme et d’autres formes de racisme. Les Juifs sont reconnaissants de l’occasion que le Canada leur a donnée de réussir dans tous les domaines d’activité et de contribuer grandement à la vie de ce pays.
La liberté et la démocratie qui rendent cela possible sont quelque chose que les Juifs ne peuvent pas tenir pour acquis, compte tenu de notre histoire. En effet, de nombreux Juifs canadiens sont ici aujourd’hui parce que leurs parents, grands-parents ou arrière-grands-parents ont fui les pogroms anti-juifs meurtriers et d’autres persécutions dans leur pays d’origine à la recherche d’une vie plus sûre et plus libre au Canada.
Et pourtant, malgré tous les points positifs, il y a des problèmes au paradis. Au milieu de développements inquiétants sur plusieurs fronts, les Juifs ne peuvent pas se permettre d’être complaisants. Nous sommes confrontés à une augmentation alarmante de l’antisémitisme qui se manifeste sous de nombreuses formes toxiques, reflétant une tendance mondiale tout aussi déconcertante.
Des données récentes de Statistique Canada montrent une augmentation des crimes haineux déclarés par la police, les juifs étant le groupe religieux le plus ciblé. Selon l’audit annuel des incidents antisémites de B’nai Brith Canada, 2021 s’est avérée une année record pour les crimes haineux anti-juifs, y compris une augmentation de 733 % des incidents violents par rapport à 2020.
Mis à part les chiffres, les militants anti-israéliens diabolisent et appellent sans vergogne à la fin du seul État juif au monde, pour lequel la plupart des Juifs canadiens ont une forte affinité. De nombreuses universités sont devenues des foyers d’hostilité anti-israélienne et anti-juive, tant de la part des étudiants que des professeurs. Certains ont poussé leur vitriol à un niveau absurde, avec des accusations sans fondement selon lesquelles la définition de l’antisémitisme de l’International Holocaust Remembrance Alliance – adoptée par le Canada et de nombreux autres pays – est une forme de racisme anti-palestinien.
Dans notre société de plus en plus polarisée, les deux extrêmes du spectre politique visent les Juifs, en utilisant des stéréotypes et des tropes antisémites. Les Juifs sont ridiculisés comme étant à la fois trop blancs et pas assez blancs, un paradoxe bizarre attisant la haine de toutes parts.
Déguisant leur antisémitisme avec un antisionisme virulent et une obsession pour Israël, l’extrême gauche lie les Juifs à l’oppression coloniale et au capitalisme mondial, et les peint avec dérision avec le pinceau du « privilège blanc ». Pour sa part, l’extrême droite prêche des théories du complot empoisonnées de « grand remplacement ». Empruntant à la propagande nazie, ils prônent la suprématie blanche, dénonçant les Juifs, les Noirs et d’autres comme une menace pour la race blanche, comme le montre le manifeste haineux du tireur derrière le massacre de ce mois-ci à Buffalo.
Comme pour tant de choses dans la vie, la situation des Juifs canadiens est relative. Vue historiquement et en comparaison avec d’autres pays, notre réalité actuelle peut sembler moins menaçante qu’ailleurs – mais c’est une petite consolation pour des développements inquiétants, et peu d’assurance que les choses n’empireront pas. Le passé nous montre de façon poignante la nécessité d’être vigilant, tout en construisant des ponts avec des alliés partageant les mêmes idées.
Mais les Juifs ont toujours été un peuple d’espoir, même dans des circonstances difficiles, ce qui a contribué à notre survie contre toute attente. Pour un pays comme le Canada, désigner officiellement un mois pour célébrer les traditions, la culture, l’histoire et les contributions de sa communauté juive est en soi une raison d’espérer en des jours meilleurs.