La synagogue expliquée
Lieu de culte, de prière et d’études du judaïsme, la synagogue a connu des changements architecturaux liés aux évolutions des pratiques religieuses.
Juliette Paquier - La Croix
Depuis quand les synagogues existent-elles ?
La synagogue la plus ancienne remonterait aux alentours du VIe siècle avant Jésus-Christ. « Dans la tradition, l’idée de la synagogue est apparue après la destruction du premier Temple de Jérusalem et l’exil du peuple juif à Babylone », explique Ariel Rebibo, rabbin de la synagogue Merkaz à Strasbourg. À cette époque, les juifs commencent à se réunir en public et l’idée de la création d’un « petit sanctuaire », pour remplacer le premier Temple, apparaît. Lorsque le second Temple est construit, en 516 avant J.-C., les synagogues ne disparaissent pas pour autant et conservent leur fonction de lieu de rassemblement. À la destruction de ce second Temple par les Romains, en 70 après J.-C., les juifs, de nouveau en exil, exportent les synagogues, lieu de lecture de la Torah et de conservation du rouleau de parchemin.
À la différence des églises catholiques, la consécration du lieu n’est pas nécessaire, seule la présence d’un rouleau de la Torah contribue à faire d’un espace une synagogue. « Le rassemblement des hommes importe plus que le lieu physique, explique Dominique Jarrassé, historien de l’art et auteur d’un ouvrage sur l’architecture des synagogues (1), c’est davantage un lieu fonctionnel. » Deux éléments semblent toutefois essentiels : la bima, table sur laquelle est déposé le rouleau de la Torah, et une armoire, qui contient le parchemin. « Nous parlons parfois de la sainteté de la synagogue, pour évoquer un profond respect envers le lieu, mais le bâtiment ne comporte pas la dimension sacrée des églises par exemple », souligne Ariel Rebibo.
Comment la synagogue a-t-elle évolué au cours du temps ?
Le rôle de la synagogue n’a presque pas évolué depuis ces synagogues des premiers temps. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’un véritable changement s’opère, tant sur le plan architectural que dans la symbolique du lieu de prière. Avec la reconnaissance des juifs comme citoyens à part entière dans de nombreux pays européens, dont la France, le judaïsme tend à s’aligner sur les autres cultes, sous l’impulsion des autorités civiles.
Par ailleurs, « le poids important de l’Église catholique contribue à faire de la synagogue un édifice de culte marquant, visible dans la ville », retrace Dominique Jarrassé. Ce mouvement se traduit par la construction de vastes synagogues, riches de décors, sur un plan basilical. C’est à cette époque que sont par exemple créées les synagogues de la Victoire, à Paris, ou celle du quai Kléber, à Strasbourg, construite à l’identique de l’église attenante. Une monumentalité qui se caractérise par la surélévation de l’estrade de lecture et crée une séparation entre ceux qui pratiquent le culte et ceux qui y assistent. « Apparaît alors une forme de clergé religieux, composé de rabbins qui portent des vêtements similaires à ceux des curés », retrace Ariel Rebibo.
Cette évolution entraîne une première fracture dans la communauté juive, entre les partisans de l’adoption d’un judaïsme « assimilé », incarné par les synagogues monumentales, et les expressions de résistance au changement, notamment parmi les juifs orthodoxes. Une opposition qui sera renforcée après la Seconde Guerre mondiale, avec un retour à une architecture très sobre et moderne. « À cette date, la rupture est amplifiée par le traumatisme de la Shoah et l’interrogation sur les fondements du judaïsme, précise Dominique Jarrassé. De fait, l’étude redevient l’aspect le plus important du culte. »
La bima est alors à nouveau placée au centre, pour recréer une proximité entre les rabbins et les fidèles. « Ainsi, l’impression d’une forme de clergé qui domine disparaît, témoigne Ariel Rebibo. C’est révélateur de la manière de concevoir l’office lui-même, fidèles et officiants sont assis à côté sans distinction. »
Pourquoi les femmes sont-elles séparées des hommes dans certaines synagogues orthodoxes ?
La séparation des hommes et des femmes dans les synagogues dépend de la sensibilité religieuse de la communauté. Dans les synagogues libérales ou les communautés orthodoxes modernes par exemple, les femmes ne sont pas nécessairement séparées des hommes dans l’espace. Pour Ariel Rebibo, rabbin consistorial, « le Talmud raconte qu’il y avait des relations légères dans le Temple entre hommes et femmes, il a donc fallu les séparer, pour un retour à la concentration. C’est d’ailleurs présenté comme une grande avancée ». Cette séparation est atténuée dans les synagogues du XIXe siècle, qui organisent l’espace des fidèles en deux assemblées, au même niveau. Ce n’est qu’à l’arrivée des juifs d’Afrique du Nord, dans les années 1960, que les communautés juives rétablissent une frontière physique. Les femmes sont placées à l’étage, aux balcons, ou dans une pièce mitoyenne.
Construit-on encore des synagogues aujourd’hui ?
Aujourd’hui, le modèle du centre communautaire tend à s’imposer. « Beaucoup de juifs se détachent du modèle ecclésial d’une synagogue lieu de culte, au profit d’une synagogue lieu d’études », expose Dominique Jarrassé. La synagogue n’est alors plus le bâtiment principal, mais l’une des composantes d’un ensemble architectural où se trouvent également des salles d’études mais aussi une piscine, une salle de sport, etc. « Le centre communautaire est nouveau dans l’architecture, mais l’idée d’avoir un centre de vie juive a toujours existé : dans les villages, la synagogue se trouvait au centre, à côté d’une pièce où l’on pouvait enseigner, à côté du lieu d’égorgement de la viande casher, par exemple », rappelle Ariel Rebibo. Pour Dominique Jarrassé, cette évolution est liée à « la réintroduction d’un judaïsme plus ancré dans le quotidien et plus collectif ».
→Pour approfondir : Le podcast. « L’invention de la synagogue »
Professeur d’histoire de l’art et auteur de plusieurs ouvrages sur la synagogue, Dominique Jarrassé retrace dans cette émission la chronologie de l’architecture de la synagogue, intrinsèquement liée au processus de construction de l’identité juive. Une demi-heure de discussion riche entre l’historien de l’art et Marc-Alain Ouaknin, pour interroger la fonction, la symbolique et l’évolution de l’architecture de ce lieu de culte, parfois utilisé pour remodeler l’identité juive.
« L’invention de la synagogue », émission France Culture du 13 juillet 2014 par Marc-Alain Ouaknin avec Dominique Jarrassé, 32 minutes.
(1) Synagogues. Une architecture de l’identité juive, de Dominique Jarrassé, Adam Biro, 2001, 285 p., 60 €.