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À Tibériade, Israël veut mettre de l’eau dans son lac

Des millions de mètres cubes d’eau dessalée vont être déversés dans le lac de Tibériade dont le niveau a baissé à cause du réchauffement climatique. Une grande première technologique mais aussi une initiative à haut risque pour l’écosystème.

Pascal Manker - La Vie

Le lac de Tibériade, haut lieu de la vie de Jésus, va être le théâtre d’un miracle de la technologie. Pour la première fois dans le monde, de l’eau pompée en Méditerranée puis dessalée sera déversée dans le lac. Objectif : assurer le maintien du niveau de la principale réserve d’eau douce d’Israël, confronté comme tous les pays du Moyen-Orient aux conséquences du réchauffement climatique. Mais cette opération aux allures de transfusion n’est pas sans risque pour la préservation d’un fragile équilibre écosystème.

Le niveau de l’eau dans lac de Tibériade (Kinneret, en hébreu) est une véritable obsession nationale. Les médias israéliens publient scrupuleusement tous les jours son niveau aussi bien en été lorsqu’il a tendance à baisser dangereusement sous l’effet de l’évaporation et du maigre apport de rivières qui l’alimentent qu’en hiver lorsqu’il remonte grâce aux pluies. Mais pendant près de 20 ans, le lac a été condamné au régime sec, faute de précipitations suffisantes, au point que de petits îlots de terre sont apparus dedans tandis que l’eau ne cessait de reculer sur les plages.

Circonstance aggravante : comme elle n’est pas assez renouvelée chaque année par les pluies, l’eau du lac a tendance à « vieillir » avec des effets délétères sur les algues, les bactéries et l’ensemble de l’écosystème. « C’est un peu comme si quelqu’un laissait croupir la même eau pendant une année dans une baignoire, vous n’iriez ensuite jamais la boire ou vous y baigner », explique un des pêcheurs du lac.
Israël, champion du monde du dessalement de l’eau

Seule consolation : depuis 2018 des cieux plus cléments et surtout plus humides ont permis de limiter les dégâts. Mais de l’avis de tous les experts, il ne s’agit tout au plus que d’un simple répit. Pour ne plus être totalement à la merci des caprices de la météo, le gouvernement a chargé Mekorot, la compagnie nationale israélienne des eaux de recourir à un traitement aussi original que radical.

Il s’agit d’exploiter les compétences acquises par Israël, un des champions du monde pour ce qui est du dessalement de l’eau de mer. Cinq centrales installées le long de la côte méditerranéenne assurent l’indépendance hydraulique du pays, voire un surplus, en fournissant par exemple plus des trois quarts de l’eau potable consommée par une population en constante augmentation. La production d’eau dessalée est telle qu’Israël peut se permettre d’en exporter une partie. Un accord a ainsi été signé, fin 2021, pour le transfert de 200 millions de m3 d’eau supplémentaires par an à la Jordanie, qui fournira en échange 600 mégawatts d’électricité produite par des fermes solaires installées sur son territoire. Israël vend également 100 millions de m3 aux Palestiniens de Cisjordanie.

Une canalisation de 13 km pour un coût de 260 millions d’euros

L’idée des experts est simple : construire une canalisation d’environ 13 km permettant de relier le réseau de distribution des centrales de dessalement au lac de Tibériade, situé à 200 m sous le niveau de la mer, afin d’y déverser des millions de m3 d’eau. Après quatre années de travaux, d’un coût évalué à 260 millions d’euros, ce projet aux allures bibliques va devenir opérationnel au début de l’an prochain. Mais d’ores et déjà des tests grandeur nature ont eu lieu ces dernières semaines pour tenter de déterminer l’impact probable de l’opération sur l’environnement, la faune et les poissons. Les experts se veulent plutôt optimistes. Selon eux, les avantages ont toutes chances de l’emporter sur les inconvénients.

Mais Gideon Gal, chef de l’institut israélien de limnologie (spécialisé dans l’étude des eaux stagnantes), reste prudent et admet la possibilité de mauvaises surprises. Interrogé par les médias sur les conséquences de cette transfusion, il admet que « personne n’a pas de réponse à cette question dans la mesure où nous sommes les premiers à déverser de l’eau dessalée dans un lac naturel. Pour le moment, nous n’avons rien remarqué dans nos analyses, mais il y aura certainement des données auxquelles nous n’avons pas pensé », reconnaît-il.

Quel impact environnemental et sanitaire ?

Une des inconnues porte notamment sur l’impact environnemental et sanitaire de la composition de l’eau dessalée. Selon une étude réalisée dans un hôpital par la Koupat Holim, la plus grande caisse d’assurance maladie israélienne, l’eau dessalée souffre notamment d’un manque de minéraux en particulier de magnésium par rapport à l’eau pompée à partir de nappes phréatiques. Cette composition défaillante provoquerait par exemple de sérieux problèmes cardiaques pour l’homme. Difficile de prévoir quel impact cet apport aura pour le lac et le fleuve Jourdain, qui le traverse de part en part.

Autre problème de taille : les centrales de dessalement sont de très grosses consommatrices d’énergie fossile tels que charbon et le gaz naturel utilisés pour les faire tourner, ce qui laisse plutôt mal augurer des engagements pris par Israël sur une réduction de 85 % des émissions carbone d’ici à 2050.

Un enjeu religieux pour les chrétiens, les juifs et les musulmans

Malgré tout, les autorités estiment que le jeu en vaut la chandelle. Le recours à l’eau dessalée constituerait en quelque sorte un moindre mal. L’essentiel serait d’assurer la sauvegarde du lac au cas fort probable ou les prévisions des experts sur le déficit des pluies, présenté comme inéluctable durant les prochaines décennies dans une région à très haut risque, se révéleraient exactes. Avec l’apport de l’eau dessalée les variations de niveau devraient être limitées à 1,5 m sur l’ensemble de l’année.

L’enjeu n’est toutefois pas seulement environnemental et stratégique. Il a également un caractère religieux des plus symboliques aussi bien pour les chrétiens que pour les juifs. C’est un site de pèlerinage mentionné à plusieurs reprises dans la Bible. Les Évangiles évoquent plusieurs miracles de la vie de Jésus avec les épisodes de la pêche miraculeuse, de la marche sur l’eau, de la tempête apaisée et de la dernière apparition de Jésus à ses disciples après sa résurrection. Le site est également vénéré par les juifs avec le mausolée de Rabi Akiva, un des fondateurs du judaïsme rabbinique du Ier siècle, ainsi que le tombeau de Moïse Maïmonide, philosophe, médecin, très important commentateur religieux du XIIe siècle. Dans l’islam, le lac est aussi mentionné dans un hadith. Son assèchement y est présenté comme un des signes de la fin des temps…

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