Divorce juif : la loi hébraïque contre celle de la République
Guillaume Erner
En principe, divorcer en France est chose aisée. Mais quand la religion s'en mêle, c'est encore et toujours pour compliquer les choses.
Toutes les femmes ne sont pas libres de divorcer en France. Certaines d’entre elles peuvent se retrouver enchaînées à leur mari, notamment dans le cas d’un divorce religieux, juif en l’occurrence. Ce qui suit est le récit d’une de ces guerres des Roses, à la sauce casher : un couple qui se déchire sur fond de controverse théologique. Une histoire qui ne se déroule pas au sein d’une école talmudique médiévale, mais dans le Paris d’aujourd’hui.
D’abord, un aperçu sur le divorce dans le judaïsme. En théorie, la synagogue autorise le divorce pour tous, pour un nombre illimité de fois. La formule est simple : l’homme doit rendre ce que l’on appelle le « guet » à la femme, qui retrouve ainsi sa liberté. Certes, la procédure est humiliante pour la femme, puisque la formule stipule que l’ex-mari « la rend aux autres hommes » ; mais au moins le divorce existe…
Il n’est d’ailleurs pas simple pour un homme de refuser de donner le « guet » à sa femme, ce qui fait qu’en pratique le judaïsme est une religion plutôt moins misogyne qu’une autre. Mais l’égalité entre les sexes est notamment perturbée par le fait que le judaïsme conserve des souvenirs polygames, même si cette pratique a été abolie au XIe siècle. En revanche, pas de trace de polyandrie… Dès lors, il est beaucoup plus grave pour une femme de se remarier sans avoir divorcé (religieusement), que pour un homme.
Aventure théologico-médiévale en 2022
Si une femme non-divorcée a des enfants avec un autre homme, ceux-ci seront d’abominables mamzerim, des « bâtards », qui n’auront pas d’autre choix que de vivre en marge de la communauté. Et, si vous pensez que ces considérations n’ont plus cours depuis des siècles, ou ne s’imposent qu’aux juifs ultraorthodoxes vivant à Méa Shéarim, vous vous trompez carrément. En témoigne l’histoire de ce qui arrive à Nathalie – appelons-la ainsi – une femme qui ne parvient pas à obtenir son divorce religieux, parce que son mari entend bien rester marié. Petit détail qui a son importance : Nathalie s’est convertie au judaïsme.
A priori, l’histoire de Nathalie est d’une grande banalité : une femme de 30 ans qui se marie en 2020 avec un homme de son âge, que l’on va appeler Nicolas. Mais le mariage bat rapidement de l’aile et bien vite, ils décident de divorcer. Devant la loi française, l’affaire est une formalité. En quelques semaines, les époux ne le sont plus. Mais pour les rabbins, les choses sont tout autres. Nathalie doit aller au bout de la procédure religieuse, obtenir le « guet », faute de quoi, si vous avez bien suivi, ses (éventuels futurs) enfants seront des mamzerim et elle ne pourra pas se remarier à la synagogue, ce qui est inenvisageable pour elle.
Un faux du mari lors du mariage
Qu’est-ce qui ne va pas ? C’est là où il va falloir cesser d’être moderne pour remonter au temps où la « seule » loi était celle de la Torah – ici, la guerre des Roses, devient le nom de la Rose version casher – autrement dit une aventure théologico-médiévale. Car Nicolas, l’époux de Nathalie dont elle voudrait divorcer, a, pour se marier, dû présenter le certificat de mariage rabbinique de ses parents, en hébreu la « Ketouba ». Or sur cette « Ketouba » est mentionné le fait qu’il est « fils de Cohen ». C’est un détail pour vous mais pour eux cela veut dire beaucoup. Car être un « Cohen », ça n’est pas seulement porter le même patronyme que certains Daniel, Patrick ou Elie, c’est aussi et surtout dans le judaïsme être le descendant de prêtres et donc avoir des droits et des devoirs. Vous n’êtes plus un juif comme un autre… en particulier, un Cohen n’a pas le droit de se marier avec une femme divorcée ou convertie… Or Nathalie est convertie ! C’est pourquoi, pour pouvoir convoler, les deux tourtereaux ont dû demander à des rabbins d’enquêter pour s’assurer que le Cohen n’en est pas un – et qu’il avait le droit d’épouser Nathalie – le certificat de mariage qui mentionnait la « Cohenité » devait être un fake.
Conclusion sans appel, après 6 mois d’enquête auprès de vivants et de morts, le mariage est possible. Oui, mais dans le même temps, Nicolas est déclaré ne pas être un fils de Cohen. Or c’est cela qu’il agite aujourd’hui, en expliquant que l’enquête a été truquée, qu’on lui a ôté son statut de Cohen pour de mauvaises raisons…
Être Cohen ou pas Cohen, là est la tradition
Alors l’histoire bascule ; elle devient un choc entre la tradition et la République. La République peut bien vouloir les femmes libres et égales aux hommes. Mais la religion les conserve sous curatelle et accepte qu’un mari puisse faire un chantage pour empêcher sa femme de recouvrer sa liberté. Simple dans la loi française, l’affaire devient kafkaïenne devant un tribunal rabbinique, voire talmudique. Comment démontrer qu’un homme marié sans être un Cohen, se retrouve Cohen au moment de son divorce ? Si le Code civil ne traite pas de cette question, il peut en revanche évoquer la liberté nécessaire de la femme. En somme, un tribunal de la République va être obligé de donner un avis – indirect – sur la décision d’un tribunal rabbinique.
En Israël, où le mariage civil n’existe pas, les hommes qui refusent le « guet » ont une destination simple : la prison. Tant qu’ils ne redonnent pas leur liberté à leur femme, on les prive de la leur. Mais en France comment faire ? À moins de mettre un juge derrière chaque Rabbin, il va falloir que le judaïsme aussi apprenne l’égalité entre les hommes et les femmes.