Les liens distendus entre Israël et la Diaspora s’invitent dans le débat électoral
Gilad Kariv a déclaré que Avoda exigera des politiques pluralistes dans les accords de coalition ; Ohad Tal, de HaTzionout HaDatit, s'est montré plus clément envers les Juifs de l'étranger
Par Judah Ari Gross - Times of Israel
Les Juifs de la Diaspora, ne pouvant pas voter en Israël, font rarement l’objet d’un débat lors des élections israéliennes, qui se concentrent plutôt sur les questions de sécurité, d’économie et de religion.
Mais mercredi, le groupe de réflexion Reut Group, la Fondation Ruderman et un certain nombre d’autres groupes ont fait d’eux le sujet central du débat, en réunissant des représentants de sept grands partis politiques pour discuter de la fragile relation entre Israël et les Juifs de l’étranger et de la manière dont leurs partis entendent l’améliorer.
Le débat, souvent houleux, s’est tenu à l’ANU – musée du peuple juif – à Tel Aviv.
Bien que les participants soient issus de divers partis, du Meretz à gauche au parti HaTzionout HaDatit à l’extrême droite, aucun représentant n’a été envoyé par le Likud, qui devrait être le plus grand parti de la prochaine Knesset, ni par les partis ultra-orthodoxes ou les partis à majorité arabe.
Bien qu’ils n’aient pas tous été d’accord sur la place à accorder aux préoccupations des Juifs de la Diaspora dans la politique israélienne, tous se sont accordés sur l’importance d’écouter et de s’engager avec les Juifs vivant hors d’Israël, en particulier avec la communauté juive américaine, étant la deuxième plus grande au monde et revêtant une valeur stratégique pour l’État d’Israël et ses relations avec les États-Unis.
Tous les candidats ont également appelé à ce que le système éducatif israélien enseigne plus aux étudiants la Diaspora juive et à ce qu’Israël soutienne les programmes d’éducation juive à l’étranger.
Rapidement, le débat s’est cependant tourné sur les sujets problématiques bien connus entre le gouvernement israélien et les Juifs de la Diaspora, en particulier les Juifs américains, à savoir le mur Occidental et, plus généralement, le manque de reconnaissance officielle par Israël des courants non-orthodoxes du judaïsme.
L’absence de reconnaissance officielle du judaïsme reformé et de la prière égalitaire au mur Occidental est depuis longtemps considérée comme une source majeure de friction entre les Juifs progressistes et le gouvernement israélien.
Un accord qui donnerait aux Juifs réformés un rôle dans la gestion du mur Occidental et reconnaîtrait officiellement la prière mixte sur le site est gelé depuis six ans en raison de l’opposition des orthodoxes.
À ce sujet, le député Avoda Gilad Kariv – un rabbin réformé reconnu et numéro trois sur la liste du parti – a déploré l’absence de progrès sur cette question sous le gouvernement actuel et a déclaré que son parti ferait de l’avancement du compromis du mur Occidental et du pluralisme religieux l’une de ses questions clés dans tout accord futur de coalition.
« Nous n’accepterons pas d’être des Juifs de seconde zone dans le foyer national du peuple juif », a déclaré Kariv.
« Lors des prochaines négociations de coalition, la question du statut des autres courants [du judaïsme] et la mise en œuvre du compromis du mur Occidental seront l’une de nos principales demandes, ayant tiré une leçon de ce qui s’est passé dans le gouvernement précédent », a-t-il ajouté.
« L’État d’Israël est le foyer national de l’ensemble du peuple juif et, par conséquent, il doit accorder une place et un statut égal et respectueux à tous les Juifs, à toutes les communautés juives et à tous les modes de vie, tant à l’intérieur de ses frontières que dans la manière dont il gère ses liens avec les Juifs de la Diaspora », a déclaré Kariv.
Le principal adversaire de Kariv, lors de cette rencontre, était Ohad Tal, du parti d’extrême droite HaTzionout HaDatit, qui, jusqu’au début des campagnes électorales, était à la tête du mouvement de jeunesse religieux Bnei Akiva.
Tal a présenté un visage bien plus amical envers les Juifs de la Diaspora que la plupart des autres membres de son parti, notamment des deux principaux candidats Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, qui ont tous deux rejeté et dénigré le judaïsme réformé à plusieurs reprises, le premier l’ayant même qualifié de « fausse religion ».
L’année dernière, Smotrich a fait l’objet de critiques publiques presque sans précédent de la part du groupe de coordination du British Board of Deputies lors de sa visite au Royaume-Uni, pour ses attitudes envers les Arabes et la communauté LGBT.
Smotrich et Ben-Gvir ont également fait l’objet d’un article en première page du populaire tabloïd British Jewish News, les accusant de haïr « les Arabes, les personnes LGBT et même certains Juifs ».
Tal a souligné la responsabilité d’Israël envers les communautés juives de la Diaspora, en particulier celles qui sont petites et en déclin.
Bien que Tal ait préféré ne pas aborder la question du mur Occidental – qu’il considère comme un problème relativement mineur dans le contexte plus large des relations entre Israël et la Diaspora – il a reconnu que les Juifs réformés se sentent aliénés par la situation actuelle dans laquelle ils ne se sentent pas représentés. Toutefois, il n’a proposé aucune solution concrète à ce problème.
« Chaque Juif a besoin de se sentir chez lui au mur Occidental. Comment y parvenir ? Je n’en sais rien. Nous devons en discuter », a-t-il déclaré.
Kariv, ancien chef du mouvement réformé israélien qui a longtemps été à l’avant-garde de ces discussions, a rétorqué que les principales figures des communautés religieuses sionistes et ultra-orthodoxes refusent, par principe, de rencontrer des rabbins réformés et conservateurs en Israël.
Chaque candidat a apporté sa propre analyse des liens, actuellement tendus, entre Israël et la Diaspora et ses recommandations pour les améliorer.
Le candidat Kakhol lavan, Alon Tal, seul parlementaire d’origine américaine actuellement à la Knesset, a décrit les liens tendus comme étant nés de l’ignorance et a préconisé d’envoyer davantage d’Israéliens aux États-Unis dans le cadre de voyages « Taglit inversés », en référence aux voyages de 10 jours en Israël offerts aux Juifs des États-Unis et d’autres pays.
Selon Tal, la communauté juive américaine est actuellement confrontée à deux crises : la première est le nombre croissant de Juifs qui abandonnent le judaïsme réformé ou conservateur, qui constituait autrefois le socle de la vie communautaire juive et du sionisme, et la seconde est la montée de l’antisémitisme.
« C’est quelque chose que Donald Trump a apporté avec lui. Il a laissé le génie sortir de la bouteille », a déclaré Alon Tal.
Pour faire face à la désaffiliation croissante des Juifs américains, Tal a recommandé qu’Israël investisse son énergie de façon plus judicieuse. En mettant fin aux programmes qui envoyaient des Israéliens comme conseillers auprès des Américains cherchant à immigrer et en les envoyant plutôt travailler dans l’éducation formelle et informelle.
Bien qu’il ait été une voix active sur les questions relatives à la Diaspora dans l’actuelle Knesset, Tal a peu de chances de revenir au parlement, recevant une position relativement basse sur la liste de sa faction. Il a également fait savoir qu’il se concentrait principalement sur les questions environnementales, et non sur les questions relatives à la Diaspora.
Le vice-ministre des Affaires étrangères Idan Roll, du parti Yesh Atid, a également fait remarquer qu’il existe une opinion croissante en Israël selon laquelle « il n’est pas nécessaire de faire l’alyah pour être un bon sioniste », en utilisant le terme hébreu pour l’immigration juive en Israël.
Bien qu’un peu moins véhément que Kariv, Roll a également appelé à un plus grand pluralisme juif en Israël, le décrivant comme une évidence.
« Il me semble manifestement évident que c’est un problème qui doit être résolu. À mon avis, il s’agit d’une question très importante pour les Juifs de la Diaspora », a-t-il déclaré.
Roll a également recommandé d’envoyer davantage d’Israéliens aux États-Unis pour interagir avec les Juifs américains et les Américains en général.
Michal Rozin, du parti libéral Meretz, a provoqué une vive émotion parmi les autres candidats lorsqu’elle a affirmé que la principale tension dans la relation Israël-Diaspora est qu’Israël ne les rend plus « fiers ».
« Taglit amène ces jeunes gens ici et leur montre à quel point Israël est beau. Il leur montre le lac de Tibériade, les chameaux, le marché du Carmel et tout est merveilleux. Puis ils rentrent chez eux et vont à l’université. Et soudain ils apprennent qu’un Palestinien de 13 ans et la journaliste Shireen [Abu Akleh] ont été tués, et ils n’ont pas de réponses », a déclaré Rozin.
« Ils ne savent pas comment parler du conflit et expliquer comment l’État d’Israël, la patrie éthique du peuple juif, agit de manière discriminatoire, injuste et inéquitable. Il peut également s’agir du droit des femmes et du fait que nous n’avons pas signé la Convention d’Istanbul (contre la violence à l’égard des femmes) ou des droits LGBT », a-t-elle ajouté.
« En fin de compte, ces jeunes regardent l’État d’Israël et, contrairement au passé, ils ne sont plus fiers de nous. »
Interrogée sur la façon dont elle propose de traiter cette question, Rozin a simplement répondu « mettre fin à l’occupation ».
Le seul candidat qui n’a pas désapprouvé ou dénoncé les remarques de Rozin est le député Avoda Kariv qui a convenu que pour qu’Israël serve vraiment de patrie au peuple juif, il doit s’efforcer de se séparer des Palestiniens dans le cadre de la solution à deux États.
« Un sioniste – ou une personne qui croit en l’avenir d’Israël en tant qu’État juif et démocratique – doit mettre comme destination finale dans notre Waze national : la séparation d’avec les Palestiniens », a-t-il dit, en référence à l’application populaire de navigation.
Kariv a toutefois reconnu qu’une telle solution pourrait ne pas être réalisable à court terme.
« Nous devons l’inscrire dans notre Waze. Même si le chemin est long, même s’il y a des embouteillages, des dos d’âne et même des accidents. Notre destination doit être la séparation d’avec les Palestiniens afin d’assurer l’avenir de l’État d’Israël en tant qu’État juif et démocratique », a-t-il déclaré.
L’autre candidat né à l’étranger, Yomtob Kalfon du parti HaBayit HaYehudi, qui est originaire de France, a noté l’effet négatif que les politiques de confinement d’Israël, pendant la pandémie, ont eu sur les Juifs de l’étranger.
Kalfon a préconisé une sorte de visa spécial pour les visiteurs juifs non-citoyens en Israël, quelque chose de différent du visa touristique, qui permettrait aux Juifs de toujours pouvoir entrer dans le pays.
« Il ne s’agirait pas de citoyenneté. Il s’agirait d’un visa. Mais il dirait que même si nous fermons la frontière, ils pourront venir. C’est un passe-droit, comme une carte de membre, pour le peuple juif et la garantie de son lien avec Israël », a-t-il déclaré.
La représentante du parti laïque de droite Yisrael Beytenu, Sharon Roffe-Ofir, a déclaré que les partis ultra-orthodoxes et le parti HaTzionout HaDatit représentaient une menace importante pour les liens entre Israël et la Diaspora.
Elle a déploré le fait qu’ils pourraient transformer Israël en un « lieu sombre » qui aliénerait les Juifs de la Diaspora.
Roffe-Ofir a déclaré qu’Israël devrait envisager de permettre aux Juifs de l’étranger de voter aux élections israéliennes, mais elle a rapidement fait marche arrière lorsqu’on lui a demandé de développer. « C’est quelque chose qui devrait être sur la table et dont nous devrions en discuter », a-t-elle déclaré.