DSK EST UN HOMME PHYSIQUE»
Le procureur Cyrus Vance, qui vient de reporter au 23 août l'audience initialement prévue le 1er août, a de bonnes raisons pour cela: il tient notamment à interroger Marie-Victorine M. Cette femme de 38 ans peut en effet lui fournir des clés importantes sur les comportements sexuels de DSK dont elle fut la maîtresse durant plusieurs mois. Elle se livre en exclusivité à «L’illustré» et se dit prête à se rendre à New York. Un témoignage qui s’inscrit au cœur d’une procédure juridique complètement folle.
Par Arnaud Bédat - Mis en ligne le 27.07.2011
La pression est devenue trop forte. Marie-Victorine M., 38 ans, a décidé de sortir de l’ombre et de parler au grand jour, sans rien dissimuler. Cette jeune femme affirme qu’elle a été pendant près d’une année la maîtresse de Dominique Strauss-Kahn, une liaison qu’elle a consignée au jour le jour dans un journal intime. Née de mère espagnole et de père congolais, elle a rencontré le leader socialiste en février 1997 dans sa ville de Sarcelles, en banlieue parisienne, où il était maire. Rendez-vous secrets, baisers volés, elle évoque aujourd’hui une dévorante passion amoureuse. «Mon premier grand amour», dit-elle. Une déclaration qui éclaire quelque peu ce que pourrait avoir été la vie cachée de DSK et expliquerait l’acharnement des avocats de Nafissatou Diallo, la femme de chambre du Sofitel, à mettre au jour tout ce qui, dans le passé de l’ancien patron du FMI, pourrait servir la cause de leur cliente.
Actuellement consultante, juriste formée à la Sorbonne, à l’ONU à Genève, puis à la Cour pénale internationale à La Haye, Marie-Victorine M. vit depuis 2009 près de Los Angeles, mégalopole qu’elle a décidé de fuir samedi dernier par le premier avion pour se réfugier à Paris. Harcelée par les journalistes américains désireux de raconter son histoire, sollicitée par le bureau du procureur de New-York (avec l'adjointe duquel elle a déjà eu plusieurs contacts téléphoniques), elle accepte aujourd'hui de se dévoiler pour L’illustré.
«Je ne suis pas face à vous pour abattre un homme qui est déjà à terre, dit-elle d’entrée. Je n’ai pas cherché cette interview, j’y suis contrainte parce qu’on me poursuit, car les médias américains font le siège de chez moi, sur la base d’une lettre à mon père qu’ils se sont procurée et dans laquelle j’évoquais cette liaison. On m’a fait comprendre que des articles seraient publiés. Donc, avant que cela ne sorte contre mon gré, je préfère me défendre et prendre les devants.»
Nous l’avons rencontrée quelque part dimanche dernier dans le quartier de Montparnasse, à Paris. Interview confession.
Le 14 mai dernier, comment avez-vous appris l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York?
Je venais de rentrer chez moi à Santa Monica. La veille, j’avais volé de Hong Kong vers Los Angeles. A mon réveil, sur mon mail, j’avais une alerte du New York Times. J’ai cliqué sur le lien et j’ai lu la dépêche annonçant la nouvelle…
Et quelle a été votre première réaction?
Instinctivement, cela a d’abord été de la stupéfaction. La seconde réaction, immédiatement après, a été de me dire que mon téléphone allait sonner bientôt. Dans mon entourage, il n’y avait que deux personnes qui étaient au courant de ma liaison passée avec lui. Effectivement, elles n’ont pas manqué de m’appeler. «Dis, tu as vu ça? Qu’est-ce que t’en penses?» Et je leur répondais à chaque fois: «Oui, c’est incroyable, mais en même temps, il est ce qu’il est!» Ensuite, je me suis demandé si Dominique était devenu stupide avec l’âge. Il était sur la route du succès et il avait saboté toutes ses chances. Mais au fond de lui, je ne suis pas certaine qu’il voulait vraiment être président de la République. C’est un acte manqué. Mais je n’imagine pas que ce soit conscient de sa part.
C’est-à-dire?
C’est-à-dire que je pense que c’est un homme qui aime le sexe, qui a un gros appétit sexuel, qui aime les femmes, donc, qu’effectivement, il est peut-être allé un peu trop loin, beaucoup trop loin. Et je suis convaincue que, dans son esprit, il est intimement persuadé de ne pas être coupable. Même si des éléments matériels parlent contre lui. Via ses avocats, il a d’abord nié, puis il a admis la relation sexuelle de manière consentie. Quand j’ai lu les premiers articles dans la presse américaine, contenant par exemple le détail qu’il aurait pris sa présumée victime par-derrière, cela m’a poussée à croire cette femme. Il y a de l’ADN et du sperme, donc forcément il s’est passé quelque chose dans la suite 2806.
Quand avez-vous rencontré Dominique Strauss-Kahn pour la première fois?
Je l’ai rencontré le 2 février 1997. C’était un dimanche matin, autour de 11 h 30…
Vous êtes précise.
Ce n’est pas le genre de chose que vous oubliez! On s’est rencontrés lors d’une manifestation à la mairie de Sarcelles, lors de la cérémonie des vœux. Mon père, militant socialiste, m’y avait emmenée. Il connaissait Dominique Strauss-Kahn depuis plusieurs années, mais j’avais toujours refusé de l’accompagner. Ce jour-là, je ne sais pas pourquoi, j’avais accepté d’y aller et je me souviens que j’étais en retard. Quand j’ai pénétré dans la salle, Dominique était en train de faire un discours, derrière un pupitre. C’était comme dans un film: vous êtes dans une salle comble et, tout à coup, deux regards se croisent et vous êtes seuls au monde. Quand il m’a vue, il s’est arrêté de parler quelques secondes. Ensuite, une fois descendu de l’estrade, il s’est dirigé aussitôt vers mon père qui me l’a présenté. Il m’a serré la main et a lancé à mon père: «Donc, c’est votre fille.» Un petit groupe de personnes s’est formé autour de nous. Pendant qu’il leur parlait, son regard était fixé sur moi et le mien dans le sien. C’était intense. Puis, tout à coup, j’ai annoncé à mon père que j’allais rentrer. Et, là, Dominique m’a retenue: «Vous partez? Mais il faut que vous m’appeliez!» Nous avons alors échangé nos numéros. Et une heure après à peine il m’a appelée. On a conclu de se revoir l’après-midi même, à 15 h 30. Il m’a fixé rendez-vous au bar d’un grand hôtel du boulevard de Courcelles. On savait tous les deux ce qui allait se produire, il n’y avait pas de doute. C’était comme une prémonition. Puis on est allés dans une chambre et on était un peu surpris de se retrouver tous les deux là. Avec l’éducation que j’avais reçue, stricte et catholique – j’ai été en internat chez les sœurs – je n’aurais jamais imaginé ça. J’étais une jeune fille âgée de 23 ans, il en avait 47. Lors de ce premier rendez-vous, on est restés longuement au lit. Il a quitté l’hôtel vers 19 h 15, me laissant toute seule dans la chambre. Je me suis alors précipitée sur le téléphone et j’ai appelé mon meilleur ami: «Tu ne vas pas croire ce qui m’arrive...»
C’était pour vous un véritable coup de foudre?
Oui. Je me souviens d’ailleurs de ce qu’il m’avait dit de ce moment: «J’avais besoin de savoir qu’on allait se revoir.» Ça avait duré à peine quelques secondes.
C’est alors le début d’une liaison clandestine…
Totalement, oui. Nous savions tous les deux que c’était impossible de vivre un tel amour au grand jour, mais on ne se cachait pas vraiment. On prenait parfois un verre dans un café de l’avenue Wagram, mais on évitait tout signe d’affection en public. Il était attentif et prévenant avec moi et réussissait toujours à se débarrasser de ses gardes du corps. Il conduisait alors luimême sa propre voiture. On se voyait plus régulièrement dans un appartement du XVIe arrondissement dont il me disait que c’était le logement d’un de ses amis – un endroit assez spectaculaire, très grand, meublé à l’ancienne – mais aussi au Sofitel, dans le XVe arrondissement. On pouvait se voir de jour comme de nuit, fréquemment au début, puis on s’appelait souvent aussi, on s’échangeait des textos. Parfois, il m’appelait pour ne rien dire, très tendre avec moi. Quand le parti socialiste a gagné les législatives, par exemple, il était à la télévision et il prenait le temps de m’appeler. J’étais stupéfaite. «Pourquoi m’appelles-tu?» «Parce que j’ai envie d’entendre ta voix», me susurrait-il. C’était surréaliste.
Combien de temps votre liaison a-t-elle duré?
Ça s’est terminé juste après Yom Kippour, à la fin du mois d’octobre. Entre-temps, il était devenu ministre. C’était devenu compliqué entre nous. Je ne me voyais pas en maîtresse à vie. La relation était intense. Physique. On a été tous les deux stupéfiés par cette intensité, cette alchimie entre nous. Un regard suffisait.
Avez-vous été très amoureuse de lui?
Oui… (Long silence.)
Et aviez-vous l’impression qu’il l’était aussi?
Il faudrait le lui demander… Rétrospectivement, maintenant, avec tout ce que je lis dans les journaux, je ne sais plus… Il ne me l’a jamais dit, mais je ne lui ai jamais dit non plus que je l’aimais.
Quand vous êtes-vous revus pour la dernière fois?
La dernière fois qu’on s’est vus, c’était le soir. On était un peu énervés tous les deux, on s’est disputés devant l’immeuble. Un des voisins a ouvert les volets et on s’est aussitôt arrêtés net de s’invectiver. «Bon, je vais prendre un taxi», lui ai-je lancé. Et j’ai filé chez une amie. J’ai pris un bain et j’ai voulu oublier toute cette journée. J’étais dans un sale état, bouleversée et triste. Puis j’ai vu que mon pull s’était déchiré et que je m’étais blessé la main lors de notre dispute dans un mouvement involontaire. Je ne me souviens plus des mots qu’on a échangés ce soir-là, mais quand mon amie m’a vue arriver, elle m’a trouvée dans un piteux état. C’est alors que je lui ai tout révélé de ces amours clandestines. Elle ne voulait pas me croire. Je lui ai dit: «Mais téléphonelui.» Elle l’a fait. Et, là, elle a compris.
DSK vous parlait-il beaucoup de lui? De ses ambitions politiques?
Très peu. Je me souviens à l’époque qu’il voulait être ministre, ça oui, clairement. Président? Il avait eu un jour cette phrase: «Je ne pourrai jamais être président parce que je suis juif et francmaçon.» Il en était convaincu. Sinon, nous avions des conversations d’ordre intime bien sûr, on parlait de la vie, de mes études, par exemple, de sa fille qui vivait à New York et qui avait mon âge…
En février 1998, vous faites une tentative de suicide dans la maison de votre père à Sarcelles…
Je ne me souviens plus très bien de cet épisode. J’avais pris des médicaments, c’est encore flou dans ma tête. C’était quelques semaines après notre rupture. Ce n’était pas du dépit, mais j’étais blessée. Il m’avait vraiment fait mal. Mais ce sont des choses qui arrivent dans tous les couples.
Avez-vous été blessée par des promesses non tenues?
Je pense que c’était plus que ça… Je dois d’ailleurs préciser que je ne lui ai jamais demandé de quitter sa femme. Vous savez, au fil des mois, quand vous vous retrouvez dans ce genre de relation, votre cœur est en jeu. Et quand vous y ajoutez la complication de voir que l’homme que vous aimez est ce qu’il est, qu’il mène une vie où vous avez peu de place, ça fait mal, c’est dur à vivre. Quand vous allumez la télé, vous avez son image. Vous ne pouvez plus vous enfuir de sa présence. Elle est là et vous torture. Je me sentais seule. Je ne pouvais en parler à personne… Quand je me suis réveillée à l’hôpital de Gonesse, M. Pupponi, le maire de Sarcelles, était à mon chevet. Je me souviens lui avoir parlé quelques minutes en lui demandant ce qu’il faisait là. Il m’avait répondu que Dominique voulait juste savoir si ça allait. J’imagine que mon père avait dû l’appeler aussi et qu’ils avaient dû avoir ensemble une conversation assez salée…
Avez-vous l’impression que DSK peut être très manipulateur?
Oui. Il peut être très manipulateur. Je n’ai pas l’impression qu’il l’était avec moi, il ne m’a jamais forcée et j’assume complètement. Mais la manipulation n’est pas quelque chose qui me surprend chez lui.
Ça se traduit comment?
Il suffit de regarder par exemple les liaisons qu’il a eues ou de se remémorer cette lettre de Piroska Nagy, lorsqu’elle dit: «J’avais le sentiment que j’étais perdante si j’acceptais, et perdante si je refusais.» Il y a clairement manipulation ou chantage.
Kenneth Thompson, l’avocat de Nafissatou Diallo, vous a-t-il contactée?
Oui, nous nous sommes parlé au téléphone… (Elle sort son téléphone portable.) C’était le 18 juillet à 9 h 30 du matin, heure de Californie, 12 h 30 à New York. La conversation a duré environ quarante-cinq minutes et s’est passée en présence de mon avocate américaine, Gloria Allred. Ses questions étaient vraiment salaces, chirurgicales. Il m’a proposé aussi de rencontrer sa cliente, mais j’ai refusé.
On m’a parlé d’un avortement durant votre liaison avec Dominique Strauss-Kahn...
Je refuse de parler de ça.
Mais DSK vous a-t-il forcée à avorter?
Kenneth Thompson m’a posé la même question et je lui ai répondu ceci: «Il m’a forcée à ne rien faire du tout.» Il y a des choses qui doivent rester entre deux personnes, et Dieu.
DSK a-t-il été parfois violent avec vous?
Kenneth Thompson m’a aussi posé la question. C’est quoi la violence? Un homme qui vous plaque au mur et qui vous embrasse, c’est violent? Il y a violence et violence. Pour moi, ce n’était pas violent. Il ne l’a jamais été avec moi. Ni physiquement ni verbalement. Je considère notre relation davantage comme de la passion que comme de la violence. Nous étions dans une relation consentie. Donc, même s’il l’avait été dans l’intimité, ça ne regarderait que nous.
Avez-vous la conviction qu’il a pu violer Nafissatou Diallo?
Franchement, je pense qu’il y a eu une relation entre eux, une relation forcée. Je ne sais pas s’il s’agit de viol. C’est un homme qui est physique, donc il est tout à fait possible qu’il ait étreint cette femme de façon brusque ou brutale. Mais on en revient toujours à la même question: qu’estce que la définition exacte de la violence? Dominique m’a étreinte parfois de façon brusque, mais, pour moi, c’était de la passion, pas de la brutalité. Cette femme dit qu’elle a lutté, je veux bien la croire. Mais ça m’étonne un peu, car, d’après mes souvenirs, Dominique n’est pas le genre d’homme qui a besoin de forcer. C’est là que la manipulation séductrice intervient peut-être. La force n’est pas le moyen qu’il utilise… Il utilisera le charme, définitivement, mais pas la force…
Même si on lui résiste?
Je ne peux pas répondre dans le sens où je ne lui ai jamais résisté. Il ne m’a jamais forcée à faire des choses que je ne voulais pas faire. Je dirai qu’il est plus charmeur que violent.
Si on vous le demande, êtes-vous prête à aller témoigner devant le procureur de New York?
Oui, j’imagine que oui. Mais je pense que ça servirait sans doute plus la défense que l’accusation.
Qu’auriez-vous envie de dire à DSK aujourd’hui?
(Elle rigole.) «Fais davantage attention à tes choix de partenaires. Clairement. Et si tu veux tromper ta femme, ne sois pas pris!»
Si un tribunal reconnaît sa culpabilité, doit-il aller en prison?
Oui, bien sûr. S’il est coupable, il doit admettre les faits. Mais il ne les admettra jamais. Je le connais trop bien. Mais s’il est innocent, alors qu’il utilise tout l’argent de sa femme pour se défendre. C’est la juriste que je suis qui vous parle. Il n’y a que lui, Nafissatou et Dieu qui savent.
Auriez-vous envie de revoir DSK aujourd’hui?
Oui. Et je vais vous dire pourquoi: parce que je pense qu’il me dirait la vérité. C’était un grand truc entre nous: ses yeux parlent énormément. Je crois que j’aurais le fin mot de l’histoire. Ou alors suis-je encore complètement naïve…
Avec le genre de propos que vous tenez, quatorze ans après les faits, vous êtes consciente qu’on peut vous soupçonner de vouloir «rouler» pour Nafissatou Diallo et ses avocats en crédibilisant sa thèse?
Je vous assure que tout ce que je vous ai dit est vrai. Je ne roule pour personne et sûrement pas pour cette femme que je ne connais pas.
Photos et compléments dans la version papier du journal actuellement en kiosque.