Limites aux ambitions iraniennes, par David Bensoussan
Ce que l’Iran qualifie d’axe de la résistance, soit l’Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen, est un ensemble de pays dysfonctionnels dans lesquels les milices régionales et les mercenaires chiites font la loi. L’Iran a occupé le vide laissé par les Américains en Irak et a profité du bouleversement qui a accompagné le printemps arabe pour prendre pied dans ces pays.
L’Iran a réussi à former une ceinture de missiles autour d’Israël et des pays sunnites.
La Russie n’est pas intéressée à une plus grande emprise de l’Iran en Syrie et laisse Israël bombarder les convois d’armes iraniens dans ce pays. Israël vise également à entraver l‘implantation de bases iraniennes au Sud de la Syrie, face au plateau du Golan. Le fait que la Russie se soit fait livrer des drones et des missiles iraniens destinés à la guerre en Ukraine ne met pas encore en péril la liberté de manœuvre de l’aviation israélienne en Syrie. La sécurité d’Israël serait en grand danger advenant le cas où le Hezbollah libanais recevait des missiles supersoniques que l’Iran prétend avoir fabriqués.
De temps à autre, l’idée d’une alliance Turquie-Iran-Russie est avancée, mais semble piétiner. Les relations entre l’Iran et la Turquie sont ambiguës. Le seul point de convergence turco-iranien est la lutte contre les Kurdes. Depuis 2016, la Turquie a fait trois incursions en territoire kurde de Syrie et occupe une bande de territoire syrien au Sud de sa frontière. Quant aux Kurdes d’Irak, ils sont bombardés par l’Iran et la Turquie.
Le Croissant chiite
La Syrie a un président sans pays. Il fut un temps où le président syrien Assad fut le grand ami d’Erdogan avant de devenir sa bête noire. Aujourd’hui, des enclaves kurdes, turques, russes et islamistes s’entredéchirent. Les milices et mercenaires chiites financés par l’Iran sont la cible d’Israël lorsqu’ils se rapprochent au risque de constituer un danger. L’Iran renforce de plus en plus son empoigne sur le pays, exigeant un statut d’extraterritorialité de ses ressortissants et compte rénover 250 écoles qui enseigneront l’iranien.
La réintégration de la Syrie à la Ligue arabe vise à diminuer la dépendance de la Syrie de l’Iran, mais il est trop tôt pour savoir si cette réintégration qui prend en compte la reconstruction de la Syrie au moyen de fonds provenant des pays sunnites du Golfe parviendra à y diminuer l’influence de l’Iran.
Le chaos politique règne en Irak, aggravé par le départ de l’armée américaine. Les proxys iraniens tentent de prendre le pouvoir et la discorde règne entre de nombreuses factions, dont le Cadre de coordination chiite et les partisans de Moqtada El-Sadr.
Pour ce qui est du Liban, ce pays n’est plus fonctionnel : il n’arrive pas à élire un président. Il dépend de la milice armée du Hezbollah qui se conforme aux diktats iraniens. Son infrastructure économique est ruinée. Le statut des dépôts bancaires de 120 milliards n’est pas clair et des soupçons de corruption entravent l’octroi de prêts du Fonds monétaire international. Ce pays vit quasiment à l’âge de pierre et, en cas de conflit, risquerait de passer à l’âge de la pierre concassée.
Au Yémen, l’intervention de l’armée saoudienne en 2015, soit un an après la prise du pouvoir par les Houtis soutenus par l’Iran, n’a pas abouti. Les sunnites peu unis du Sud du pays font face aux Houtis du Nord-ouest. Selon l’ONU, la guerre dévastatrice a fait plus de 377 000 victimes civiles en date du mois de novembre 2021.
L’antagonisme turco-iranien
L’antagonisme turco-iranien est vif en regard de l’Azerbaïdjan turcophone. D’une part, les Azéris craignent que Téhéran ne veuille prendre le contrôle de la route internationale qui relie les pays du Caucase avec l’Asie centrale. De l’autre, l’Iran a pris position pour l’Arménie dans le conflit qui oppose ce pays à l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh, entre autres en raison de ce que l’importante minorité azérie en Iran même s’identifie souvent à la patrie azérie. En aucun cas, la Turquie qui arme également l’Azerbaïdjan ne voudrait que ce pays richissime en pétrole tombe entre les mains de l’Iran.
Face aux revers de l’armée russe en Ukraine et au besoin de maintenir fort son soutien à l’Azerbaïdjan, l’imprévisible Erdogan a mis de l’eau dans son vin et diminué son soutien au Hamas. Il tente maintenant de se rapprocher d’Israël qui a vendu plus de 7 milliards d’armes à l’Azerbaïdjan. Il a invité le président israélien Herzog en visite officielle et a reçu une invitation pour venir en Israël.
Les limites de l’alliance russo-iranienne
Récemment, des dirigeants iraniens se plaignent de ce que la Russie ne les soutient pas suffisamment. L’ancien ministre iranien des Affaires étrangères Zarif s’est plaint de ce que la Russie a poignardé l’Iran dans le dos plusieurs fois par le passé. L’ancien chef de la commission de sécurité du Parlement iranien (le Majlis) s’est plaint de ce que tant la Chine que la Russie ont traité l’Iran de façon égoïste, comme une simple source de profits. Cela vient remettre en cause le tournant géopolitique vers l’Orient prôné par l’Iran.
Le Guide suprême iranien Khamenei avait annoncé son intention de créer un ordre mondial nouveau basé sur une alliance entre l’Iran, la Russie et la Chine. Cette aspiration s’est avérée illusoire. Par ailleurs, l’Iran a exercé une grande pression pour être admis au sein du BRICS, convaincu d’avoir l’appui russe. Dans les faits, tant la Russie que la Chine se sont opposées à cette idée.
L’Iran a souhaité également faire parte de l’Union économique eurasienne regroupant l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kyrgyzstan, l’Ouzbékistan, la Moldavie, la Chine et la Russie. Là encore, la Russie a opposé son véto.
Néanmoins, après plusieurs années d’attente, la Russie a retiré son veto concernant l’incorporation de l’Iran à l’Organisation de coopération de Shanghaï dont l’objectif est d’assurer la stabilité économique et politique collective de plusieurs pays d’Asie. Ce revirement est probablement un retour d’ascenseur étant donné que l’Iran livre des drones à la Russie. Il faudra cependant que l’Iran attende un an de probation avant d’y accéder.
Mais il y a pire encore : la Chine et la Russie ont publié un communiqué remettant en question les frontières iraniennes. Par ailleurs, à la suite d’une entente des pays riverains, la Russie s’est attribuée la part du lion quant aux droits de pêche dans la mer Ciar. Les ventes de pétrole iranien vers la Chine ont baissé de 40 %, car cette part de marché a été prise par la Russie. Aussi l’Iran cherche-t-il à vendre à un prix minime son pétrole à qui prendra le risque de subir les conséquences des sanctions américaines. De surcroît, le doute plane quant à la livraison de 50 chasseurs avancés russes Soukhoï Su-35, pourtant payés par l’Iran.
À cela s’ajoute la déception de voir le président Erdogan – qui avait également fantasmé de changer l’ordre mondial par un tournant vers l’Est – visiter l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis au lendemain de sa victoire électorale, en ignorant l’Iran.
Ainsi le rêve de Khamenei d’un grand ordre nouveau dans l’Est dépérit-il. Malgré les lourdes sanctions économiques, l’Iran a réussi à développer une industrie militaire dynamique. Il n’en demeure pas moins que l’économie iranienne a grandement ralenti son essor du fait d’avoir coupé les ponts avec l’Occident.