La persévérance a fini par payer pour Neev
Neev se sent prêt à présenter l’hiver prochain son premier one-man show, puisque les rodages se poursuivent tout l’automne.
Étienne Paré - Le Devoir
Neev roule sa bosse dans le milieu de l’humour depuis presque 15 ans : à la télévision, à la radio, dans les festivals… Il a même la chance de parcourir le Québec depuis près de deux ans avec l’un de ses modèles, Louis-José Houde, en assurant sa première partie. L’humoriste de 38 ans n’est donc pas vraiment un anonyme, encore moins un néophyte. Mais il a fallu du temps avant que le fruit soit mûr pour son premier one-man show.
« À 25 ans, je parlais fort. Je prenais de la place. J’aurais imité des accents et j’aurais fait des blagues sur ma blonde, et ça aurait sûrement marché dans un spectacle. Mais tout ça aurait manqué de substance. Un humoriste, ce n’est pas comme un musicien, qui peut faire ses meilleurs albums à 20 ans. L’humour, au contraire, c’est vraiment évolutif. Il te faut du vécu pour avoir une certaine profondeur », soutient Neev, aujourd’hui marié et père de deux jeunes enfants.
Rien ne prédestinait cet étudiant en philosophie, fils d’immigrants juifs marocains, à faire de l’humour un jour. C’est en 2009 lors du Festival Sefarad de Montréal, où il était invité avec son groupe de musique de l’époque, que le destin de Neev Bensimhon se jouera. Gad Elmaleh, qui était la tête d’affiche de l’événement, décèlera chez ce grand gaillard très verbomoteur un potentiel pour la scène. La mégavedette de l’humour français demandera à Neev de faire sa première partie. Comme première expérience, Neev ne pouvait espérer mieux.
Il y eut à l’époque un engouement pour ce nouveau venu, que certains présentaient comme « le prochain Rachid Badouri ». Difficile de garder les pieds sur terre après un pareil départ en lion. Mais, rapidement, la dure réalité d’un humoriste de la relève finira par le rattraper. « Les petites soirées dans des bars où personne ne rit, personne n’y échappe. C’est nécessaire. C’est comme ça que tu deviens meilleur », observe-t-il avec le recul.
Premier one-man-show
Fort de son expérience, il se sent maintenant prêt à présenter l’hiver prochain son premier one-man show, puisque les rodages se poursuivent tout l’automne. Dans les faits, ce sera son deuxième spectacle, mais le précédent n’a jamais vu le jour à cause de la pandémie. Il a fini par devenir caduc à force d’être constamment reporté.
« Ce n’est pas si mal un premier one-man show à 38 ans. Yvon [Deschamps] a commencé sa carrière d’humoriste à peu près au même âge », souligne celui qui fut parmi les chanceux qui ont partagé la scène avec le père de l’humour québécois lors de l’ultime gala Juste pour rire cet été.
Une soirée haute en émotions pour Neev, qui avait été sacré révélation de l’année du festival en 2011. Juste pour rire a décidé de mettre de côté la formule qui a fait son succès, étant donné que l’on constatait une baisse d’intérêt pour les galas depuis quelques années.
Neev demeure pour sa part convaincu que les galas ont toujours leur pertinence en 2023. Il sera d’ailleurs du gala animé par Mehdi Bousaidan, samedi, pour la première édition du festival TRIP, à Trois-Rivières. Louis-José Houde et Arnaud Soly seront également de la partie.
« C’est mon analyse très personnelle, mais je pense surtout que Juste pour rire avait besoin de revoir sa formule. Avant, les caméras de télé témoignaient de ce qui se passait dans les galas. Mais dans les dernières années, on a commencé à faire des shows pour les caméras. C’est là que ça a merdé. Mais je continue de penser qu’une fois par année, on doit au public un événement où est réunie sur scène la crème de la crème de l’humour », avance Neev, que l’on peut entendre chaque midi sur les ondes de CKOI.
L’intention qui compte
À la radio, Neev a fait des imitations sa marque de commerce. Celle qu’il fait de Ron Fournier est probablement l’une des plus réussies. Neev imite aussi des dizaines d’accents. En un claquement de doigts, il est capable de se mettre à parler comme un Haïtien, un Latino ou un Arabe.
En ces temps de rectitude, certains ont tenté de le dissuader d’imiter des accents étrangers, mais Neev résiste. « À force de vouloir toujours être ouverts, je pense qu’on s’est refermés. Moi, je ne veux pas embarquer là-dedans. Je suis souvent invité dans les spectacles des communautés culturelles, je les imite, et je suis applaudi. Tout est dans l’intention », affirme Neev, qui demeure sensible à toutes les questions liées à l’intégration.
C’est d’ailleurs l’un des principaux thèmes de ce premier spectacle. Neev, qui s’est longtemps défini uniquement en tant que juif marocain, n’a pris conscience qu’à l’âge adulte qu’il était lui aussi pleinement québécois.
Québécois et juif
Sa fierté revendiquée d’être québécois ne contredit en rien son appartenance au peuple juif ni son attachement à Israël. Disons qu’il détonnait dans les milieux de gauche, acquis à la cause palestinienne, qu’il fréquentait au cours de ses études en philosophie à l’UQAM.
Neev, qui a grandi dans une famille très croyante, s’efforce le plus possible de respecter les traditions juives et parle ouvertement de sa foi. Un sujet délicat dans un Québec où tout ce qui se rapproche du religieux peut amener à un débat.
« Je pense que c’est circonstanciel. Les gens en veulent à la religion, mais pas à la spiritualité. La preuve, c’est que l’Église catholique est tombée en disgrâce, mais il y a une forte demande pour les livres de croissance personnelle. Les sectes ont cartonné ici dans les années 1990. Il y a un vacuum. Oui, l’institution a été odieuse, et les Québécois avaient raison de la rejeter. Mais les valeurs du Québec restent profondément judéo-chrétiennes », laisse-t-il tomber, sans tabou.
Neev n’est assurément pas de ces humoristes qui ne s’en tiennent qu’à des sujets superficiels. L’étudiant en philosophie en lui n’est jamais bien loin.