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Lettre à mes amis artistes, par Elie Chouraqui

 

 

            BONNE JOURNÉE. Vous venez de raccrocher. Votre maman vous a fait rire en vous parlant de votre père qui ronchonne. Vos enfants sont au chaud. Ils vont bientôt s’endormir dans leurs lits veloutés et vous irez les embrasser en leur chantant peut-être une comptine que vous a apprise votre grand-mère, il y a, oh il y a bien longtemps.

            Et puis vous signerez cette pétition dans “L’Humanité” (publiée le 22 octobre, ndlr). “L’Humanité” qui n’en a que le nom ! Un journal qui a déifié Staline et les génocidaires communistes, avant de vouer aux gémonies l’État d’Israël et son peuple, simplement parce qu’ils sont !

            Un journal que vous n’avez feuilleté qu’une ou deux fois dans votre vie, mais que vous défendez quand même parce que quoi, on est de gauche, non ?

            Vous signerez cette pétition qui, je cite, “condamne avec la même ampleur ‘les crimes de guerre’ du Hamas et du ‘gouvernement israélien'”. La même ampleur.

            Et puis allez, hop, au lit, parce que demain je dois jouer la comédie, chanter, faire rire, être artiste quoi ( je suis super connu vous savez). Ah non, je ne sais pas bien où sont Gaza, la Cisjordanie, ni combien il y a de kilomètres entre Jérusalem et Tel-Aviv… L’historique du conflit ? Oui, j’en connais les grandes lignes, mais bon, ce n’est pas le problème.

            Le problème, c’est le combat. Quel combat ? Ben, le combat. Qui je suis ? Qu’ai-je fait pour donner un avis si tranché ? Oh, ben, j’ai joué dans plein de films super engagés et puis j’ai fait plein de déclarations super intelligentes.

            Antijuives les déclarations ? Mais non ! Comment pouvez-vous dire ça. Antisionistes, oui, mais pas… Quoi? Ah, mais oui, je connais bien la tragédie israélo-palestinienne, je lis “Libé” et “Le Monde” presque tous les jours. Ils expliquent bien. Mais c’est quoi ces questions de merde ? Et puis, en vous serrant dans les bras de celle ou de celui que vous aimez, vous vous endormirez sans même vous dire que vous avez de la chance.

            Avi, lui, qui s’est réfugié chez ses vieux amis Sara et David dans leur petit appartement du nord de Tel-Aviv, ne dort pas. D’ailleurs, il ne dormira plus jamais vraiment, Avi. Et cette impossibilité à dormir le tuera dans quelques années.

            Oui, Avi ne peut plus fermer les yeux parce que, quand il les ferme, il voit ces tueurs du Hamas arracher du corps de sa fille, Déborah, son ange, le bébé qu’elle portait, et d’un coup de couteau éventrer le bébé, sa petite-fille qui n’est pas encore née.

            Et puis il voit sa femme violée devant ses fils par ces “choses” du Hamas, puis brûler ! Oui, il voit brûler celle qu’il aime tant comme on brûle un bout de papier. Et rire en tirant avec leurs kalachnikovs sur ses garçons qui n’ont pas encore quinze ans et qui hurlent : “Maman, maman, j’ai peur maman”.

            Et puis, les yeux fixés sur le plafond blanc, au milieu de la nuit, se tournant dans ce lit qui n’est pas le sien, pour la millième fois, il ne comprendra pas, Avi, pourquoi aucun Palestinien n’a condamné ces crimes. “Les Iraniens l’ont bien fait. Des femmes iraniennes ont bien risqué leurs vies pour condamner les ayatollahs. Certaines même en sont mortes. Et, en Israël même, des voix se sont élevées pour que des vies soient épargnées. Oui, c’est vrai. Même chez ceux qu’on a assassinés. Alors pourquoi ?”

            Et Avi verra le jour se lever en pleurant encore sans que ses larmes coulent tant il a déjà pleuré, pendant que vous, vous vous ferez un bon café en entendant, là-bas, dans leur chambre, vos enfants s’habiller vifs et joyeux pour ne pas être en retard à l’école. Ça va être une bonne journée.

            Oui, bonne journée Adèle, Niels, Guillaume, Juliette, Céline, Annie et les autres.

            Bonne journée.

            Élie Chouraqui

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