L’expulsion systématique des juifs des pays arabo-musulmans
Il est difficile d’évoquer les relations entre les pays arabo-musulmans et les populations juives sans mentionner la dure réalité des expulsions systématiques des juifs lors de l’accession au pouvoir des nationalistes arabes et des socialistes, en Turquie, en Égypte, en Tunisie et en Algérie. Tous ont pratiqué l’expulsion des juifs.
La Tunisie de Bourguiba expulse les juifs présents depuis des siècles
Rappelons que la synagogue de la Ghriba à Djerba témoigne de la présence de communautés juives depuis des siècles, voire deux millénaires, puisque la présence des juifs serait concomitante à l’arrivée des phéniciens dans la région et de la fondation de Carthage par la reine Didon-Elyssa. Les juifs de Tunisie sont là, bien avant les arabes de la conquête musulmane. Le cimetière juif de Gammarth témoigne lui aussi de cette très ancienne présence. Et cette communauté a développé son art culinaire, sa médecine, son érudition qui ont rayonné faisant de la Ghriba un lieu de pèlerinage.
Or, quand Mendès-France accorde l’autonomie en 1954 sous la pression des nationalistes locaux, les 150.000 juifs s’inquiètent et ils ont raison. Lors de l’indépendance, le 20 mars 1956, Habib Bourguiba et son parti du Neo-Destour entreprennent la liquidation de la communauté juive de Tunisie. Il ne faut pas oublier que la France, arrivée en 1881, avait libéré les juifs de leur statut de dhimmis, soumis à un impôt supplémentaire nommé djizia, imposé depuis la conquête musulmane au VIIIe siècle.
À l’indépendance, le Bey Sidi Lamine conserve son trône, mais très vite Bourguiba l’écarte du pouvoir. Notons, que peu de juifs tunisiens firent l’alya en 1948 et les années suivantes, à l’occasion de la création d’Israël. La liquidation des juifs et leur injonction à se soumettre ou à partir s’obtint indirectement par la nouvelle constitution, quand Bourguiba proclame la République contre l’ancienne monarchie : la Tunisie est une République dont l’islam est la religion et l’arabe sa langue. Les juifs ne sont, évidemment pas musulmans, et beaucoup ne parlent pas l’arabe classique qui devenait de facto la langue officielle que l’administration républicaine impose. Dans ces circonstances, les juifs de Tunisie, se sentent rejetés de la communauté nationale. Ils décident de quitter massivement la Tunisie pour la France. Il ne reste aujourd’hui qu’une toute petite communauté. Et des signes ne trompent pas. En 1958, les vieux quartiers juifs de Tunis sont rasés, cimetière et synagogue compris, pour motif de rénovation urbaine.
L’Égypte de Nasser expulse les étrangers : colons et vieilles communautés juives
Dans le contexte explosif de l’affaire du canal de Suez, Nasser va s’attaquer à toutes les communautés « coloniales », sans distinguer les récentes des plus anciennes. Là encore, le colonel Nasser accède au pouvoir en nationaliste arabe mettant un terme à la vieille monarchie égyptienne. Le coup d’État du 23 juillet 1952 écarte le roi Farouk. Ce renversement s’accompagne très vite de mesures hostiles aux étrangers.
La ruse consistera à sans cesse créer les conditions d’un départ volontaire, d’une fuite d’Égypte, même si aucune mesure administrative ne vient officialiser la persécution des étrangers. L’arbitraire de la surveillance, de la menace, de l’internement ou de la mise sous séquestre des biens contraignent les étrangers à renoncer de vivre dans le pays. L’interdiction de travailler, la pression policière permanente vont s’exercer contre ses populations : intimidations, humiliations, exactions…
Tout est fait pour provoquer le départ des 60.000 juifs d’Égypte, dont la mise sous séquestres des sociétés qui privent d’activité et de revenu. Ces manœuvres visent à l’expulsion de la communauté juive d’Égypte. Elle se réalisera par une émigration vers les pays européens essentiellement. Ce sont quelques 40.000 juifs qui abandonnèrent l’Égypte à partir de novembre 1956. Là encore, certains de ces juifs égyptiens, les Karaïtes étaient présents depuis le VIIIe siècle. Cette communauté s’agrandira à l’occasion de l’exode des juifs d’Asie Mineure en provenance d’Irak, de Syrie et de Turquie.
La Turquie et les juifs pendant la Shoah
Il existe une version officielle selon laquelle l’Empire Ottoman accueillit certains des juifs chassés d’Espagne. On estime qu’il y avait environ 75.000 juifs en Turquie en 1935. Rappelons là encore que la République Turque succède à la désintégration de l’Empire qui ne survit pas à la Première Guerre mondiale et aux manœuvres hostiles des Occidentaux, dont la célèbre œuvre de déstabilisation de Lawrence d’Arabie. Perdant de son territoire, la Turquie devait accueillir en Anatolie des centaines de milliers de réfugiés des territoires perdus des Balkans et du Caucase. À cette même époque, la République turque chasse les Grecs d’Anatolie qui y vivaient, eux aussi, depuis des millénaires, sans oublier les génocides contre les Arméniens et les Assyriens. Les chrétiens d’Anatolie devaient quitter la Turquie. Cette Grande Catastrophe contre les populations non-musulmanes, dans la foulée de la défaite grecque de Sakarya en septembre 1921, conduisit à l’expulsion de près de 1 million et demi de chrétiens au profit de 500.000 musulmans en provenance de Macédoine et des Balkans perdus. On estime à 20% les non-musulmans avant la Première Guerre mondiale en Turquie. À la fin de ce processus d’expulsion, ils ne seront plus que 2%. Il s’agit de turquiser la Turquie et de la purifier des ethnies et religions incompatibles avec le modèle turc. N’oublions pas aussi les Kurdes.
La politique de Kemal Atatürk consiste à exclure les étrangers de la plupart des métiers sous contrôle de l’État. Ainsi, des juifs quittent la Turquie, faute de travail. C’est l’interdiction professionnelle. La liberté de déplacement sera aussi entravée. Les organisations juives sont discréditées et interdites dans les années trente. Les minorités n’ont pas de droit. Avec le virage nationaliste fondé sur la langue plus que sur la religion dont la République se détache pour un pouvoir progressiste et laïc qui séduit les modernistes en Occident, la pression s’exercice par l’obligation de la turquité. C’est le temps de l’assimilation forcée. La peur des agressions est là dans les années trente. Alors que des juifs furent séduits par le kémalisme dont ils pensaient qu’il serait respectueux des différences, ils constatèrent que la République était nationaliste, contre eux. Les calomnies exprimées dans la presse allemande de l’époque sont relayées en Turquie et les juifs prennent peur. Ils émigrent. Des 150.000 présents à la fin de la Première Guerre, il n’en reste que la moitié en 1935, et l’antisémitisme se développe : caricatures, textes, feuilletons de presse, etc. L’agitation est réelle.
On diffuse des lettres de menaces, on pratique des agressions physiques, on boycotte des commerces. Les turcs chassent des juifs de leur maison. Un pogrom a lieu à Kirklareli : attaque des boutiques, pillages, violences. Ces juifs quittent alors cette région pour Istanbul. La Turquie organise aussi dans les années quarante des camps de travail en enrôlant les non-musulmans âgés de 25 à 45 ans, envoyés en Anatolie pour y travailler dans des carrières. On impose ces minorités sur leurs patrimoines dans le but de les appauvrir. Sous ces pressions, les juifs abandonnent comme les grecs, une terre où ils étaient présents depuis deux millénaires.
Les juifs d’Algérie chassés par le FLN
Pour terminer, la guerre d’indépendance en Algérie conduisit elle aussi à l’expulsion des juifs. Les 140.000 juifs d’Algérie dont les ancêtres furent naturalisés français par le décret Crémieux de 1870 entraîna leur départ avec les autres français, alors que les juifs d’Algérie n’étaient pas là depuis la colonisation, mais bien pour beaucoup antérieurement, les plus anciens, avant même l’arrivée des Romains. Devenus français, il doivent quitter l’Algérie dans le cadre de la vaste décolonisation souhaitée par le régime socialiste du FLN.
Ces quatre cas montrent bien que les régimes arabo-musulmans contemporains ont été très largement antisémites et favorables à l’expulsion des juifs de leurs territoires. Pourtant, ces régimes ont tous en commun d’être progressistes, nationalistes et largement influencés par le socialisme européen. Certains sont même distants de la religion, pourtant, ils font de l’ensemble : ethnie, langue et religion un triptyque justifiant l’exclusion des juifs de leur pays. À cette même époque, les gauches européennes se félicitent du renversement des vieilles monarchies décadentes, en Tunisie, en Égypte et en Turquie, avec des chefs modernes, laïcs, nous dira-t-on. Or, sous leur emprise, les juifs n’ont plus leur place. Étonnante rencontre entre la modernité européenne et les nouveaux régimes nationalistes arabo-musulmans, le nazisme n’étant d’ailleurs qu’un expression de cette même modernité, antisémite elle aussi, avec sa langue, son ethnie, son État, ses entreprises nationales, etc. Le nazisme ne serait-il pas fondamentalement de gauche, malgré les grandes manipulations de l’histoire par quelques-uns ?
CQFD
Pierre-Antoine Pontoizeau